Entrevue avec Pascale Bussières l’enjouée

Vendredi 26 février 19 heures : on se dirige vers la cinémathèque québécoise pour rencontrer Pascale Bussières, à la carrière cinématographique florissante, qui nous a fait la gentillesse de nous accorder une entrevue juste avant sa leçon de cinéma animée par Marie-Louise Arsenault. Elle arrive décontractée, jean et marinière à l’appui, dotée d’une jovialité communicative.

Suite à un automne 2015 plutôt chargé avec la sortie de 3 films (Ville-marie de Guy Édoin, Anna de Charles-Olivier Michaud et Les démons de Philippe Lesage), l’actrice souligne le hasard fortuit d’avoir été approchée en décembre dernier pour être la porte-parole de la 34ème édition des Rendez-vous du cinéma québécois, 34 ans après avoir été révélée dans Sonatine de Micheline Lanctot.

Les Démons : Photo
Les démons

Elle nous confie se trouver à un tournant de sa carrière, “avoir franchi un cap”, même si elle n’aime pas le terme de bilan qui annonce souvent la fin de quelque chose. À l’aube de ses 50 ans, la maturité et ses expériences de jeu ont modifié son rapport au travail, lui conférant une certaine lucidité sur les propositions de tournages qui se font plus rares. C’est alors le cœur léger et plein d’entrain que Pascale envisage l’avenir en épousant l’idée d’aller chercher les projets, de se tourner vers les autres, chose qu’elle ne se serait pas autorisée auparavant. Ainsi, elle préfère s’imaginer être le vecteur de mouvements que d’attentes.

Tout comme ses désirs qui changent, on évoque avec elle le glissement de la consommation du cinéma vers de nouveaux formats de visionnement (plates-formes en ligne) ainsi que la fermeture de l’Excentris. Pourtant, le cinéma québécois n’a eu de cesse de briller à l’étranger ces dernières années avec le succès public et critique de réalisateurs tels que Denis Villeneuve (Prisonners, Sicario), Jean-Marc Vallée (Dallas buyers club), ou encore Xavier Dolan (Mommy). Pour l’actrice, cette reconnaissance internationale est imputable à l’efficacité et à la rapidité dans l’exécution des tournages souvent plus courts qu’aux États-Unis et en Europe (environ 23 jours pour Ville-marie). Au Québec, on fonctionne en termes de locations pour éviter des dépenses malvenues en multipliant les lieux de tournages, ce qui contraint les scénaristes à user d’imagination et de stratagèmes de plus en plus créatifs. En outre, il n’y a que très peu de répétitions avant les prises de vue.

Néanmoins, dans la Belle Province, il n’est pas toujours facile d’avoir une identité culturelle forte quand celle des États-Unis est si présente. On comprend alors, lorsqu’on lui pose la question, que le mot qui qualifie le cinéma québécois est “irréductible”, à l’image du village d’Astérix qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, symbolisé ici par nos voisins du sud.

Ville-Marie : Photo Monica Bellucci, Pascale Bussières
Ville-Marie

Mais avant celui d’actrice, elle affectionne tout autant le statut de spectatrice. Pour elle, le cinéma a une fonction sociale très forte et les acteurs ont un rôle prépondérant dans ce partage de données. Elle aime aller au cinéma regarder des films pour le plaisir, tout en étant très critique à l’encontre du jeu de ses collègues (déformation professionnelle). Elle avoue être impressionnée par les talents de Normand D’Amour, Roy Dupuis ou encore Laurent Lucas avec qui elle a partagé l’affiche dernièrement (Les démons). On a ensuite demandé à la comédienne quel était son premier souvenir de cinéma. Sans hésitation, elle nous a nommé La vraie nature de Bernadette (Gilles Carle) puis Eldorado (Charles Binamé) et Crazy (Jean-Marc Vallée) comme films de chevet.

Habituée au cinéma d’auteur plus qu’à la comédie, c’est après la naissance de ses deux garçons que quelque chose s’est décomplexé en elle, lui insufflant assez d’énergie pour s’essayer à ce genre souvent dénigré et délaissé. Au cours de la rencontre avec le public, elle nous livrera qu’avec le recul elle aurait aimé faire plus de télévision mais, qu’à ses débuts, la démarcation entre le petit et le grand écran était beaucoup plus forte alors que, de nos jours, la transition de l’un à l’autre s’opère plus simplement. Sa participation aux séries Le coeur a ses raisons, Les Bobos et Complexe G tout en alternant des films au cinéma en est un bel exemple.

Au début, il n’était pas toujours facile de se voir sur la toile ainsi que pour ses proches qui ressentaient parfois un certain malaise (scènes d’amour notamment). Ses enfants, eux, ont réellement pris conscience de son travail lors du visionnement de Sonatine où elle devait jouer la mort à 13 ans seulement. “Tu ne le vis pas comme une réalité absolue” nous dit-elle. Il faut arriver à fermer des tiroirs. Même si, étonnamment, les rôles lui rentrent plus dedans avec les années, ce qui n’est pas négatif pour elle.

Devenue aventureuse, Pascale Bussières est séduite par ces jeunes réalisateurs pleins de fraîcheur et d’audace qui appréhendent la vie dans leurs films de manière très singulière, à l’image de Guy Édoin qui l’a dirigée à deux reprises. Sa curiosité la mènera sous la direction de Guy Maddin (Twilight of the Ice Nymphs) pour le marché anglophone et en France dans La répétition de Catherine Corsini aux côtés d’Emmanuelle Béart. À ce propos, elle évoque un tournage psychologiquement difficile (elle a appris qu’elle était enceinte la veille du tournage, à Copenhague, loin du père de l’enfant) et pour mieux exprimer son ressenti face à la réalisatrice, elle prend comme référence le documentaire de Damian PettigrewFellini : I’m a born liar”, où ce dernier dit des acteurs qu’il les voit juste comme des marionnettes dont il tire les ficelles.

La Répétition : Photo Catherine Corsini, Emmanuelle Béart, Pascale Bussières
La répétition

Plus avant dans l’entrevue on évoque l’importance que sa mère a joué dans ses débuts sur grand écran. C’est après une annonce de Francine Grimaldi sur les ondes de Radio-Canada que cette dernière laissa une note sur le frigidaire, qui restera là plusieurs jours, avant que sa fille ne se décide à y répondre.

Pascale Bussières: « Au départ, l’envie de faire du cinéma n’était pas présente ».

La notion de jeu lui échappait, Pascale ne comprenait pas vraiment la responsabilité de l’acteur. Au fur et à mesure, elle a appris à aimer être dirigée, même si au Québec il existe une certaine forme de respect des réalisateurs qui laissent la part belle à l’improvisation, les acteurs pouvant se sentir livrés à eux-mêmes. On revient alors sur l’expérience de tournage de Ma vie en cinémascope où, pour le coup, Denise Filiatrault en voulait toujours plus, à la recherche des moindres détails. Il était nécessaire qu’elle sorte de sa zone de confort, ce qui s’avérait être un vrai défi.

ma-vie-en-cinemascope
Ma vie en cinémascope

C’était un anti-casting. La réalisatrice voyait en elle des choses dont elle ne soupçonnait même pas l’existence. Il lui a fallu danser, chanter Vive la Canadienne « tout en étant sexy sur une table à café” nous conte la principale intéressée en se levant et en gesticulant. Elle s’est alors dit qu’il fallait casser le ridicule dès le premier jour afin de rentrer dans son personnage. Et ce fut payant: succès critique et public avec à la clef un prix Jutra de la meilleure actrice qui, néanmoins, n’aura pas de répercussions sur le reste de sa carrière selon ses dires.

Depuis, celle qui aime partager ses expériences de cinéma caresse le rêve de réaliser son propre film et pense à écrire un essai sur la profession. Si Pascale est aussi volubile à l’écrit qu’à l’oral, gageons qu’à la lecture des premières lignes ses histoires sauront captiver le public. Généreuse de sa personne, comme de ses propos, elle y est allée d’anecdotes professionnelles plus amusantes les unes que les autres, pendant près de deux heures, face à un auditoire conquis. Finalement, c’est sur un plateau de tournage qu’elle se sent le mieux, avec une mécanique qu’elle connaît bien, plutôt rassurante de par son côté artisanal.

Malgré le temps qui passe, Pascale Bussières a conservé l’espièglerie d’une enfant qui veut toujours s’amuser et apprendre de son art. Espièglerie que l’on aura plaisir à retrouver dans The saver, son prochain film à paraître.

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