Drame social sous pavillon non complaisant – ♥♥♥½
Suite à une avarie en salle des machines, le Diego star, un cargo russe doit s’arrêter à Lévis pour réparer. Le capitaine fait pression sur l’équipage pour qu’il se taise, lors de la vérification de la conformité du bateau par les services portuaires. Traoré, un mécanicien africain, est logé chez Fanny, une jeune mère monoparentale, en attendant de pouvoir rembarquer. Seuls et méfiants, ils vont s’apprivoiser alors que l’hiver recouvre peu à peu la ville.
Bruit assourdissant, urgence, stress et cris dans les entrailles du cargo puis calme, silence et Nature cathartique sur le pont : en quelques secondes, Frédérick Pelletier réussit à plonger le spectateur dans le quotidien de Traore (Issaka Sawadogo), ivoirien poussé par la misère à quitter sa famille pour travailler comme mécanicien dans un bateau russe hors d’âge. Tout l’équipage, d’origines très diverses, n’a d’autre choix que de travailler ainsi. Mais quand les autorités portuaires les interrogent, une alternative lourde de conséquences se pose à eux : se taire et continuer à travailler en espérant être bientôt payés ou dire la vérité et rester à quai. Poussé par les autres marins, Traore décide de parler. Laissé seul face à ces allégations puis abandonné par le capitaine du navire, tous les éléments se referment sur Traore comme un piège implacable. Le réalisateur dénonce ici l’impunité des armateurs, la lâcheté humaine et l’absurdité des pavillons de complaisance, dont les possibles répercussions internationales font fermer les yeux aux autorités portuaires. Cet esclavage moderne, enfanté par la mondialisation sauvage est très intelligemment mis en miroir avec la crise économique pour interroger les relations de solidarité qui peuvent se créer entre les victimes de ces deux systèmes.
De son côté, Fanny (Chloé Bourgeois), désabusée et malheureuse, ne fait plus confiance à personne. Coincée entre une mère tantôt envahissante tantôt la rejetant, un job instable et son fils en bas-âge, elle accepte de loger Traore pour arrondir ses fins de mois. Sans que l’on en insiste davantage sur leur vie passée, on assiste ici à la rencontre de ces deux âmes en peine trainant leur solitude. Les barrières tombent peu à peu et ils se découvrent des points communs : lui n’a pas vu ses enfants depuis des années, elle n’arrive pas à joindre les deux bouts et à s’occuper de son fils. Ils réapprennent ensemble, à faire confiance à quelqu’un d’autre. Mais que vaut ce lien, face à la mécanique inflexible d’une administration pour qui l’humain a disparu ? Les deux acteurs principaux incarnent à la perfection leurs personnages, ballotés par la vie et leur performance est une des grandes réussites du film, même si les seconds rôles ne sont malheureusement pas aussi réussis. Pour un premier pas dans la réalisation d’un long-métrage, Frédérick Pelletier fait preuve d’une grande maîtrise, ne se perdant pas dans les circonvolutions ou les intrigues parallèles mais collant parfaitement à son sujet. Chargée en émotions, cette incursion dans l’intimité de ces personnages ne vous quittera pas facilement. La véritable moisson de reconnaissances internationales, notamment auprès du public, que récolte le film dans sa tournée internationale n’en est qu’amplement méritée.
Réalisateur : Frédérick Pelletier, scenario : Frédérick Pelletier, image : Philippe Roy, son : Frédéric Cloutier & Benoit Biral, production : Pascal Bascaron, Sylvain Corbeil, Nancy Grant & Marion Hänsel, distribution : Issaka Sawadogo, Chloé Bourgeois, pays : Belgique & Canada, durée : 91 min.
Reflet d’or du meilleur film de fiction au festival Tous écrans de Genève ; Papillon d’argent / prix du public au Festival de Lille ; prix spécial du jury et louve du meilleur acteur pour Issaka Sawadogo, 42e FNC (Compétition FOCUS), Montréal ; meilleur réalisateur, SANFIC 2013, Santiago (Chili) & Big Screen Award Competition au Festival International du Film de Rotterdam.
Découvrez notre entrevue avec Frédéric Pelletier