Endorphine : Temps d’arrêt

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Largement inspiré des univers de David Lynch et Alain Resnais, avec une dose dInception (2010) ajouté à la recette, le résultat est Endorphine, un film formellement saisissant par sa nature expérimentale et sa narration mystificatrice. ♥♥♥½

Signé par le cinéaste québécois André Turpin, mieux connu comme le directeur photo de succès québécois tels que Incendies (Denis Villeneuve) et Mommy  (Xavier Dolan), Turpin dévoile néanmoins ses talents de réalisateur dans ce conte temporel impérieux et confus d’une jeune fille qui est témoin de l’assassinat barbare de sa mère puis qui revit, en répétition, l’événement marquant dans ses rêves et sa vie éveillée. C’est ainsi qu’elle sera engouffrée dans un trou cauchemardesque dont elle ne peut jamais tout à fait échapper.

Quatorze ans après Un crabe dans la tête, ce nouveau long métrage est le genre de film qui pourrait se trouver un public culte auprès des amateurs qui pourront apprécier les prouesses techniques et la diversité des images perturbantes — pour ne pas mentionner les références culturelles allant d’une recréation cinématographique de la célèbre photo « Trolley, New Orleans » de Robert Frank à une scène tout droit sortie du film A Christmas Story (1983).

Endorphine

Endorphine: Une sombre histoire sur la mémoire et le continuum de l’espace-temps

En sautant entre les séquences réparties sur plusieurs périodes de temps — l’une impliquant une fille de 12 ans, Simone (Sophie Nelisse); une autre Simone en tant que jeune adulte (Mylène Mackay); et une dernière comme une femme d’âge mûr (Lise Roy) — l’histoire explore comment la jeune fille est profondément traumatisée quand elle observe sa mère se faire tuer dans les escaliers d’un immeuble. Impossible de lui venir en aide, Simone perd connaissance, pour ensuite se réveiller dans une boucle perpétuelle où elle revoit continuellement l’attaque à différents stades de sa vie, incapable pour elle de distinguer la réalité des activités de sa propre conscience.

Il n’y a pas d’intrigue concernant l’identité du tueur — nous savons déjà qui il est, mais il ne semble pas important dans ce récit surréel — ni tellement sur le développement des personnages au-delà des effets qu’entraîne l’homicide sur le psychisme de Simone. Le film offre toutefois en place une enquête sur les principes de la physique et de la relativité quantiques au cours d’une série de conférences pendant la progression du récit — qui implique aussi une ligne narrative passionnelle entre Simone et sa voisine, qui espionne cette dernière à travers la ruelle comme dans Rear Window (1954).

Les spectateurs qui recherchent un scénario à suspense seront déçus par un film qui se tourne délibérément sur lui-même plutôt que d’offrir une structure en trois actes simples. Mais les ellipses dans l’espace et le temps sont traitées de façon intrigante, avec des scènes où Simone tombe dans les pommes, parfois de manière intentionnelle par l’intermédiaire d’un jeu d’étranglement, qu’elle engage avec son cousin — un garçon qu’elle tente même d’embrasser à une occasion.

Aussi bizarre que tout cela semble — en n’oubliant pas le trou qui apparaît soudainement de la main de Simone ou la scène où un individu lui arrache son doigt — la direction maîtrisée de Turpin fait Endorphine une œuvre particulièrement intéressante et rafraichissante, mais d’une variété extrêmement exigeante et sombre. En étroite collaboration avec la directrice photo Josée Deshaies (Saint Laurent) et le concepteur sonore Sylvain Bellemare, André Turpin crée un monde onirique palpable qui se sent à la fois réel et cinématographique, nous obligeant à remettre en question la véracité de ce que nous voyons, tout comme les interrogations sur l’imagination de Simone qui a peut-être finalement obtenu le meilleur d’elle.

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