Québec, 2019
Note : ★★★
Antigone, tragédie grecque immortelle, est l’une des plus célèbres histoires de tous les temps. Son caractère symbolique intemporel fait qu’à toutes les époques, elle peut trouver une résonance d’actualité, d’où ses nombreuses adaptations à travers les âges.
Sophie Deraspe, dans son adaptation cinématographique, campe Antigone dans le Montréal multiculturel d’aujourd’hui. Elle nous présente l’héroïne, ses frères Étéocle et Polynice, sa sœur Ismène et sa grand-mère Ménécée, des immigrants de première génération, ayant fui, à la suite du meurtre des deux parents, un pays qui n’est pas nommé, qu’on devine du Nord de l’Afrique ou du Moyen-Orient.
Dans la version de Deraspe, les frères Étéocle et Polynice ne s’entretuent pas toutefois. Tous deux membres d’un gang de rue, ils sont la cible d’une intervention policière au cours de laquelle Étéocle est abattu par les policiers. La bavure policière est filmée avec la caméra d’un cellulaire. Au cours de la même altercation, Polynice est injustement arrêté. La scène rappelle le douloureux souvenir de l’affaire Fredy Villanueva.
Polynice, 18 ans, risque la déportation. Antigone, encore mineure, décide donc de se sacrifier pour lui. Après avoir modifié son apparence pour lui ressembler le plus possible, elle prendra sa place lors d’une visite en prison pour qu’il puisse en profiter pour s’évader et fuir vers les États-Unis. Les gardes ne réaliseront que plus tard la véritable identité du prisonnier. Suivra ensuite un enfermement dans un centre de détention pour délinquantes et des procédures judiciaires laborieuses pour la jeune fille qui restera fidèle à ses convictions au point de devenir un symbole médiatisé.
On apprécie tout d’abord la liberté que prend Sophie Deraspe dans son adaptation de la pièce de Sophocle tout en respectant et en s’amusant avec les codes de la tragédie. Elle conserve un des éléments clé de toute tragédie grecque, soit la responsabilisation du citoyen qui s’oppose à la soumission à l’autorité. Aussi, comme dans toute bonne tragédie grecque, l’Antigone de Deraspe sert à confronter les valeurs de l’époque.
Plusieurs enjeux sociaux du Québec d’aujourd’hui sont abordés. Le système d’immigration, le déracinement des nouveaux arrivants, les conflits de valeurs entre générations, les limites du système judiciaire et des centres correctionnels, les bavures policières, les inégalités sociales, le racisme, la polarisation sur le web, la représentation médiatique ou, de manière plus positive, la solidarité et la résistance.
Or, tous ces enjeux sociaux apparaissent comme des cases cochées par la réalisatrice. Véritable démonstration, leur traitement est didactique et paraît souvent forcé. Sans grande subtilité, il apparaîtra superficiel à certains. Cet effort pédagogique confère une lourdeur au récit, effet renforcé à l’occasion par la mise en scène et la musique.
Les immigrants du film de Deraspe portent les prénoms grecs antiques de la pièce d’origine. Cet attachement à certains codes de la tragédie grecque, à l’intérieur d’un drame social, est un pari intéressant mais risqué. Il a notamment pour effet de porter atteinte au réalisme du film. Ce serait un moindre mal. Mais avec des dialogues qui sonnent parfois faux ou trop appuyés, cet emprunt théâtral crée une certaine distance qui limite l’immersion et l’engagement émotionnel du spectateur. Le film pourtant se voulait bouleversant.
Antigone trouve davantage sa force dans le traitement de ses enjeux moraux. Comme dans la pièce de Sophocle, l’Antigone de Deraspe, piégée dans son idéal, ne voit pas tout de suite que ses actions ont des répercussions négatives sur les gens autour d’elle. Sa grand-mère se fait aussi arrêter. Son copain ne va plus à l’école. La raison pour laquelle elle se bat en vaut-elle réellement la peine? La vraie nature du frère pour lequel elle sacrifie autant se révélera dans l’une des scènes les plus percutantes du film.
De l’espoir à la désillusion, Nahéma Ricci, dans le rôle-titre d’Antigone, porte le film sur ses épaules. On sent intensément la transformation de son personnage dans son jeu.
Film sur la justice sociale, Antigone en est aussi un sur la jeunesse confrontée à des réalités inattendues et sur les idéaux qui se brisent. À défaut d’être très subtil, il suscite la réflexion. Sans compter que l’histoire d’Antigone, à travers les siècles, demeure toujours intéressante.
Durée: 1h49