Grande-Bretagne, Australie et États-Unis, 2020
Note : ★★★
Francis Lee nous revient avec une seconde offrande se concentrant sur une romance homosexuelle. Dans Ammonite, il troque les terres austères du Yorkshire et des protagonistes masculins du magnifique God’s Own Country (2017) pour les rives austères de Lyme Regis du Dorset et deux femmes. Sans perdre sa caméra sensible, Lee n’atteint pas l’intensité déchirante de son premier film, même si ses actrices s’offrent entièrement.
Le jeu des comparaisons
Ammonite souffre d’une double comparaison : celle avec God’s Own Country, mais surtout celle avec le plus gros succès critique et d’estime de l’an dernier Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (lire nos critiques ici et ici). La réalisatrice française et le réalisateur anglais ont tout deux réalisé des drames d’époque dépeignant une romance entre deux femmes de milieux différents. Si le Sciamma est sans conteste supérieur, il ne faut pas derechef rejeter Ammonite. Là où le réalisateur perd au jeu, c’est la comparaison avec son monstrueux God’s Own Country qui l’avait révélé, oeuvre difficile à surpasser. Sa première offrande était à la fois rigide et sensible, austère et sensuel, le tout mené par deux acteurs (Josh O’Connor et Alec Secareanu, relativement inconnus à l’époque) intenses et incroyablement physiques. Ammonite est une oeuvre plus subtile, moins directe, donc moins enveloppante pour son spectateur.
Deux femmes isolées
En 1840, à Lyme Dorset, Mary Anning (Kate Winslet), géologue reconnue mais peu célébrée, vit toujours avec sa mère (Gemma Jones). Refermée et peu sympathique, elle s’ouvre progressivement à la compagnie d’une jeune femme mariée en convalescence pour quelques semaines sur la côte, Charlotte Murchison (Saoirse Ronan). Placée là par les intérêts géologues de son mari, Charlotte apprendra à partager le travaille de chasseuse de fossiles de sa cadette. Les deux femmes, isolées, développeront une relation passionnelle, en apparence salvatrice.
Kate Winslet interprète une Mary sans presqu’aucune chaleur; de son visage à ses interactions, elle est toujours froide. Subtilement, Lee explique ce renfermement, à la fois par les drames de sa mère (la perte de huit enfants) et sa relation compliquée avec Elizabeth Philpot (Fiona Shaw). Elle incarne le cliché de la vieille fille s’étant barricadée derrière sa passion pour éviter les blessures émotionnelles et sentimentales. La complexité de l’interprétation de Winslet se trouve justement dans cette balance entre l’âge mature de son personnage et son intelligence émotionnelle juvénile. Le cinéaste nourrit cette dynamique bien ancrée en Mary par sa relation avec sa mère (cohabitation, commentaires, changement d’attitude en sa présence, etc.) et par ses interactions avec des étrangers (les clients de la boutique, l’évitement des convives d’un récital musical, etc.). Mary fuit la socialisation, s’isolant constamment des autres.
Charlotte nous est introduite dans une condition semblable, à l’exception qu’elle est dans un mariage peu heureux. Comme l’époque le dictait ou peut-être sa condition, son mari Roderick Murchison (James McArdle) contrôle sa vie, de ses choix de repas à ses activités. Lee installe assez rapidement dans une scène leur dynamique ainsi qu’un certain désintérêt de la part de son mari; alors qu’il se dévêt, Charlotte observera le corps nu de Roderick, tentant un rapprochement, initiative qui lui est refusée par celui-ci. Quittant Lyme Dorset pour six semaines, Roderick demande à Mary de socialiser avec Charlotte. Cette dernière la visite avec réticence. Lors d’une visite, Charlotte s’écroulera forçant Mary à s’occuper de son rétablissement dans sa propre chambre sous les conseils du médecin (Alex Secareanu). Une fois rétablie, Charlotte est insufflée d’une nouvelle énergie, nourrissant le désir et la jalousie de Mary. Saoirse Ronan est efficace dans son rôle, sans donner l’intensité et la complexité intérieure de Winslet.
Austérité visuelle
Ammonite est un film visuellement austère. La direction de la photographie de Stéphane Fontaine est tout droit sortie d’un Michael Haneke légèrement esthétisé ou encore d’un Jacques Audiard légèrement romancé, Fontaine a d’ailleurs collaboré avec le cinéaste français à deux reprises (De battre mon coeur s’est arrêté et De rouille et d’os). L’image est constamment terne, grise, sombre avec peu de couleurs, la palette visuelle se limitant au brun, gris, vert terne et rouge tirant sur le brun. La seule luminosité présente à l’image provient des différentes flammes des bougies dans la chambre de Mary, flammes se multipliant à l’arrivée de sa nouvelle locataire. Francis Lee semble avoir visualisé le point de vue de Mary; dépourvu d’espoir. Austérité visuelle qui est grandement appuyée par le travail de la décoratrice Sarah Finlay qui ne déroge pas de la palette de couleur terne.
Austérité sonore
La conception sonore n’échappe pas au traitement austère. Ammonite a peu de musique, seules quelques scènes où les deux femmes sont présentes ont des pièces musicales. Lors de leur première sortie sur la plage pour la recherche de fossile, une musique aux notes basses est plaquée sur les images, se mêlant progressivement aux bruits violents des vagues jusqu’à disparaître complètement avant la fin de la scène, un peu comme si ce qui aurait du s’annoncer romantique, était rapidement avorté. À leur deuxième sortie, après le rétablissement de Charlotte, le piano de la pièce de musique devient plus léger, sans jamais se faire noyer par les vagues. Plus leur idylle se confirme, plus la musique délaisse les notes de piano sombres, pour des plus légères bonifiées par des instruments à cordes. Dans leur dernière scène à la plage, les vagues débutent pour se transformer en une musique légère piano et cordes. À l’intérieur des maisons, symbole ultime de l’intime et de la position de la femme, Lee insiste sur les bruits ménagers; tables, chaises, planchers et chaudrons.
Les mains au cœur
La réalisation de Francis Lee est toujours appropriée, mais ne s’emporte jamais véritablement. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas réfléchie. Son travail est particulièrement précis par le leitmotiv, véritable fil conducteur d’Ammonite : les mains. Les gros plans de mains pullulent. Elles travaillent, habillent, cuisinent, fument, payent, cassent, lavent, écrivent, lisent, dessinent, servent, toussent, soignent, pianotent, réconfortent, se prennent, embrassent, caressent, masturbent, taisent des orgasmes, salissent, se crispent d’anxiété et toilettent un corps. Si le leitmotiv est pertinent et intéressant, il réduit l’intensité qu’il avait capté dans God’s Own Country priorisant des images corporelles entières non fragmentées comme dans Ammonite. Les mains agissent même comme plans de transition, passant de mains nerveuses aux sabots d’un cheval aux mains du caléchier.
Ammonite demeure un film avec deux performances riches et incarnées. Une réalisation fine à défaut d’être rythmée. Sa fin inévitable est sensible, fort en symbolisme sans jamais être souligné grassement. L’amour que l’on sait interdit, n’est jamais présenté ainsi, reposant constamment sur la psychologie des protagonistes pour nous le faire comprendre. Lee n’a pas perdu de sa finesse cinématographique et scénaristique, seulement, son deuxième film manque d’un petit plus qui lui aurait permis d’égaler ses prédécesseurs avec lesquels nous les comparons.
Bande-annonce originale :
Durée : 2h
Crédits photo : See Saw Films et NEON