Il n’y a pas de faux métier : Ode à la folie des mots

Québec, Canada, 2020
Note : ★★★★

Olivier Godin s’impose une fois de plus comme l’un des cinéastes québécois contemporains les plus importants, en nous offrant ici peut-être son film le plus accompli, le plus dense et certainement le plus savoureux. L’univers déjanté du cinéaste peut laisser quelqu’un sur le côté, mais personne ne peut rester de glace face à son style profondément assumé. Il n’y a pas de faux métiers, titre aussi vague qu’évocateur, nous raconte l’histoire absurde de trois personnages devant écrire quelque chose, une pièce, un scénario, un sermon. Leur vie commune s’entremêle par la présence de personnages éclatés dans un univers où la logique conventionnelle peut attendre à l’extérieur de la salle, mais sans pour autant tomber dans une abstraction facile. Nous sommes davantage ici face à une proposition richissime, un vent de fraîcheur dans le cinéma québécois, nous permettant un instant de rire de l’absurdité de la vie.

Décrire le style de Godin viendrait à le codifier, le restreindre à des adjectifs qui sont loin de rendre justice à l’expérience réelle qu’est de se plonger dans une de ses œuvres. L’auteur s’amuse avec une grande habileté à manier le dialogue, foncièrement théâtral, mais transposé par des codifications cinématographiques qui l’éloignent du théâtre filmé. La caméra, les éclairages et le montage accentuent l’absurde, l’humour décalé, la liberté que les personnages ont d’être dans un monde juste un pas à côté du nôtre, nous invitant à entrer à pieds joints dans son délire. Les personnages justement, atteints d’une folie du langage exquise, imposent un ton unique, inimitable, qui presque à eux seuls, forment l’identité du long-métrage. Leurs monologues, tantôt poétiques, tantôt frôlant le juvénile, permettent d’explorer la vitalité même des protagonistes. L’humour du film n’est pas seulement extravagant dans son aspect littéral, car Godin n’a pas peur d’emprunter dans le langage populaire et les références a priori banales, mais une fois mises dans la bouche de ses excellents personnages (rien qu’à penser à son éloge à la STM), tout fait sens, tout prend vie. 

Néanmoins, l’écriture ne serait pas grand-chose sans la performance des acteurs. Jouissant d’un casting tout aussi surprenant que diversifié, sans que ce dernier semble cocher des cases comme certains longs-métrages populaires ont la fâcheuse habitude de faire, il utilise le talent de ses acteurs et actrices en premier, leur faculté de rendre un texte avec vie et nuance. Ces derniers habitent le texte, par le corps et leur regard, transposent les subtilités imagées et les conneries volontaires de Godin, qui nécessitent un réel travail d’interprétation pour maîtriser les balles qu’ils s’envoient ou les passages cacophoniques. Que ce soit par la présence incomparable de Leslie Mavangui, la subtilité comique de François-Simon Poirier ou bien simplement par les caméos tous aussi étonnants les uns que les autres, se forme une brochette remarquable, nous faisant sourire d’un bout à l’autre du film. 

Il y quelque chose d’inhabituel dans l’exécution de son univers filmique, en comparaison aux films québécois dits conventionnels. Il joue dans les extrêmes, sans être provocateur, aux limites des codes d’un cinéma traditionnel, se permettant un contrôle complet de son image et de son texte. Le caractère lyrique de l’interprétation et du ton général de l’œuvre fera sourciller certains, mais cela demeure le charme principal du film. Très peu de cinéastes peuvent manier la langue comme le fait Godin (réalisateur de Les arts de la parole) avec une aussi grande assurance, que chaque virgule, ponctuation et vulgarité par passage vient souligner l’aspect comique de la scène. Il transporte le spectateur dans un monde où les gens du quotidien parlent comme sur une scène, mais c’est peut-être ça la réelle beauté ainsi que l’évasion de la banalité que nous offre Godin : nous vivons dans l’absurde continuellement, alors aussi bien en rire.

 

Bande-annonce :  

Durée : 1h44
Crédit Photos : La Distributrice de Films

 

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