Légende de second plan, visage connu, que l’on ne cesse de rencontrer ici et là dans le cinéma américain des 60 dernières années. Sophie Huber le filme dans toute sa splendeur, au crépuscule de sa vie. ♥♥♥½
Harry Dean Stanton, c’est l’inoubliable Travis dans Paris, Texas de Wim Wenders. Pour beaucoup, c’est probablement le premier, pour ne pas dire le seul, film qui vient en tête lorsque l’on entend ce nom. Pourtant, il figure au générique de près de 200 films puis 1954, mais Wenders est le seul, à ce jour, à lui avoir donner un premier rôle. Stanton, c’est un everywhere man, ami des Elvis Presley, Jack Nicholson, Marlon Brando, Waylon Jenning, Dennis Hopper, Johnny Cash, filmé par tout le monde, de Tavernier à Hichcock et Francis Ford Coppolla à Paolo Sorrentino, en passant par Michael Curtiz, Garry Marshall, Terry Gilliam, Yves Simoneau, Agnès Varda, Martin Scorsese, Robert Atlman, John Carpenter… et surtout Wenders et David Lynch ami de longue date qui filma Dean à 5 reprises.
Sophie Huber braque sa caméra sur Dean Stanton, le laissant parler de tout et de rien, de la vie, la mort, l’amour, des femmes. Elle le fait chanter, sûrement les moments les plus touchants sont ceux quand Stanton chante, avec sa voix éraillée, fatigué par des décennies de cigarettes et autres narcotiques. En chantant, il laisse tombe une certaine pudeur qui le retient quand il parle: «Everybody’s talking at me / I don’t hear a word they’re sayin’ / Only the echoes of my mind». Dit ou chanté par quelqu’un qui vit seul depuis des années, ça peut en dire long sur son état d’esprit.
Huber filme aussi une rencontre avec David Lynch, à qui elle donne le rôle de l’intervieweur, questionnant Stanton sur sa vie, sa carrière : « DL: How would you like to be remembered? HDS: It doesn’t matter.» Une rencontre aussi avec Kris Kristofferson, partenaire à l’écran à quelques reprises, dans Pat Garrett and Billy the Kid de Sam Peckinpah, Cisco Kid de Bill L. Norton, premier rôle de Kristofferson, ensemble, il se remémorent des anecdotes de tournages, des inside jokes impliquant Bob Dylan sur la plateau de Peckinpah. Huber filme aussi des rencontres faussement dues au hasard, dans un versant du film un peu moins réussi, un genre one-day-with-Dean-Stanton, le filmant en auto, au bar, ça nous emmène nul part, ça ne nous dévoile pas un coté du comédien, c’est finalement un peu inutile…
Il y a un dicton qui dit : Biography can’t explain talent. Huber s’y fie, elle n’essaie pas de dresser un portrait biographique de l’homme, mais plutôt un portrait sur son état d’esprit. Un peu comme Scorsese avait fait dans Public Speaking avec Fran Lebowitz (Scorsese était aussi tombé dans le panneau de nous montrer, entre des moments de conversations, un one-day-with), dans les deux films, les cinéastes laissent parler leur sujet, si des notes biographiques viennent s’y rajouter, c’est dû au simple hasard.
C’est Kristofferson qui conclut presque le film, en chantant Pilgrim 33 (le titre du film vient de cette chanson), chanson qu’il dit avoir écrit pour Dean, mais que Johnny Cash croyait écrite pour lui:
See him wasted on the sidewalk in his jacket and his jeans,
Wearing yesterday’s misfortunes like a smile.
Once he had a future full of money, love, and dreams,
Which he spent like they was going out of style,
And he keeps right on a’changing for the better or the worse,
Searching for a shrine he’s never found,
Never knowing if believing is a blessing or a curse,
Or if the going up was worth the coming down.
He’s a poet, he’s a picker,
He’s a prophet, he’s a pusher,
He’s a pilgrim and a preacher, and a problem when he’s stoned.
He’s a walking contradiction, partly truth and partly fiction,
Taking every wrong direction on his lonely way back home.
He has tasted good and evil in your bedrooms and your bars,
And he’s traded in tomorrow for today.
Running from his devils, Lord, and reaching for the stars,
And losing all he’s loved along the way.
But if this world keeps right on turning for the better or the worse,
And all he ever gets is older and around,
From the rocking of the cradle to the rolling.