Canada, 1986
Note : ★★ ½
Le cinéma québécois post 2000 peut se targuer d’avoir une représentation queer variée pour sa production relativement restreinte, avec des films comme C.R.A.Z.Y., Vic + Flo ont vu un ours (dont on a pensé ça), ou encore la majorité de la filmographie de Xavier Dolan. Pour arriver à ce stade, il aura cependant fallu des pionniers pour construire les bases d’une représentation queer dans notre cinéma, et si possible, quelque chose de plus représentatif que la performance d’Yves Jacques dans Le déclin de l’empire américain. Parmi les films ayant fondé cette émergence queer figurent le thriller Pouvoir intime ainsi que le drame Anne Trister de Léa Pool, dont le travail a eu droit à une rétrospective à la Cinémathèque québécoise en mai.
La beauté de l’amour
Après la mort de son père, Anne (Albane Guilhe) décide de s’éloigner de la Suisse et de son amoureux pour vivre son deuil à Montréal. Elle se met à travailler sur une installation artistique dans un hangar abandonné, tout en se liant d’amitié avec Alix (Louise Marleau), une psychiatre pour enfants. L’évolution de son œuvre va de pair avec celle de leur relation, cette dernière devenant graduellement plus intime. Le film a reçu la récompense du meilleur film au Festival international du film lesbien et féministe de Paris en 1992, ainsi que deux prix Génie pour meilleure musique originale et meilleure photographie décerné à Pierre Mignot.
Si le film est particulièrement reconnu pour la romance de ses protagonistes et pour avoir popularisé la chanson La main gauche de Danielle Messia, c’est bien parce que ces deux éléments sont les plus marquants et les mieux exploités. Le film, déjà très musical, a tout de même su tirer toute la force de la chanson, faisant d’elle une déclaration d’amour aussi puissante que mémorable. La palme revient pourtant à Louise Marleau et Albane Guilhe, les deux actrices ayant entre elles une alchimie particulièrement forte. Un grand soin a été porté à la justesse de leur relation, s’assumant complètement, mais évitant tout de même d’en faire trop et de tomber ainsi dans un mélodrame niais. Elle atteint son apogée dans la plus belle scène du film, lorsque les deux personnages se regardent et échangent des pensées sans parler — une idée si simple, mais terriblement efficace.
Problèmes de forme
Il est cependant regrettable que le reste du film ne fasse pas preuve d’une telle originalité, le tout étant présenté dans un style convenable, mais retenant peu l’attention. Un formalisme conventionnel fonctionne habituellement bien lorsque le scénario est particulièrement percutant (comme Bergman ou Hamaguchi), mais ici l’intrigue prend le temps de développer plusieurs points précis, diluant l’impact émotionnel de ses moments les plus remarquables. La création d’Anne, une magnifique fresque servant d’étude de lumière et de profondeur, est ainsi mise au second plan avec le travail de pédopsychiatre d’Alix, le petit-ami de cette dernière ou l’arrivée de l’amoureux d’Anne à Montréal. Ces éléments ont thématiquement leur place dans le scénario, mais ils n’ont pas tous la force nécessaire pour se rendre justifiables émotionnellement.
Si certaines pointes de qualité rendent l’expérience intéressante, la majorité d’Anne Trister est trop peu marquante pour pleinement remplir son mandat. Il n’empêche qu’il s’agit d’un document précieux de son époque, en plus d’être un document essentiel de la représentation queer au Québec. Ce n’est peut-être pas le plus grand film de notre cinéma, mais le respect qu’il mérite est aussi grand que bien des représentants de notre Panthéon des œuvres illustres.
Bande annonce :
Durée : 1h43
Crédit photos : Listal