Deux jours, une nuit

Le chef d’œuvre des frères Dardenne et l’un des grands films de la décennie actuelle. ♥♥♥♥♥

Avec leur cinéma direct, social et percutant inspiré de Robert Bresson ou Roberto Rossellini, les frères Dardenne n’ont pas pris de temps à imposer leur marque dans le cinéma mondial contemporain. Leur première œuvre, La Promesse, lauréat de la caméra d’or à Cannes, a soufflé la planète cinéma en 1996. 3 ans plus tard, c’est sous l’ombre d’un Festival plutôt mouvementé qu’ils reçurent la palme d’or pour le mémorable Rosetta. S’en suivirent deux autres œuvres majeurs, Le Fils et L’Enfant et une deuxième palme d’or. Les deux films suivants, Le Silence de Lorna et Le Gamin au Vélo, commençaient toutefois à sentir la redite. Les Dardenne peinaient à faire transparaitre l’émotion et leur cinéma social se teintait de mélo et d’un manque cruel d’empathie pour leur personnage. Avec leur dernière œuvre, Deux Jours, une Nuit, présentée encore une fois à Cannes en 2014, les frangins sont de retours au sommet de leur art avec ce qui constitue leur chef d’œuvre.

Le synopsis est fort simple ; Marion Cotillard interprète Sandra, une jeune mère Belge, qui dispose d’une fin de semaine pour convaincre la majorité de ses collègues de renoncer à leur prime de 1000 euros pour que celle-ci puisse conserver son emploi.

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Seulement avec le synopsis, on devine dans ce portrait éminemment social, rural et intimiste l’univers habituel des frères Dardenne. La caméra est toujours aussi intrusive, dérangeante et mobile, suivant Sandra pas à pas dans chaque rencontre qu’elle devra effectuer avec ses collègues. Chacune de ces rencontres est écrite précisément pour venir confronter le spectateur, le mettre face à ses contradictions et ses préjugés quant à la détresse et la misère humaine – la honte de Sandra comme les réactions multiples de refus ou d’acceptation de ses collègues auxquels nous nous identifions si naturellement. Les célèbres frères ne jouent pas dans les préjugés ou dans leur contraire, mais dans les nuances, autant en ce qui concerne le statut social, l’âge que l’origine ethnique de tous les personnages du film. Les frères, loin de sombrer dans la didactique ou la moralisation comme ils ont déjà pu le faire, illustrent tout doucement la situation, nous invitant à y pénétrer pour mieux la comprendre de l’intérieur. Nous sommes ainsi confronté à  nos propres préjugés et nos propres réactions face à la détresse humaine dont nous sommes témoins à divers degrés dans nos vies quotidiennes.

Alors qu’il aurait été facile de faire une dualité entre le pauvre employé sans défense et l’impitoyable employeur, les Dardenne ne tombent pas dans ce piège si facile (l’employeur est d’ailleurs plutôt compréhensif et empathique alors que le véritable adversaire semble être le chef syndical). Exit l’exacerbation des tensions entre classes sociales ; il existe déjà suffisamment de tension au sein même de ces classes. Cette approche frappe aussi fort et rend Deux Jours, une nuit unique dans la filmographie des Dardenne en raison de la sincère empathie ressentie pour tous les personnages du film et non pas uniquement quelques uns. Le spectateur sent ainsi un véritable amour, un véritable désir de compréhension, autant pour l’employeur que pour les employés qui acceptent ou refusent de recevoir la prime. Aucun jugement n’est porté sur les personnages et cette empathie transparait dans chaque plan du film et secoue le spectateur bien après la fin de la projection.

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La question philosophique profonde  dont il est question dans le film est passionnante et beaucoup plus complexe dans son application que dans sa théorie et c’est ce qui au final transparait du film qui l’illustre parfaitement. Serions-nous prêt, pour des raisons d’empathie ou de morale, à renoncer à une si grosse sommes d’argent à portée de la main ? Serons-nous encore capable de détourner les yeux ou feindre l’ignorance lorsque nous ferons face à une nouvelle situation de détresse humaine ? Une chose est sûre, toutes ces questions ne saurons dorénavant être évitées ou ignorées par ceux qui ont vu le film ; un monument de simplicité et d’empathie qui frappe au cœur comme peu de film contemporain et qui chamboule le corps et l’esprit des semaines durant.

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