Où voir ça : CRAVE
Production : Lookout Point, BBC, HBO, Anton, World Wonder Ring Stardom
Créée par Sally Wainwright
Scénario : Sally Wainwright, Jill Liddington, inspiré des journaux d’Anne Lister
Réalisation : Sally Wainwright, Edward Hall, Sarah Harding, Jennifer Perrott, Amanda Brotchie, Fergus O’Brien
2 saisons, 16 épisodes de 60 minutes
C’est en avril 2019 que la première saison de Gentleman Jack a fait son apparition sur nos écrans. Créée par la talentueuse Sally Wainwright, à l’origine de grands succès de la télévision britannique comme l’excellent drame social Happy Valley, la série s’intéresse à cette icône lesbienne et féministe qu’une histoire faite par et sur les hommes avait oubliée : Anne Lister dite ‘Gentleman Jack’, figure incroyablement transgressive pour son époque. Les deux saisons sont actuellement disponibles sur Crave.
Si les séries historiques connaissent un véritable âge d’or sur les plateformes, elles proposent également des univers plus audacieux et volontairement anachroniques à l’image des Chronique de Bridgerton sur Netflix ou encore de Dickinson sur Apple TV+. C’est ce désir de rébellion, de transgression dans un monde cerclé de conventions et d’interdits, particulièrement pour les femmes, qu’on retrouve dans les quelques 7 000 pages du journal d’Anne Lister écrites entre 1806 et 1840, année de sa mort. Un récit autobiographique si transgressif que Lister utilise un langage codé de son invention, particulièrement lorsqu’elle y évoque ses relations avec des femmes. Ses journaux ont été décodés, retranscrits et publiés par l’historienne Helena Whitbread en 1988 sous le titre I Know my Own Heart, une reconnaissance tardive près de 150 ans après sa mort. La série, tournée au sein même de son domaine Shibden Hall, nous fait revivre avec intensité la vie mouvementée, souvent difficile, de cette pionnière aujourd’hui considérée comme la « première lesbienne moderne ».
La série commence en 1832 alors qu’Anne, dans la quarantaine, rentre à Halifax après une déception amoureuse. Reprenant la gestion financière de son domaine, elle fait la rencontre de sa riche voisine Ann Walker qu’elle décide alors de courtiser. Suranne Jones est incroyable de justesse dans le rôle d’Anne et rend hommage à cette figure atypique, à son énergie, son intelligence et son refus de se plier aux normes de l’époque. Comme elle le raconte dans ses journaux, il n’est pas rare qu’on la prenne pour un homme d’où son surnom de ‘Gentleman Jack’ (‘Jack’ étant une manière détournée d’évoquer son homosexualité). Anne n’a aucune difficulté à séduire Ann Walker (Sophie Rundle), riche héritière fragile et naïve mais qui gagne en profondeur et en complexité au cours de la deuxième saison.
Les épisodes sont ponctués d’ironie et parviennent à créer une belle complicité avec les spectacteur.trices lorsqu’Anne ou sa sœur Marian (Gemma Whelan) regardent furtivement la caméra pour soupirer les yeux au ciel ou pour commenter une scène en temps réel. L’utilisation de ce procédé rappelle l’excellente comédie Fleabag et ajoute une touche de modernité qui fonctionne très bien – lors du premier épisode de la saison 2 par exemple, nous sommes accueilli.es par Anne qui est visiblement contente de nous retrouver : « Ah, there you are! Good »(Ah, vous êtes là! Bien).
Gentleman Jack nous offre également une perspective très réaliste sur le quotidien d’une famille britannique dans la première moitié du XIXe siècle. Anne est issue d’une des plus anciennes et plus prestigieuses familles du comté d’Halifax. Elle meurt quelques années après l’arrivée au pouvoir de la reine Victoria en 1836, alors que l’économie du Royaume-Uni est bouleversée par l’urbanisation et la Révolution industrielle. Les enjeux politico-économiques de cette période de transition constituent d’ailleurs un fil narratif central de la série, puisqu’Anne prend pleinement part à la vie publique et politique de sa région, notamment à travers l’essor des mines de charbon et la compétition féroce entre propriétaires terriens pour l’exploitation de ces ressources.
Suite aux audiences mitigées de la deuxième saison, la série a été annulée mais Sally Wainwright assure qu’elle a encore beaucoup de matériel sous la main pour continuer à raconter l’extraordinaire vie d’Anne Lister, qui est également connue pour ses exploits en alpinisme. C’est d’ailleurs lors d’une expédition très risquée dans le Caucase qu’elle contracte une maladie à laquelle elle ne survivra pas, en septembre 1840.
Bande-annonce originale :