Hygiène sociale, le dernier film de Denis Côté, tourné à l’été 2020, sortira en salles au Québec le 14 mai prochain. Mais attention, malgré son titre de circonstances et la distanciation physique entre les acteurs, son réalisateur se défend d’avoir créé un film pandémique. Non seulement le scénario d’Hygiène sociale a été écrit en 2015, mais le ton décalé et absurde du film, ainsi que sa mise en scène, étaient déjà prévus au moment de l’écriture. On y retrouve Antonin (Maxim Gaudette), flâneur et cinéaste raté, dans ses tribulations avec les femmes qui l’entourent, dont sa femme, sa soeur et sa maîtresse.
Je me suis entretenu avec Denis Côté afin de savoir ce qui l’a motivé à déterrer ce vieux scénario et de mieux comprendre sa démarche.
Olivier Du Ruisseau : Avec un tel titre, la distanciation physique, et le contexte de sortie, ça me semble presque impossible de ne pas parler de l’apport de la pandémie au sujet et à la démarche formelle du film. Bien que vous ayez écrit le scénario en 2015, pourquoi avoir décidé de le mettre en scène en 2020? Qu’est-ce qui vous a lancé dans le film?
Denis Côté : J’avais déjà écrit ce scénario de dialogues un peu absurdes à Sarajevo, en 2015, intoxiqué par mes lectures d’un certain Robert Walser, écrivain suisse, qui m’a entre autres inspiré le côté flâneur, ludique, de mon personnage. J’aimais l’idée de présenter des dandys d’une autre époque, mais à l’ère contemporaine. J’ai d’abord eu beaucoup de plaisir avec ça, j’étais convaincu que ça ne deviendrait jamais un film.
Puis, peu après que la pandémie soit arrivée au Québec, l’actrice Larissa Corriveau (Solveig) m’a appelée pour me demander si j’avais quelque chose à tourner, parce qu’elle sentait que les acteurs s’ennuyaient, qu’un nouveau projet s’imposait. Je lui ai envoyé ce vieux texte de 50 pages – c’était ce que j’avais qui ressemblait le plus à un scénario abouti – , et elle l’a adoré. Elle aimait aussi le fait que les acteurs étaient déjà distancés. Elle a recommandé son copain Maxim Gaudette pour le rôle d’Antonin et on a laissé le scénario tel quel.
Et c’était important pour moi de présenter le film dès maintenant, avec une première aux Rendez-vous Québec Cinéma. Je voulais participer à l’effort de guerre : faire rire le public autant que possible, alors qu’il en a besoin, et le surprendre, surtout s’il pense que le film parle de la pandémie!
ODR : Le film nous présente l’histoire singulière et anachronique (de par la mise en scène) d’Antonin et des femmes qui l’entourent, mais vous avez aussi dit que vous vous êtes penché sur des enjeux contemporains comme l’impact des réseaux sociaux, et la masculinité, au moment de l’écriture?
DC : Je dirais qu’à l’époque, à Sarajevo, je m’étais tellement isolé, que je réagissais déjà aux médias sociaux; je trouvais qu’ils faisaient énormément de bruit. Je trouvais que caché comme ça en Bosnie j’étais déconnecté du monde virtuel des médias sociaux. C’est pareil pour mes personnages. Je voulais qu’ils vivent la vraie vie, le monde réel. Je leur ai imposé de vraies joutes oratoires.
Je trouvais ça intéressant, aussi, de penser aux privilèges de mon personnage qui semble sorti d’une chanson de Gainsbourg : un paresseux, dandy, menteur… qui finit toujours par avoir les femmes qu’il veut dans sa vie et par les tromper. Le film demeure léger et ludique, mais parle quand même de l’immaturité des hommes, parfois, où les femmes attendent que les hommes autour d’elles deviennent des adultes. C’est certain que même si mon film n’est pas ouvertement politique il irrigue quelque chose dans l’histoire.
ODR : Hygiène sociale s’inscrit aussi à la fois en rupture et en continuité dans votre filmographie en ce que d’un côté, au niveau du style, vous n’aviez jamais rien présenté de tel, mais que de l’autre, vous nous présentez encore des personnages marginaux, d’une certaine manière.
DC : Je n’irais pas jusqu’à dire marginal, dans ce cas-ci, mais j’aime certainement montrer des histoires de gens qui vivent en communauté, mais qui arrivent aussi, en parallèle, à se créer leur propre monde. On pense au vieil homme dans Carcasses, à Boris, à Vic + Flo, à Curling; tous mes personnages sont dans Curling… il y a certainement une continuité de cette démarche avec Antonin qui subit des pressions de toutes parts. On pense à Rose du ministère du Revenu [photo de couverture] qui vient le voir. C’est vrai que c’est un personnage très propre à ma filmographie. En fait, tous les personnages du film vivent un peu à côté du monde.
ODR : L’une des raisons pour lesquelles on dit de ce film qu’il sort du lot, et on en a parlé plus tôt, c’est son aspect anachronique et intemporel, autant dans les dialogues que dans la mise en scène.
DC : J’aime beaucoup trouver des idées pour rendre les choses plus abstraites que de les faire cadrer dans des environnements très sociopolitiques qu’on peut facilement reconnaître. Je n’ai pas envie de faire du cinéma de réalisme social, c’est-à-dire le cinéma en vogue au Québec. Je n’en peux plus. Je ne voulais pas faire de film d’univers trop fabriqué non plus. Je voulais faire entre les deux. J’ai commencé avec Répertoire des villes disparues (2019) et là je poursuis cette réflexion.
Avec ce film-là, on a joué avec les costumes par exemple, qui mêlent les époques. J’ai aussi voulu sortir les personnages de la cuisine, du salon et de la chambre à coucher… On a créé comme des no man’s land pour toutes les scènes, c’est aussi pour ça qu’on a amené les personnages dans des champs anonymes du Québec.
ODR : Ces éléments de costumes, avec les champs et la manière dont ils sont cadrés, renvoient à la théâtralité. J’irais même jusqu’à dire au théâtre de l’absurde; effet accentué bien sûr par les dialogues et les performances. Quel a été l’apport de la théâtralité au film?
DC : Il y a une certaine théâtralité dans le film, entre autres à cause des scènes qui se déploient en longs plans séquences fixes, mais je voulais aussi absolument sortir mon film du théâtre. C’est pourquoi chaque scène, chaque vignette, a un univers sonore qui lui est propre; qu’on a fait des ruptures de ton dans le texte (faire des allusions à Facebook ou faire sacrer un personnage dans un texte qui demeure somme toute théâtral); on a aussi ajouté de la fioriture aux images pour accentuer la distance. Je me suis inspiré de cinéastes comme Albert Serra ou Roy Andersson, qui, oui, adoptent une certaine théâtralité, mais de manière propre au médium cinématographique.
À la fin de l’entretien, Denis Côté a voulu insister sur un dernier point, qui se fait certainement sentir tout au long du film : « Ce n’est que du fun ce film là, pas du gros contenu à intellectualiser, plutôt du marivaudage, du badinage, je pense que c’est une comédie, que c’est drôle, c’est vraiment du fun ».
D’ailleurs, du fun, le réalisateur devrait continuer à en avoir. Il est présentement en tournage d’une nouvelle fiction intitulée Un été comme ça, qui a pour sujet la sexualité féminine; sujet qu’il sait délicat pour lui, mais qu’il a déjà hâte de présenter.
Bande annonce originale :
Durée : 1h15
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