Lauréat de la Palme d’Or au Festival de Cannes 2015, Dheepan démontre une nouvelle fois à quel point Jacques Audiard est un auteur à part qui sait manier le mélange des genres avec brio. A une époque où le cinéma français est de plus en plus guindé et s’exporte mal, Audiard fait bouger les lignes en intégrant à nouveau des éléments de polar au cœur d’un récit social. Il reste ainsi fidèle à la formule qui faisait toute la réussite de son chef-d’œuvre Un Prophète. ♥♥♥♥
Pour comprendre et apprécier Dheepan, il faut le regarder à l’aune de toute la filmographie de Jacques Audiard. Des films peuplés de protagonistes laissés pour compte, souvent écrasés par leur environnement et flirtant toujours avec l’illégalité. Le basculement vers le polar se veut toujours progressif et naturel. Comme si l’explosion de violence qui conclut souvent ses films était inéluctable. Opérant une fascination pour les personnages qui prennent des coups, le cinéma d’Audiard n’est par pour autant misérabiliste et s’intéresse davantage à leur réaction qu’elle soit morale ou non.
Dheepan s’inscrit dans cette lignée en suivant un ancien soldat sri-lankais qui décide de fuir la guerre avec l’aide d’une femme et d’une jeune fille qu’il fait passer pour sa famille. Débarquant dans une cité française pour le moins sensible, le personnage se retrouve confronté à une nouvelle forme de violence, celle du trafic de drogue en banlieue parisienne. Tiraillé entre son désir de s’intégrer ou réagir de manière radicale à la criminalité qui ronge son quartier, Dheepan se retrouve face à un dilemme moral qui se révèle être le moteur du récit.
Jacques Audiard déclare avoir eu en tête Chiens de Paille de Sam Peckinpah durant toute la phase d’écriture (qu’il a partagé avec le jeune Noé Debré et Thomas Bidegain). A l’image du chef-d’œuvre de 1971, Dheepan s’intéresse à la part d’animalité en l’homme et aux frontières qui délimitent un probable basculement vers la violence. En réalité, le film de Jacques Audiard s’inscrit également dans la droite lignée d’un certain cinéma américain des années 70, les films d’auto-défense en tête. Un genre cinématographique créé en réponse à une criminalité galopante dans les grandes villes américaines. L’un des représentants les plus emblématiques de cette mouvance est Taxi Driver de Martin Scorsese dont le personnage principal interprété par Robert de Niro portait également les stigmates de la guerre.
Ainsi Dheepan est une histoire d’amour et de survie dans un contexte hostile mais aborde aussi la thématique de l’éternel retour. Audiard insiste en effet sur le caractère cyclique des événements et sur le fait que les individus sont prompts à reproduire les mêmes actes où qu’ils soient. Un film pessimiste en somme dont le propos est quelque peu mis à mal par une fin édulcorée qui se révèle être la seule grosse faiblesse du long-métrage.
Quoi qu’il en soit, même si Dheepan n’est pas le meilleur film de son cinéaste, il demeure une véritable réussite sur de nombreux plans et mérite amplement son succès critique et public. Pour Jacques Audiard, il confirme également son statut de meilleur metteur en scène français actuel ainsi que ses capacités ahurissantes dans le domaine de la direction d’acteurs.
Auteur: Benjamin Sivignon