Production franco-brésilienne, 2017
Note: ★★★ 1/2
Dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma, Fellipe Barbosa est venu présenter son deuxième film, Gabriel and the mountain, vibrant témoignage à son ami disparu en 2009 et pourtant si présent dans le cœur de son auteur. Pour lui rendre hommage, il reconstitue fidèlement les 70 jours précédant sa mort, entre fiction tendre et documentaire étayé en 4 chapitres.
Avant de poursuivre ses études dans une prestigieuse université américaine, Gabriel voulait découvrir le monde, notamment les terres africaines. Son périple l’amènera du Kenya jusqu’au Malawi, sa dernière destination. Ayant abandonné son guide en chemin, son entêtement le poussera à gravir en une journée le mont Mulanje, où il mourra d’hypothermie à 28 ans.
Dès les premières minutes du film, le réalisateur ne joue pas sur l’attachement du spectateur au personnage principal, balayant tout effet de suspense inopportun. Présageant une fatalité inexorable, la caméra en plongée suit deux hommes fauchant des herbes jusqu’à la découverte de la dépouille de Gabriel. Il est là, inerte, le corps lové sous une roche, dans un linceul bucolique que la nature vient rendre apaisant. Pendant un instant, Gabriel ne court plus après le temps. C’est dans ce seul plan emprunt de poésie que se dessine sous nos yeux toute l’affection du metteur en scène pour son ami.
Au début de la projection, on se questionne sur la crédibilité d’un tel projet. Il faut dire que l’idée de départ, bien que séduisante, peut rapidement s’avérer périlleuse. En effet, le cinéaste aurait pu se laisser emporter par l’émotion et par le souvenir idéalisé de Gabriel. Il n’en est rien. Barbosa brosse un portrait tendre, néanmoins critique, de son ami en perpétuelle contradiction dans ses actions comme dans ses questionnements. Il peut être capricieux et impulsif (écoutant juste son instinct) mais aussi dans le partage en train de jouer au soccer avec des enfants du coin. Véritable boule d’énergie, le jeune homme aime être au centre de l’attention, quitte à blesser les gens qui l’entourent, particulièrement Cristina, sa copine venue le visiter une partie du séjour.

Du Kenya à la Tanzanie, en passant par la Zambie et le Malawi, Gabriel s’acclimate vite aux coutumes et traditions des différents pays qu’il visite. Il se lave dans une bassine d’eau froide, marche avec un bâton massaï et des sandales faîtes de pneu découpé tout en arborant fièrement l’habit traditionnel. Cependant, il le porte pour générer de la sympathie, explique t-il à son amie, ce qui lui confère un côté calculateur annihilant toute démarche sincère d’intégration.
Pour lui, pas question de se faire appeler Mzungu (l’homme blanc), ne souhaitant pas être assimilé au tourisme de masse (il préfère qu’on dise le Mzungu brésilien), Et pourtant, il n’hésite pas à utiliser ce terme local pour attirer l’attention d’un chauffeur de poids lourd et ainsi obtenir un moyen de transport gratuit. Bourré de paradoxes entre son idéalisme et son intérêt personnel, Gabriel chante avec les villageois, partage des repas, parfois même un lit. Il n’en n’oublie pas pour autant de se mettre en scène en prenant de nombreuses selfies qui matérialisent son voyage.
« Faire ce film, c’était une rencontre, j’avais l’impression qu’il me regardait » nous raconte Fellipe Barbosa après la projection. Et quelle rencontre quand on sait que Gabriel et lui se connaissaient depuis leurs études au Brésil. Sans trop de difficultés, le réalisateur a ainsi obtenu l’autorisation de la famille pour retranscrire avec précision les derniers moments marquants de la vie du défunt, notamment grâce aux photos et au carnet de voyage retrouvés dans ses affaires. De fait, il a redécouvert son ami qu’il pensait connaître à travers le regard d’inconnus croisés le temps d’une randonnée, d’un souper voire d’une nuitée.

Entre documentaire et fiction, la préparation du tournage n’a pourtant pas été sans peine car il a fallu retracer toutes ces personnes avec qui le jeune homme avait lié contact. Dans un réel souci du détail elles incarnent leur propre rôle faisant de João Pedro Zappa (Gabriel) et Caroline Abras (Cristina) les deux seuls acteurs professionnels du métrage. En outre, les voix off des villageois viennent ponctuer le film et l’habiller d’un ensemble authentique qui sied à la personnalité éclatée et colorée de Gabriel, à l’instar de ses tenues vestimentaires. Barbosa offre ainsi un regard critique plein de tendresse à l’égard de son ami dont l’arrogance juvénile peut cependant irriter. Également présent dans la salle ce soir-là, Fabio (un ami de Fellipe Barbosa visiblement ému par l’œuvre) nous a confié qu’il a appris ce que c’est d’être libre et tendre envers les autres grâce à Gabriel. Quitte à être égoïste, ce dernier n’avait pas peur de vivre à la recherche du bonheur, scrutant la beauté dans les moindres gestes et situations du quotidien qu’il se plaisait à photographier dans l’instant présent. « Il est parti pour un autre voyage » nous dit-il. Quant à l’anecdote de son deuxième gant que tous croyaient perdu (un seul avait été retrouvé), le metteur en scène, lui aussi dans la confidence, nous explique comment, par le plus grand des hasards, le chef décorateur a mis la main dessus. « Il voulait nous dire au revoir ». Un au revoir, certes douloureux, mais porteur d’espoir.
Malgré une fin inéluctable appuyée par des métaphores visuelles (flèche, grotte assombrie), le metteur en scène arrive à égrainer quelques notes d’humour bien senties au moyen de selfies surréalistes et d’une partie de chasse pleine de légèreté. Avec Gabriel and the mountain, il tenait à s’éloigner d’Into the wild, une œuvre de Sean Penn plus métaphysique et absconse. Il y arrive non sans peine, filmant une nature silencieuse face au chaos orchestré par le tempérament ardent de Gabriel. Toujours en train de courir après les gens, après l’argent, il semblait fuir la mort qu’il sentait arriver. Dorénavant, il ne court plus après le temps.
Durée: 2h12