Grand Theft Hamlet : Être ou ne pas être un jeu

Royaume-Uni, 2024
★★★★

Dans l’inquiétant monde dans lequel nous vivons, où l’individualisme et le chaos semblent triompher, Grand Theft Hamlet se présente comme un rafraîchissant éclat d’humanité et d’ingéniosité. Lauréat du Grand Jury Award au SXSW de 2024, le film transcende son cadre improbable, l’intérieur d’un jeu vidéo, pour livrer une réflexion profonde sur l’art, la communauté et la nécessité de créer, même dans les conditions les plus difficiles.
Alors que Sam et Mark, deux acteurs réellement privés de la scène par la pandémie, se retrouvent à errer sans but dans l’univers tumultueux de Grand Theft Auto Online, ils
prennent une décision audacieuse : monter Hamlet dans cet espace virtuel anarchique.

L’idée semble absurde, voire impossible. Comment monter une pièce de théâtre dans un jeu vidéo où la violence et le désordre règnent en maîtres ? Au fil du film, cette tentative se transforme en une métaphore éclatante du pouvoir de l’art : celui de rassembler, d’interroger, de donner du sens.

Là où GTA est connu pour sa brutalité, Grand Theft Hamlet y insuffle une forme inattendue de beauté. Les cinéastes, tels des artistes du monde réel tentant de faire émerger l’art dans le cynisme contemporain, doivent surmonter des défis titanesques : trouver des joueurs prêts à s’investir, leur faire passer des auditions et surtout, spécificité cocasse de leur projet, éviter d’être tués par d’autres avatars errants. Ces obstacles loufoques donnent lieu à des scènes comiques, mais aussi profondément humaines. Le spectateur assiste à des moments d’une sincérité poignante, comme lorsqu’un joueur confie que c’est la première pièce de théâtre qu’il voit de sa vie, ou lorsqu’une autre personne parle de sa transition de genre en plein coeur du jeu. Au-delà de l’absurdité apparente, le film atteint une profondeur inattendue et pose des questions philosophiques pertinentes en explorant des thématiques universelles : la solitude, la nécessité du lien social et la porosité croissante entre le virtuel et la réalité.

Dans une scène marquante, la coréalisatrice du film doit rejoindre le jeu pour exprimer à son conjoint et coréalisateur, absorbé par le projet, le délaissement qu’elle ressent dans la vraie vie. Ce flou entre réalité et fiction illustre à quel point nos vies sont aujourd’hui entrelacées avec le numérique, et interroge la nature même de nos interactions et de nos engagements.

Le film célèbre aussi la résilience et la créativité sous toutes leurs formes. On assiste à une lutte constante pour donner vie à un projet artistique, malgré les embûches, les départs inattendus – notamment celui de l’acteur principal qui trouve un emploi dans la vraie vie – et les doutes existentiels. La mise en scène ingénieuse et le ton souvent drôle rendent cette quête encore plus prenante. À partir d’un concept qui aurait pu être une simple curiosité, les artistes arrivent à créer une oeuvre inspirante, une démonstration lumineuse que l’art peut surgir partout, même dans les recoins les plus insoupçonnés.

Bref, Grand Theft Hamlet est un film qui réchauffe le coeur et nourrit l’esprit. Il rappelle que, même au sein d’un monde fragmenté, insensible et souvent violent, il existe encore des poches de solidarité et de beauté. Si des joueurs de GTA peuvent s’unir pour monter Shakespeare, alors il y a peut-être encore de l’espoir pour notre réalité.

***

Durée : 1h29
Crédit photos : Project 1961

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