Parmi les artistes oeuvrant dans le restreint milieu du cinéma de genre au Québec, et plus particulièrement dans le genre horrifique, se trouve une femme s’y étant fermement imposée, y apportant sa sombre magie depuis maintenant bon nombre d’années. Cette femme, au franc parlé rafraîchissant et à l’énergie à la fois pétillante et contagieuse, c’est Izabel Grondin. Réalisatrice et scénariste indépendante, celle-ci a réalisé un nombre important de courts métrages, tels que La Table (2013) ou encore Aspiralux (2002), qui ont voyagé de festival en festival partout à travers le monde. Izabel est présentement en processus de financement pour son premier long métrage, Les Oubliés, en plus d’être en période d’écriture financée pour un second long métrage, Hors-Piste. Ayant généreusement accepté de m’accorder un entretien malgré son emploi du temps chargé, c’est par un vendredi après-midi dans un restaurant déjeuner de Montréal que je rencontre la cinéaste. C’est avec des yeux reflétant sa passion incurable pour son domaine qu’elle répond à ma première question, celle-ci visant à en savoir davantage sur ses premiers contacts avec l’horreur, et comment le tout s’est concrétisé dans son parcours.
Izabel Grondin : Moi ça a commencé dès la tendre enfance, dès que j’étais une toute petite fille. J’avais déjà une fascination pour les « méchants » dans les bandes-dessinées, tout ce qui était magique, hanté, les sorcières, les forêts magiques, ces trucs-là. Pis y’avait une émission pour enfants que j’écoutais pas, mais qui jouait quand même, dont j’avais connaissance, qui était Sesame Street. Dans Sesame Street, y’avait un personnage qui était le Count Dracula, qui t’apprenait les chiffres, et moi je capotais sur ce petit personnage-là. Déjà, j’avais un thrill pour ça. Et quelques années plus tard, je te dirais vers l’âge de peut-être neuf ans – ça a été assez précoce dans mon cas –, j’avais vu tout à fait par hasard un film…un film « d’horreur ». Le mot est gros parce que quand tu regardes ça aujourd’hui, c’est pas vraiment « horreur ». De mémoire c’était Dracula A.D. 1972, c’était un film de Hammer avec Christopher Lee, Peter Cushing, pis Christopher Lee faisait le Comte Dracula là-dedans. Et j’avais vu ce film-là, j’avais 9 ans, puis évidemment c’était pas les films que j’avais le droit d’écouter à la maison, mais ça m’avait bouleversée. J’étais … comment j’pourrais dire, hypnotisée par ce personnage-là que je trouvais hyper charismatique, hyper beau, pis tout ce qui allait avec ça : les femmes dans le château, les dents, la morsure, le sang. Y’avait des trucs qui étaient très érotiques aussi là-dedans. T’sais quand t’as 9 ans, tu commences un peu à te faire ton chemin au niveau de ta sexualité. C’est sûr que c’est des images qui m’ont … qui m’ont marquée définitivement, et puis là, l’amour du cinéma d’horreur, ça a été instantané à partir de ce moment-là. Donc, moi – là c’est vrai que j’ai l’air d’une grand-mère de dire ça -, mais quand moi j’avais neuf ans, bien évidemment y’avait pas d’internet, y’avait pas le câble, on avait peut-être deux, trois postes qui rentraient sur notre télévision en noir et blanc pas de télécommande, et puis y’avait cette émission-là, qui s’appelait Le Cinéma de 5 heures, où jouaient très souvent, – impensable aujourd’hui – , des films de genre à cinq heures, à l’heure du souper, quand les enfants reviennent de l’école. Et puis le soir, des fois, ils faisaient des spéciaux. C’était pas Le Cinéma de 5 heures, mais sur la même chaîne, ils présentaient des films d’horreur. Alors, j’avais pas le droit d’écouter ça mais c’était très fréquent que je fasse semblant d’aller me coucher, et puis j’attendais patiemment qu’il soit onze heures et demie le soir, même si j’avais de l’école le lendemain, je mettais les écouteurs, puis j’allais m’asseoir en indien devant la télévision pour écouter le film, et pour moi ça c’était le best du best. J’étais hyper heureuse. Mes plus beaux souvenirs d’enfance, c’est ça.
Loucas Patry : Ces œuvres-là, est-ce qu’on pourrait dire que c’est ça qui t’inspire dans ce que tu fais aujourd’hui ?
I.G : Dans le psycho-sex, j’dirais oui, parce que j’en ai fait quand même quelques uns. Dans l’horreur, c’est vraiment plus tard dans l’adolescence, quand j’ai découvert le cinéma d’horreur italien. Moi mon premier, ça s’appelait, en français Les Frissons de l’angoisse. Deep Red de Dario Argento. J’avais, j’étais … bluffée. J’étais encore un kid, quasiment, quand j’ai vu ce film-là, c’était très macho comme cinéma, très brutal, c’était beaucoup plus gore, y’avait du sang, y’avait beaucoup de violence. J’dirais que ça, ça a été mes premières inspirations, dans mes premiers films. Pis même encore un peu aujourd’hui. Mais ce qui est resté de ça, c’est le côté brutal, peut-être le côté macho un peu aussi, puis le côté érotique avec lequel j’haïs pas flirter. Pour le reste, mes inspirations, avec les années, avec l’âge, tout ça, ça a changé, c’est sûr. Je dirais que là j’suis beaucoup plus interpellée par des films qui vont vraiment venir me chercher au niveau de la terreur, oui, mais psychologique, ou qui vont venir me bouleverser sur le plan psychologique ou me déstabiliser, comme Dogtooth de Yórgos Lánthimos ou des films de Micheal Haneke. Ou même le dernier, Elle, de Paul Verhoven, que j’ai trouvé… [envoi d’un baiser soufflé], quel bon film. Drive, Neon Demon, des ambiances complètement déjantées. C’est plus ça maintenant, j’dirais.
L.P : Justement, par rapport à ça, est-ce qu’on pourrait dire que, dans tes œuvres qui sont souvent assez graphiques, est-ce qu’il y a un désir de provocation, ou cela se fait naturellement parce que c’est ce que tu aimes mettre en scène ?
I.G : C’est drôle que tu dises graphique, parce que si tu regardes ça attentivement, à part une paire de seins peut-être deux, trois fois – si on peut appeler ça graphique –, tout est suggéré dans mes films. Dans La Table, on ne voit pas les coups de ceinture que la fille reçoit. Le gars qui se fait sodomiser dans Aspiralux avec la balayeuse, on voit le geste, mais on le voit de dos. On voit surtout la réaction du vendeur d’aspirateur, mais on ne voit pas de pénétration, on va pas dans ce degré-là du tout. On voit le gars, il se fait attacher, on voit l’autre, il lui baisse les culottes, on a le temps de voir un quart de seconde de fesses, pis l’autre qui arrive en arrière avec la balayeuse … Mes films ne sont pas graphiques. Ça va changer avec le long métrage, je l’espère, mais j’suis quelqu’un qui préfère plutôt donner dans la suggestion. Je pense que ça opère plus fort, des fois, d’imaginer les choses que de les voir. Des fois on est déçus, un peu. Enfin, j’conçois pas que mes films sont graphiques. Y’en a avec lesquels j’ai essayé d’être graphique, je les trouve très mauvais d’ailleurs. En fait, y’a aucun de mes films que je trouve bon.
L.P : Ben voyons donc.
I.G : Non, aucun.
Ce dernier échange m’amène à mentionner à la créatrice comment j’ai découvert le court métrage Aspiralux du haut de mes onze ans, et comment le film en question m’a fasciné moi et les gens à qui je le montrais par la suite. Cela permet à celle-ci, après une bouchée de bagel commençant à refroidir, d’enchaîner sur les réactions qu’elle a tendance à créer chez le public avec son cinéma.
I.G : J’ai eu droit à toutes sortes de réactions avec Aspiralux, et c’est toujours de la même façon que ça se passe avec ce film-là. Idem pour Fantasme pis La Table, bref, les trois psycho-sex que j’ai faits. Caviar aussi tant qu’à ça, mais c’était une comédie trash. Faite en deux jours, c’était un défi Kino. Écoute, c’est cheap, c’est un film qui a coûté une caisse de 24 pis ce sont les deux acteurs qui l’ont calée. Ça te donne une idée. J’avais deux jours pour écrire, tourner, monter, mixer un film puis le présenter devant public.
L.P : Ça, ça date de quand ?
I.G : Caviar il date de 2005, pis c’est une comédie trash sur la scatophilie [rires]. J’me disais… criff ! Non mais, le monde qui sont là-dedans – oui y’a l’internet, tout ça, mais j’veux dire –, dans un autre domaine, les gens qui ont cette paraphilie … Comment ils font pour se reconnaître ? Comment ils font pour se rencontrer ? Encore là, c’est un autre bel exemple. On voit rien. Le monde, quand il voit le début, avec les titres, puis que c’est écrit « Les spécialistes les appellent les coprophiles ou scatophiles […] », t’entends déjà les gens réagir dans la salle. « Oh man, on s’en va pas là pour de vrai ? ». C’est avec un des gars de Black Taboo, avec la musique de Black Taboo((Black Taboo est un groupe de musique canadien de style hip-hop, misant sur le second degré à travers des chansons aux paroles explicites.))… C’était vraiment une comédie, j’te dirais même que c’est la seule comédie que j’ai faite, puis ça a été au cabaret trash à Spasm. D’habitude, les gens, quand mes films finissent, ils sont pas « Ouaiiiiis! ». Mais ce film-là, le monde, ça gueulait au boute !
Ayant éveillé ma curiosité sur son court métrage Caviar, la réalisatrice m’indique que son unique comédie est disponible sur sa deuxième compilation DVD, Folies passagères 2: contes troubles et déviants. Elle revient ensuite sur ses inspirations au cinéma, mais poursuit aussi sur sa vision du septième art. Sirotant ma boisson chaude, je continue à enregistrer ses dires, l’esprit captivé par ses propos, et le corps un peu agité par le fréquent refill de café.
I.G : Mes inspirations maintenant, c’est vraiment plus tout ce qui est … – j’ai l’impression de me répéter tout le temps mais, on me pose souvent cette question-là, que veux-tu –, le côté sombre qu’on a en nous. Les humains, c’est complexe. J’aime bien être surprise, déstabilisée quand je regarde un film. J’aime ça avoir l’impression d’aller dans une direction mais que finalement on m’amène pas là pantoute. On m’amène ailleurs, ou on m’amène dans des endroits où … ça va bouger au niveau du ventre, au niveau des tripes. Pour toutes sortes de raisons. Le cinéma, pour moi, c’est aussi ça. Oui c’est du divertissement, oui c’est aussi un outil de réflexion, c’est aussi une forme d’art, mais c’est aussi ça. Ça peut être aussi tout simplement pour provoquer, ça peut être du pur voyeurisme, de la pure exploitation. Ça peut servir simplement à dégoûter, à amener des gens dans des zones très extrêmes. J’pense au torture porn. Y’en a qui sont allés vraiment loin. Le but de ces films-là, c’est quoi ? Y’a même plus d’histoire rendu là, le but c’est vraiment de voir comment le monde va mourir, les tortures, puis comment ça se passe. C’est d’aller chercher les gens dans … [soupir dramatique].
L.P : Leur plaisir coupable !
I.G : Oui! Parce qu’après tu te sens en vie, y’a comme un exutoire là-dedans, j’pense. On oublie ça un peu du cinéma de genre. Pis y’a aussi le côté qui fait rêver. Le cinéma de genre, c’est pas juste le film d’horreur. C’est le film fantastique, c’est le western, c’est le film érotique, c’est l’animation, ce sont les thrillers, c’est le film d’action, le film d’aventure, la science-fiction, c’est tout ça. Ici, on est très, très frileux par rapport à cela.
Cette dernière remarque de la part de la réalisatrice m’amène à aborder avec elle une triste réalité touchant le Québec, celle de la trop grande discrétion du cinéma de genre en province. Lui demandant si elle possède des explications ou des hypothèses par rapport à cela, elle ne tarde pas à apporter son point, ayant à peine eu le temps, entre deux questions, d’entamer ses flocons d’avoine qui commencent à perdre de leur fermeté dans le bol de yogourt.
I.G : En fait, faut comprendre qu’au Québec, c’est un peu spécial comme situation. Y’a beaucoup de gens qui veulent réaliser des films. Si on compare aux autres provinces du Canada, au Québec, en prorata, y’a plus de gens qui veulent faire le métier de réalisation que dans le reste du Canada. Y’a très peu d’argent et le cinéma québécois, c’est un cinéma de subvention. C’est un cinéma gouvernemental, d’une certaine façon, qui est géré et administré par des fonctionnaires de l’état, et là on tombe dans une toute autre tranche, évidemment. C’est un peu comme – c’est un exemple, je le donne souvent cet exemple là mais c’est vrai –, moi je connais rien en architecture. Je suis nulle, hein! Je pourrais pas te dire si une construction a été bien faite, si ça va tenir le coup encore pendant dix ans, si y’ont eu les bons matériaux, si le gars ou la fille a bien fait sa job … Moi, tout ce que je peux dire, c’est si je trouve ça beau ou si je trouve ça laid. C’est tout. Donc, je pense que y’a deux choses. Une chose qui n’aide pas le cinéma de genre, au niveau des institutions, c’est que je pense qu’il n’y a pas assez de gens qualifiés, c’est-à-dire qui ont vraiment un champ de compétences élevé, autant dans la littérature que dans la peinture. Parce que le genre, ça remonte à longtemps. J’veux dire, on peut remonter au Caravage, et bien avant. Y’avait déjà des tableaux extrêmement morbides, extrêmement graphiques. Donc, des gens qui n’ont pas cette culture-là, et donc, qui n’ont pas, selon moi, les compétences pour bien évaluer le potentiel d’un scénario d’un film de genre. Ça, c’est mon premier point. Le deuxième point, c’est qu’il persiste encore un snobisme que je trouve dégueulasse, honnêtement. Parce que j’ai vu tellement de mes amis – et moi-même, parfois, j’y songe souvent –, qui ont tout abandonné. Des gens bourrés de talent qui étaient promus à un avenir brillant et qui ont arrêté, parce qu’à un moment donné, c’est pas trop pire être à court à vingt ans, mais l’être à trente, ça commence à être pire, puis à quarante, puis etc. Alors, y’a ce snobisme-là qui perdure, qui vient un peu de nos cousins américains, qui nous gavent beaucoup de films d’horreur qui s’adressent à des publics pratiquement généraux. Donc ce sont des films où y’a beaucoup d’ados retards, ce sont des films avec des scénarios très moches, très convenus, des personnages très caricaturaux, des histoires un peu cucul, où tout est prétexte à voir des bouts de seins, et puis bon, du monde se faire buter. Il y a cette espèce d’image-là, j’pense, qui y est encore associée. Comme si un film d’horreur, un film fantastique ou un film de science-fiction, ne pourrait pas être brillant, bien écrit, bien construit, avec une belle diégétique, avec des personnages qui sont riches, forts. Des films qui deviennent des classiques. Puis, si on regarde dans l’histoire du cinéma, tu demandes aux plus grands réalisateurs de ce monde c’est quoi leurs films fétiches ou les films qui les ont marqués. Demande à Spielberg, Tarantino, Haneke, à un paquet d’autres … Demande-leur les films qui leur ont donné le goût de devenir cinéastes. C’est pratiquement toujours des films de genre qui sortent ! Ça va être Star Wars, ça va être The Shining, ça va être Carrie, ça va être Jaws, ça va être Orange Mécanique, ça va être Duel, ça va être…mon Dieu là, y’en a trop, j’pourrais pas tous les nommer. Ce sont des films qui ont non seulement une forte teneur artistique, mais une charge parfois sociale, politique extrêmement forte. Mais ce sont des films qui apportaient définitivement une saveur unique et … bon. Là maintenant ça s’est perdu, les américains non seulement nous gavent de plus en plus de films retards, mais nous gavent aussi de plus en plus de remakes de films retards, ce dont nous n’avions pas de besoin. Alors je pense que ce snobisme vient de là. Un film de genre, c’est un film dénué d’esprit, d’intelligence, de bonne construction diégétique. Genre, un peu comme un film de cul. Tu l’as regardé, tu t’es masturbé, t’es venu, tu jettes le Kleenex, c’est fini. Moi je me bats, j’ai deux combats dans ma vie.
Suite à cette croustillante métaphore, Izabel, toujours dans l’élaboration du sujet de l’espace restreint du cinéma de genre au Québec, explique les obstacles que cette réalité lui a apporté, et qui continuent encore de se mettre sur son chemin aujourd’hui, sans qu’elle ne cesse toutefois de s’acharner à cultiver ce terrain limité et fragile.
I.G : J’suis mégalomane en cinéma, en passant. Je le dis, direct de même. J’ai aucune ambition dans la vie, mais en cinéma je suis une mégalomane. Vraiment. J’ai la folie des grandeurs, je veux être reconnue comme une référence dans mon domaine. J’veux que ce que j’ai fait dans mon coin ici, puis je l’espère de plus en plus à l’extérieur, ne soit pas en vain … Je sais pas, ça va-tu arriver ? J’en ai aucune idée, mais j’vais tout faire pour que ça arrive. Mais ma deuxième mission c’est justement aussi d’essayer de briser les préjugés. On me dit souvent que je suis une pionnière, puis ça ne me fait pas nécessairement plaisir. Parce que, oui c’est vrai que j’en suis une, je ne suis pas la seule….
L.P : Dans le cinéma de genre, au Québec ?
I.G : Oui. En tout cas, comme femme. S’il y en avait d’autres, dans le temps que j’ai commencé, je les connais pas.
L.P : Moi non plus.
I.G : Puis les gars, il n’y en avait pas beaucoup non plus. Y’avait quelques hommes, mais c’était des cas d’exception. On parle peut-être d’une dizaine, d’une douzaine de gars. Quand t’es pionnier, ta job est horrible parce que t’es devant une forêt très dense, où personne a jamais été, que toi non plus tu y as jamais été, et tu le sais pas si tu vas réussir à traverser. T’as une machette dans tes mains. Tout ce que tu sais, c’est qu’il faut que tu avances. Et puis des fois, y’a des arbres qui sont très durs à abattre. C’est long. Des arbres, ça peut prendre deux, trois, quatre ans à abattre. Là, t’as fait un petit pas en avant. Puis c’est au fil du temps, après dix ans, quinze ans, vingt ans maintenant dans mon cas, puis je compte pas mes années d’université. J’ai pas encore traversé cette forêt-là, et ceux qui vont suivre après, ça va être, je l’espère, beaucoup plus facile pour eux. Mais ce qui est triste, puis c’est là où ma mégalomanie peut en prendre un coup, c’est que les pionniers sont toujours les premiers qu’on oublie. On se rappelle jamais des … tiens je te donne un exemple, connais-tu Alice Guy ?
L.P : Je ne pense pas, non…je crois que j’ai déjà entendu le nom…
I.G : C’est correct. Oui, Alice Guy, c’est une de nos pionnières. Cette femme-là a fait un nombre très important de films. Elle a fait également du film de genre. Personnage extraordinaire dont personne ne sait rien. Bref, j’espère qu’à force de persister dans ma branche avec mon premier long-métrage, Les Oubliés, faire quelque chose de tellement bon que les gens voudront le voir en salles. On le sait que tout le monde télécharge maintenant, mais on espère quand même les entrées en salle. C’est important pour moi de faire ça ici, au Québec, la première de mon film. J’espère que ça va finir par s’assouplir, par changer. Je regarde le beau succès des Affamés. Je regarde comment ce film-là a été quand même très bien foutu. Pis je dis pas juste ça parce que Robin c’t’un ami pis qu’il va jouer dans mon film, j’dis ça parce que je le pense vraiment. Je regarde aussi Guillermo Del Toro qui a scoré partout avec son Shape of Water, qui est un film magnifique, qui reprend un peu le complexe de Frankenstein. Tu regardes Elle de Paul Verhoeven, qui a été un succès, qui est un psycho-sex, un film sublime. Bon, évidemment, Yórgos Lánthimos, j’ai pas vu son récent, The Favorite, les opinions sont très partagées. Moi j’ai pas aimé The Lobster, mais j’ai adoré son premier, Dogtooth. Si on revient un petit peu à ce qui se passe ici, je regarde Xavier Dolan, dont j’admire profondément le génie. Je trouve que ce jeune homme-là est … peu importe ce qu’on en dit, moi je … j’ai l’goût des fois de répondre à certaines personnes : « Tu faisais quoi, toi, quand t’avais 21 ans ? Lui, y’était déjà rendu à Cannes, fait que, ta gueule ». C’est un peu ça que j’ai l’goût de dire. Je trouve que, sans faire du cinéma de genre, y’a son univers, Xavier Dolan, qui flirte justement avec ce qui pourrait se rapprocher du genre. Il joue avec les codes cinématographiques, ce qu’un bon film de genre devrait être capable de faire.
Vient maintenant le moment d’aborder le sujet du premier projet de long métrage de la cinéaste, Les Oubliés présentement en processus de financement. C’est avec une cruauté divine qu’elle nous fait languir en expliquant de quoi le film parlera, ainsi que du cheminement encore actif de ce dernier. Me demandant d’abord si elle devance trop le sujet par rapport à mes questions pré-écrites, c’est avec appréhension que je lui affirme qu’elle peut en parler à sa guise.
IG : Les Oubliés, comme tu le sais peut-être, c’est une adaptation. Et c’est un mélange de quatre genres. Je te dirais aussi que l’objectif de ce film-là, il est très simple, et c’est peut-être ça qui peut désarçonner les gens des institutions. C’est peut-être trop simple. Y’a pas de réflexion politique dans ce film-là, y’a pas de réflexion sur soi, y’a pas de quête d’identité, y’a pas de réflexion sur la vie ou …Y’a pas de moments poétiques, y’a pas de moments contemplatifs non plus. C’est un film qui plonge dans un environnement infernal, qui va rejoindre les peurs les plus viscérales qu’on a, nous les humains. Qui va aussi chercher nos pulsions les plus profondes. On est tous des animaux avec un cerveau. Certain s’en servent mieux que d’autres. Mais on est tous des humains, nous avons tous des pulsions. Et cette histoire-là, elle est très forte, de par son originalité. C’est quelque chose que, moi, j’avais jamais vu avant. J’ai fait : « Mais c’est dingue comme histoire, c’est complètement fou ! ». C’est un film qui durerait 90 minutes. Quand j’en parle aux gens, je dis que c’est 90 minutes d’adrénaline pure. Et j’insiste là-dessus, de pure terreur psychologique, jusqu’à la toute dernière seconde. Et quand j’ai fait le pitch au marché francophone-européen, on a été retenus. On venait d’être refusés à la SODEC pour financer le film, mais on avait été choisis pour représenter le Québec avec le même projet au marché copro européen, qui avait lieu au Québec cette année. D’habitude c’est à Paris, mais là c’était à Montréal. J’ai eu un mini standing ovation avec le pitch. D’habitude, des séances de pitch, c’est plate. Le monde a le goût de dormir. Mais moi j’étais déchaînée. C’est un peu comme ça que j’avais décrit le projet. Juste comme ça, je m’adressais aux gens dans la salle, je disais : « Qui ici a déjà embarqué dans une montagne russe ? ». La plupart des gens ont évidemment levé la main. Je leur ai dit que, quand ils embarquent dans une montagne russe, ils savent ce que c’est une montagne russe. On se rappelle tous c’est quoi le buzz. T’embarques dans ton petit buggy, on t’attache. Puis tu le sais pas ce qui t’attend, mais tu sais que tu vas vivre des sensations fortes. C’est pour ça que t’as choisi les montagnes russes, personne t’as forcé à choisir ça. Ça va être pareil pour Les Oubliés. Tu choisis d’aller le voir, ce film-là. Mais tu sais, en connaissance de cause, parce que c’est ce que moi j’offre aux spectateurs. Parce que, de toutes façons, le livre offre ça. Moi je me dois, dans mon adaptation, d’offrir la même chose. Je peux pas aller aussi loin que Madeleine Robitaille, c’est sûr. Y’a fallu que je mette beaucoup d’eau dans notre vin avec les institutions pour que ce soit passable. Parce que y’a des passages, je peux te le dire tout de suite que ça passerait pas pantoute. Mais vraiment pas. Vraiment, vraiment pas. C’est bien trop heavy. Et puis je décrivais ça, le manège. Je disais : « Vous le savez, quand vous montez, vous l’appréhendez le moment, vous l’appréhendez, vous l’appréhendez, parce que là vous montez, vous montez, vous sentez en vous la tension qui monte, qui monte. Vous savez que vous allez vivre quelque chose. Mais ce que vous savez pas, pis c’est pour ça que vous vous sentez de même, c’est à quelle vitesse vous allez aller, puis à quel niveau vous allez descendre. C’est de ça que vous avez peur. C’est ça que vous craignez. Mais une fois que vous êtes rendus là, vous pouvez plus débarquer. C’est fait, c’est fini, vous êtes pognés là jusqu’à la fin. Et là on vous relâche ». C’est pour ça que j’disais aux gens de très bien profiter des douze, quinze premières minutes où on introduit les personnages. On installe un peu le climat de thriller dès le début pour les dons de la petite fille, qui a des dons de voyance. Et de profiter des petits moments un peu plates de soleil et des tounes de Loverboy, etc., parce que, de la minute où la prise d’otage commence dans l’autobus, je vous jure qu’il n’y a personne qui va lever son cul de son fauteuil jusqu’à la fin. Même les fumeurs, même ceux qui ont envie d’aller aux toilettes, même ceux qui ont des munchies, whatever. C’est le mandat que je me suis donné pour justement briser définitivement les mentalités. Je veux prouver qu’un film québécois de genre peut attirer des gens en salles, qu’il peut avoir une force diégétique, des personnages forts, une structure solide, un climax qui est hyper bien construit, et une fin qui fait comme … « Ahhh, j’viens tu de voir ça moi, là ? ». Mon objectif, c’est qu’après le film, les gens aient le goût de … j’sais pas, soit de faire l’amour ou d’aller voir une petite comédie musicale avec Fred Astaire, quelque chose de léger. Cueillir des marguerites.
Préparant déjà le public à être secoué devant son premier long métrage, Izabel travaille également sur un second projet, Hors-Piste, qui promet un autre déboussolement psychologique chez le spectateur. L’une n’attend pas l’autre, comme on dit. Mais avant d’en apprendre davantage sur le projet, une parenthèse s’ouvre dans la discussion, à propos de frustrantes barrières qui se sont refermées sur certaines des déroutantes créations de la réalisatrice.
I.G : Mon film Fantasme, j’avais signé un contrat avec TOU.TV, pour qu’il soit dans leur collection « déroutante ». Y’était classé seize ans et plus, donc y’avait un avertissement au début du film, pour public mature seulement. Deux semaines plus tard, malgré les cotes d’écoute qui étaient fortes – parce que j’avais accès à ça –, le film a été retiré parce que – il doit pas y en avoir eu une dizaine –, y’a eu deux ou trois twits qui ont vu ça, qui ont trouvé ça épouvantable et qui ont exigé le retrait du film. J’ai eu le même problème avec YouTube. Ma version anglaise a été retirée parce qu’il y a des gens qui se sont plaints. Je touche du bois, ma version française, pour l’instant, personne s’en est plaint. Avec La Table, j’ai eu le même problème. Ils m’ont menacée même de fermer mon compte, parce que c’était le deuxième avertissement que j’avais comme quoi que je présentais du contenu en ligne qui était pas blablablah, blablablah. Là, je me suis défendue bec et ongles avec YouTube, pour leur dire : « Hey, écoutez là. Je suis une artiste, je suis une cinéaste, ça fait des années que je fais mon métier. Y’a absolument rien de pornographique, ni quoi que ce soit ». Y’a un festival à Québec. Je vais le taire, mais y’a un festival à Québec qui m’a demandé La Table. Ils m’ont demandé le poster, ils m’ont demandé le synopsis, ils avaient réservé la chambre, toute. Je m’en allais présenter le film. Là, finalement, le big boss ou…j’pense que c’est le big boss, y’a regardé le film. Y’a dit que ça jouerait jamais à son festival. Je devais faire la première partie de Les Affamés. Parce qu’il considérait que c’était un film porno. Je te niaise pas.
L.P : Un film porno?
I.G : On est rendus en 2019.
L.P : C’est assez révoltant.
I.G : C’est très révoltant. C’est dégueulasse, c’est méprisant pour mes acteurs, c’est méprisant pour moi. C’est méprisant pour tous les gens qui ont travaillé sur le film. Pis, si c’était un film porno, j’aurai absolument pas honte de dire que c’est un film porno, et j’en ferai la promotion comme un film porno. Pis je mettrai pas ça sur YouTube, évidemment. Y’a eu une petite guéguerre là, mais j’veux dire, La Table, à date, moi j’capote. Écoute, il date de 2013. C’est un petit film fait avec moins de 5000 $, tourné en deux jours avec les moyens du bord dans mon appartement que j’avais à l’époque. Les deux versions ensemble – la version originale sous-titrée et la version originale –, je suis rendue à plus de 3.3 millions de vues. C’est fou.(( Il est à noter que plusieurs semaines après l’entrevue, la chaîne YouTube de la réalisatrice fut retirée à cause de son film La Table, qu’un internaute a jugé comme étant pornographique. Au moment du retrait, le film avait été visionné plus de 4.1 millions de fois. Izabel a effectué plusieurs demandes d’appel, qui se sont malheureusement toutes soldées par des échecs. ))
Dans la procédure de fermeture du restaurant maintenant désert, à l’exception d’un étudiant et d’une réalisatrice, la serveuse nous signale gentiment qu’elle commence à comptabiliser ses caisses et qu’elle voudrait que l’on règle la note. Après avoir payé son repas ainsi que ma coupe de fruits, avec la sympathie d’une ancienne étudiante cassée (merci encore Izabel), la cinéaste aborde le sujet de son deuxième projet de long métrage, tout en apportant des précisions sur Les Oubliés, son premier projet.
I.G : Le deuxième film, pour l’instant, c’est plus facile au niveau de l’écriture, parce que là j’ai de l’aide financière. Mais ce qui est complètement différent, c’est que Les Oubliés, c’est un film avec plusieurs personnages, beaucoup d’action, y’a des rottweilers, y’a un enfant, y’a un bébé de deux mois. Y’a quand même pas mal d’effets spéciaux. C’est un huis clos à 75%. Y’a une scène de fusillade. En tout cas, j’veux pas trop en dire pour pas spoiler quoi que ce soit. Hors-Piste, c’est très minimaliste comme horreur. Ça ressemble plus à ce que je fais en courts métrages, c’est-à-dire, oui on est encore dans la suggestion – encore là, j’veux rien spoiler -, mais y’a très peu de personnages. L’endroit principal … bien, en fait, y’a deux locations principales. Ça se passe en forêt. La forêt est un personnage en tant que tel dans ce film-là, et … une autre place. Hors-Piste, c’est le film duquel j’peux en dire le moins, parce que bon, là, c’est sûr, avec Les Oubliés, on est pas mal avancés, on a déjà une distribution. Parce que, pour commencer à mousser ce projet-là, fallait qu’on ait des noms. Pis moi j’avais du monde en tête avec qui je voulais vraiment travailler, pis je les avais spottés dans certaines affaires. C’est tous des gens qui étaient contents aussi que je leur propose quelque chose qu’ils n’ont jamais fait. Comme Paul Doucet, y’a jamais fait ce genre de rôle-là. Oui, c’est encore un bon gars dans Les Oubliés. Mais lui aussi, comme tous les autres passagers qui sont prisonniers de cet autobus-là, il va subir une transformation. Tu peux pas rester la même personne dans des conditions de même pendant un certain temps. Et puis là, j’en ai un nouveau, ça j’te l’donne en primeur. On va faire un petit communiqué avec ça. Y’a Luc Senay qui vient de se rajouter à la distribution. C’est sûr qu’il va en rester … on est loin d’avoir fini, pis on est pas rendus au casting.
Dans le restaurant se rapprochant de plus en plus de son heure de fermeture, chose mise en évidence par l’employé passant le balai entre les tables vides à proximité, j’amène un sujet qui n’est pas inconnu à la réalisatrice, lui demandant si son statut de femme dans le milieu du cinéma, pouvant souvent être considéré comme un milieu d’hommes, est synonyme d’efforts supplémentaires afin d’obtenir visibilité et reconnaissance.
I.G : Prends-le pas mal, on me la pose tout le temps, mais avec des variantes. « C’est-tu plus dur pour une fille, pour un gars ? ». Faire un film de genre, au Québec, que tu sois un gars ou une fille, c’est un calvaire. Faire un film tout court, c’est déjà un calvaire. Là où tu soulèves un bon point, c’est … effectivement, c’est un peu un no-woman’s land, le cinéma. Fait que si tu veux ta place, faut que tu te la fasses. Les femmes sont cantonnées, on dirait, dans un certain genre de films, ou on dirait qu’il faut pas trop qu’elles débordent de ça. Mais ça, on dirait que ça commence à changer tranquillement avec la loi de la parité, qui a forcé aussi un petit peu la note. Mais, c’est pas parce que c’est une fille qui fait un film que le film est meilleur. Je te donne un exemple, as-tu vu Raw de Julia Ducournau ?
L.P : Pas encore!
I.G : C’est écoeurant ce film-là. Tu vois, c’en est un exemple d’un film de genre qui est malade, qui … visuellement, qui est complètement fou. C’est de la grosse pointure. Anyway, là où c’est vrai pas à peu près, c’est quand vient le temps d’en vivre. C’est que la plupart des réalisateurs québécois – je nomme pas de noms parce que la plupart c’est des collègues –, ce sont des gars qui, évidemment, ne vivent pas de leur art. Ils vont recevoir leur salaire de réalisateur, ce qui est bien. Ils vont être capables de faire quelques films. Mais ça prend en moyenne cinq, sept ans, des fois, faire un film au Québec. Fait que, entre deux films, comment tu gagnes ta vie ? Faut que tu gagnes ta vie, t’sais. C’est là où être une femme, c’est toute une paire de manche. Y’a des collectifs. J’pense au regroupement « Les réalisatrices équitables ». Y’a des dénonciations qui se font de plus en plus. Gagner sa vie en réalisation, en télévision, en publicité, en clips, en corpo, good luck. J’avais été à une agence de publicité y’a plusieurs années de ça. J’avais réussi à avoir audience par le biais d’une amie d’une amie, en tout cas. Pis j’étais dans le bureau du big boss de l’agence. À l’époque, c’était une des plus grosses agences. Là, elle a été fusionnée avec une autre. Je ne nommerai pas le nom. Le gars a été super fin, il m’a reçu dans son bureau. À mon grand étonnement il connaissait mon travail. Ça, ça m’a beaucoup étonné. Il connaissait Spasm, Fantasia…Et il m’a dit : « Izabel, j’aime ton démo. J’aime ton univers, j’aime ta drive. J’suis sûr que t’es pas tuable sur un plateau, tu dois être une bête de travail – and I am, trust me – mais j’ai pas de travail pour toi ». Lui, y’avait à peu près une cinquantaine de réals qui travaillaient pour lui. Là-dedans, t’avais la crème des réalisateurs mâles de ma génération. C’est pas de la jalousie ou de la mesquinerie, c’est … on dit les faits tels qu’ils sont. Ce qu’il m’a dit, c’est : « On est pas capable de vendre des femmes à nos clients. Les clients en veulent pas. Ils veulent pas de femmes pour faire leurs pubs ». Alors, y’a une seule femme qui travaille pour cette agence-là, et elle, les seules pubs qu’elle faisait, c’était les pubs gouvernementales. Souvent, c’est quoi les pubs du gouvernement ? C’est deux, trois plans fixes, avec des cartons avec des messages écrits dessus. « Ceci est un message de la société de tatatatatata ».
L.P : De la grosse cinématographie.
I.G : Ouais, c’est du gros brainstorming. Fait que moi, parce que j’ai des seins pis un utérus, je ne suis pas capable de vendre un forfait cellulaire, je ne suis pas capable de vendre un nouveau hamburger. Anyways j’suis pratiquement végé, fait que je voudrais pas, mais t’sais, 300 000 $, ça se prend bien. Ces gars-là, ils gagnent tous grassement leurs vies grâce à des contrats comme ça. Ils font beaucoup d’argent, ils vivent très, très bien. Pas par le cinéma, par leurs contrats publicitaires ou en télévision. Au Québec, la production c’est de plus en plus une histoire de femmes. Là-dessus, je dirais que ça commence à être de plus en plus un no man’s land. Ce sont les femmes qui entrent en production. Les plus gros noms, de plus en plus en production, c’est des femmes. C’est la balance inverse. Mais pour la réalisation, c’est pas pour rien qu’il y a des organismes qui dénoncent la situation, pis qui disent que ça n’a pas de bon sens. Moi je fais partie de celles-là, mais en même temps je peux pas forcer quelqu’un à me donner une job en télé. Moi j’ai fait ce que j’ai pu. J’ai réussi à m’en trouver des contrats de réalisation. Ç’a été très difficile. En ce moment, je gagne plus ma vie avec l’écriture, donc c’est pour ça que je dis que ça fait du bien. Mais moi, j’ai gagné ma vie à date, depuis que j’ai commencé, en faisant toutes sortes de jobs qui n’ont rien à voir, même pas proche de ça. Du cinéma ou de la télé.
L.P : Ah oui ?
Ça, je dirais que ça a découragé beaucoup de filles que je connaissais, qui étaient en cinéma aussi. Y’en a qui disent : « Ah, c’est les enfants ». Non, non! C’est pas les enfants. Ils se trouvent pas de job. T’es réalisatrice, j’veux dire, moi j’ai deux diplômes universitaires. Ça m’a coûté une beurrée aller étudier à Concordia. Y’a fallu que je me batte pour intégrer mes cours. Je me suis fait sacrer dehors en Filmmaking 2 parce que je faisais du film de genre. Déjà, à cet âge-là, fallait que je me batte pour avoir le droit de faire du film de genre, parce que c’était pas accepté. Puis j’ai fait une plainte, j’ai eu gain de cause. Je leur ai carrément écrit. J’ai dit : « Écoutez, si vous voulez pas que les étudiants fassent tel genre de films, bien vous devriez le dire aux admissions, parce qu’au prix que ça coûte étudier ici, moi j’serais jamais venue ici ». J’ai fini mon baccalauréat avec une dette…ça commence raide dans la vie, une dette de même. T’sais j’veux dire, j’ai un criss de backround de plateau. Oui j’ai fait mes films, mais j’ai travaillé sur je sais pas combien de plateaux d’autres personnes. C’est … c’est bien frustrant. Puis des fois, tu vois des p’tits-culs, crisse, qui ont même pas le 250ème de ton expérience. Petit millénial, là, 21 ans, y’a jamais été dans rien, y’a la luck d’avoir un mononcle qui a ci ou ça, pis tiens, bang ! Il rentre assistant caméraman pour un super gros show. J’suis comme, fuck, va chier. C’est plate. Mais en même temps, comme j’te dis, y’a rien que je peux faire pour ça. Moi, tout ce que je peux faire, c’est prêcher pour ma paroisse, puis essayer de m’en sortir de mon côté. Alors, j’suis assez persistante, je dirais.
Mais malgré tout, y’a jamais eu de désir d’abandon?
Ah oui, souvent. Y’a des périodes, c’est à toutes les semaines. Y’a des fois, c’est à tous les jours. Des fois, plus pantoute pendant longtemps. Ah oui, ça m’est arrivé très souvent. De vouloir tout sacrer ça là. Faire un virage à 180 degrés, aller me prendre un petit diplôme professionnel, petite job pas trop demandante, me ramasser un petit peu d’argent pour mes vieux jours, parce qu’en ce moment, j’en ai pas. Mon métier – j’appelle pas ça mon métier –, ma passion, ma raison de vivre, je la vois comme un gros gambling. J’ai misé là-dessus, pis j’crois au destin. J’crois pas au hasard dans la vie, moi j’crois au destin. Je sais pas ce qui m’attend. Mais je sais que je peux pas faire autre chose que ça. Pis ça, ça vient aussi de cheminements personnels, un moment donné. Tu sais, t’atteins des bas fonds, t’es pauvre, t’es dans la misère, y’a des affaires qui marchent pas, des dépôts qui sont refusés. Tu pensais que tu t’en allais vers là, mais non, t’es encore en retard. Tout est au ralenti. C’est hyper frustrant, faut que tu payes ton loyer, c’est comme, shit, y’a des bouts vraiment, c’est à se tirer en bas du pont. Puis là tu te dis après : « Ben, c’est quoi que j’aime faire dans la vie ? C’est quoi qui me rend heureux, c’est quoi qui me remplit ? Qu’est-ce qui donne un sens à ma vie ? ». Bien, c’est ça. Pis si jamais vraiment, après à partir d’un certain âge, j’vois qui y a rien, rien, rien qui déboule pour moi, bien, mon 180 degrés, ça va être pour les autres. Genre, j’me verrais bien préposée aux bénéficiaires, ou aidante naturelle, ou avoir un refuge où je pourrais m’occuper des animaux abandonnés, blessés, qu’on veut plus. En sauver une gang de l’abattoir, si je peux. Ça serait ça. Probablement que ce serait ça ma deuxième option.
L.P : Quelqu’un de profondément humain qui met en scène la déshumanisation.
I.G : Ça, c’est un autre mythe. La plupart des gens pensent que les gens qui font des films d’horreur, entre autres, ce sont des assoiffés de sang, sanguinaires, frustrés sexuels, ce que tu voudras. Moi, les gens que je connais qui font les films les plus darks, c’est les gens les plus humains que je connaisse. Ils pleurent à rien, sont sensibles, sont à fleur de peau, c’est des petits enfants à l’intérieur.
L’entretien tirant à sa fin, je décide de terminer en beauté avec quelques questions à potins, pour ma curiosité, ainsi que pour celles des gens qui le liront.
L.P : Ton film d’horreur fétiche ?
I.G : J’peux pas t’en nommer un. C’est impossible. Un c’est impossible. J’pourrais t’en nommer peut-être cinq, puis même-là … j’vais en pitcher quelques-uns, « horreur » étant très relatif ici, hein. J’veux dire, il y en a que c’est pas vraiment « horreur », c’est plus comme fantastique mais y’a un petit peu de sang, fait que bon. Sans hésitation ¿Quién puede matar a un niño, un film espagnol des années 70. Très, très fort. Mettant en scène uniquement, pratiquement des enfants. Le Corps et le Fouet de Mario Bava avec Christopher Lee. Oh my god, that film. That, that film [soupir d’une femme qui fantasme ouvertement sur Christopher Lee]. Vampire Circus de la Hammer, le film le plus audacieux de la Hammer. Le plus érotique, le plus dérangeant. Tu pourrais pas voir des films de même aujourd’hui. Carrément.
L.P : Ça passerait plus !
I.G : Non. Jaws, j’ai adoré. Je ne me tanne pas de voir ce film-là, je le trouve très fort. Evil Dead, l’original, que j’ai encore un plaisir fou à voir. Puis évidemment, y’a les incontournables. Donc, Deep Red de Dario Argento, ex oeaquo avec Tenebre. Et sans hésitation, même si ça fait bizarre parce que le monde trippe sur lui parce qu’il fait des films de zombies, moi j’adore L’Éventreur de New-York de Lucio Fulci. Mais là on est vraiment dans du vrai, vrai cinéma. T’sais, la grosse période dont je te parlais, du cinéma d’horreur italien. L’âge d’or, vraiment. C’était hyper macho. C’était hyper brutal. C’était hyper sexe, avec les pochettes hyper racoleuses. Les belles filles à moitié à poil avec des monstres, des lames de couteaux. C’était des films qui étaient faits par des hommes, pour des hommes. C’était vraiment ça. C’était du cul, de la violence.
L.P : Faut apprécier pour ce que c’est !
I.G : Et une petite vite comme ça, un film plus commercial! Un pour lequel j’avais eu carte blanche, que j’ai présenté à Rimouski à l’Halloween, comme artiste invitée. Parce que je voulais le faire découvrir aux plus jeunes qui ont pas connu ça. Carnage qui date de 1981. La version uncut là, pas la version cut. La version uncut. Le gars qui se fait couper les doigts, dans le canot … Ouais, ça c’était quelque chose. Pis y’a l’autre aussi, dans la série des Jason … moi mon best, c’est le 4. Le 4, y’est écoeurant. Y’est super bon. Oui les personnages, c’est cucul, caricature. Tu le sais comment ça va finir, tu le sais qu’il va y avoir des morts…mais y’en a ! J’pense qu’il y en a quinze ! Les meurtres sont super bien faits, c’est Tom Savini qui fait les FX pis ça paraît !
L.P : Et peut-être un hors cinéma de genre? Qui n’est pas horreur, en fait?
I.G : Définitivement, là tu vas tomber dans…tiens, La Pianiste. Ça c’est dans mes tops. Pis Dogtooth et Mise à mort du cerf sacré, que j’ai adoré. Quand tu vas avoir vu Dogtooth, tu vas comprendre pourquoi j’ai pas trippé sur The Lobster. C’est comme … tout son côté bizarre, cru, qui faisait son style unique, grec, là y’est comme full américanisé. À part le bout où le gars dit qu’il veut être un homard, j’ai pas trouvé ça ben ben trippant. Possession avec Isabelle Adjani, Basic Instinct avec Sharon Stone pis Michael Douglas, que j’adore comme films. [Hésitation, recherche mentale]. Un prophète de Jacques Audiard, que j’ai adoré aussi. Le Ruban Blanc de Haneke, encore. Y’est écoeurant. Y’est super bon. Y’est vraiment super bon. Je dirais aussi La Cagna de Marco Ferreri, avec Marcello Mastroianni pis Catherine Deneuve. Belle de jour de Luis Buñuel, aussi. Foolish Wives de von Stroheim, c’est un film muet qui dure genre quatre heures. Ça l’air que la version intégrale durait six heures. C’est un film qui est complètement malade. Comment j’ai pu oublier ce film-là ! Salò ou les 120 journées de Sodome. Parce que moi Sade, c’est un de mes auteurs fétiches, et quand j’ai vu que quelqu’un s’attaquait à l’adaptation de ça, j’ai fait : « My god ! ». Mais qu’est-ce qu’il va faire? Parce que tu peux pas adapter ça.
L.P : C’est très soft comparé au livre, on s’entend.
I.G : Ah oui, mais on s’entend ! Le livre c’est un enfer, c’est une horreur.
Suite à la mention de ces œuvres, je remercie infiniment la cinéaste indépendante, d’abord à l’intérieur du restaurant abritant des employés qui devaient commencer à avoir hâte de nous voir partir pour pouvoir fermer, puis à l’extérieur, juste avant de s’aventurer chacun dans une direction opposée en cette glaciale journée hivernale. Moi, vers une épicerie à l’entretien ménager douteux se trouvant à proximité afin de me procurer le nécessaire pour le souper, et elle, probablement vers ses démarches à poursuivre pour ses longs métrages à venir qui, entendons-nous, auront un dénouement n’ayant rien à voir avec la finale légère et maladroitement poétique de cette adaptation littéraire d’un entretien qui fut, ma foi, fort enrichissant et fascinant. Un énorme merci à Izabel Grondin, en mon nom et, j’en suis certain, celui de mes futurs lecteurs.((Je tiens à remercier encore une fois Izabel Grondin, ainsi que mon enseignante de critique cinématographique, Alice Michaud-Lapointe, pour leur précieuse aide aux relectures de l’entretien.))
Cet entretien a été réalisé le 1er février 2019.
Pour visionner certains des films d’Izabel Grondin, rendez-vous sur sa page Vimeo.