Iran, 2021
Note : ★★1/2
Neuvième long-métrage du cinéaste iranien Asghar Farhadi, A hero a été auréolé au dernier Festival de Cannes du Grand Prix ex æquo avec Compartment number 6 de Juho Kuosmanen. Une indécision à l’image de ce nouveau film très inspiré qui séduit par la virtuosité de sa mise en scène, mais déroute dans son approche didactique outrecuidante.
Un homme assis dans un corridor de prison attend patiemment sa libération provisoire près d’une porte entrouverte. Une échappée vers l’avenir, manifestement impossible, au vu du cadre enserré de barreaux qui l’enferme et le condamne à un sort inéluctable. D’abord pleine de promesses, sa sortie exaltée, tout en sourire, le conduit en dehors de la ville de Shiraz, jusqu’au site archéologique de Naqsh-e Rostam qui recueille le tombeau de l’empereur Xerxès. En pleine réfection, les falaises recouvertes d’échafaudages semblent écraser le personnage, loin d’être intimidé à l’idée de les grimper, tel un chemin de croix. Puis, filmée en contre-plongée, cette lente et pénible ascension d’un homme restreint dans sa liberté de mouvements impressionne autant qu’elle témoigne d’une certaine folie déraisonnable à vouloir symboliquement s’attaquer à ce sommet duquel il finira par redescendre presque immédiatement, inexorablement. En moins de 10 minutes, le programme de la séance est dévoilé, scellant le destin tragique de ce héros moderne face à ces étendues si vastes. Après une escapade madrilène peu concluante (Everybody knows), le réalisateur nous démontre que l’on est bien peu de choses devant la magnificence et l’impénétrabilité de cette nature sauvage nous rappelant, au passage, que nous sommes bel et bien de retour en Iran : géographiquement, culturellement et socialement.
Emprisonné depuis plus de 3 ans, Rahim Soltani (superbe Amir Jadidi) souhaite profiter d’une permission de 48h pour faire amende honorable auprès de Barham, son ancien beau-père. Ce dernier a porté plainte contre lui pour n’avoir pas été en mesure de régler les dettes qu’il a contractées lors de la faillite de son entreprise. À sa sortie, le père de famille retrouve sa nouvelle compagne qui lui propose de vendre les pièces d’or trouvées à l’intérieur d’un sac égaré, dans l’intention de réduire le montant dû à son créancier. Faute de pouvoir récolter suffisamment d’argent et pris d’un élan du cœur, il décide de partir à la recherche de la propriétaire du sac afin de le lui restituer.
Après avoir eu vent de l’histoire, le centre de détention alerte les chaînes de télévision pour redorer leur image, ternie par les conditions déplorables exhortant certains prisonniers à se suicider. L’occasion rêvée pour se targuer de favoriser la réinsertion sociale grâce à de nombreuses activités culturelles auxquelles Rahim participe notamment (il fait de la peinture et de la calligraphie). De façon à créer l’illusion et sauver les apparences, l’instance judiciaire le pousse même à dissimuler le rôle joué par son amie (dont l’idylle est gardée secrète depuis des années) lors de l’exécution de cette bonne action surmédiatisée. Dès lors, Rahim devient l’attraction du moment, celui dont le récit est sur toutes les lèvres, l’heureux bienfaiteur dont on vante l’intégrité et l’honnêteté sur tous les fronts. Personne n’y échappe. On se l’arrache des plateaux TV aux associations qui essayent, tous autant qu’ils sont, de tirer la couverture à soi. Et s’il lui était possible de profiter de cette notoriété soudaine pour éviter la prison, sa bonne action perdrait-elle de sa valeur, de sa grandeur ? Était-elle réellement désintéressée ou avait-il prévu son coup pour implorer la clémence de son bailleur?
Sorti tout droit d’un film de Capra, Rahim devient ce héros d’un jour, cet homme ordinaire pris dans la tourmente de ce phénomène de société malgré lui. Il semble pourtant n’être qu’un simple père de famille aimant et attentionné qui, malgré son enfermement, tente vaille que vaille de pallier au vide émotionnel laissé derrière lui ces dernières années. Un enfermement vécu de l’intérieur par son fils bègue Siavash, mal dans sa peau depuis la séparation de ses parents. Alors qu’il cherche désespérément à combler un manque affectif, l’attention qui lui sera tristement portée par les médias et ses proches ne s’effectuera qu’en raison de son handicap, susceptible d’émouvoir le quidam et de le rallier à la cause de son père.
De manière éclairée, le film questionne ainsi la légitimité des actes de Rahim et leurs limites à travers le prisme des réseaux sociaux. Il n’y a qu’à le voir, donnant la main à son fils, un cadre de bonne conduite sous le bras louant ses qualités morales, dans l’espoir de faire valoir ses droits grâce à sa notoriété soudaine. Au cœur de cette scène très symbolique, le réalisateur décrédibilise son héros dont la fatuité terriblement contemporaine finit par discréditer les raisons premières de sa popularité vouée à péricliter. Bien qu’il beurre épais cette représentation vaine du citoyen parfait, il ne mange pas de pain de vouloir essayer par tous les moyens d’échapper à une destinée dont on ne veut pas voir les desseins se réaliser. C’est là la faiblesse des plus démunis qui se fourvoient au détriment de leurs idéaux et de leur vertu.
Une réputation à tenir
Chez Farhadi, la justice a pour coutume d’être rendue en famille, car la réputation de chacun ne doit pas être couverte d’opprobre. Il est préférable de s’arranger à l’amiable, même avec les autorités policières, pour ne pas avoir à subir un déshonneur honteux en présence de ses proches, de ses voisins. C’est comme si les forces publiques se dédouanaient des responsabilités qui leur incombent. Aucun dispositif n’est mis en place pour maintenir une distance nécessaire à tout jugement impartial qui, en son absence, finit par devenir arbitraire. En faisant fi des règles imputables à leur fonction, se sont elles qui finissent par vivre ce déshonneur redouté par tous, déchues instantanément de leur statut d’ordre moral.
Asghar Farhadi est un grand conteur. De ceux capables avec un rien, de construire un tout. À la manière d’Alejandro Gonzalez Inarritu dont les récits éclatés mettent en scène les multiples destins croisés d’âmes en peine, il se plait à distiller au compte-gouttes les informations sur leur passé pour mieux mettre en lumière leur part d’ombre et leurs doutes. Il élude alors volontairement certains détails et se garde de répondre aux interrogations du spectateur, en lui imposant toutefois une morale qui l’amène à juger les actes discutables du héros sans grande liberté d’interprétation. C’est là que le bât blesse. Son cinéma dérange et met à mal les réseaux sociaux qui, dans leur manipulation excessive, peuvent porter aux nues aussi bien que détruire la réputation d’un homme en un rien. Mais cette manipulation qu’il dénonce, il y participe en employant à l’égard de son public, des ressorts dramatiques douteux afin de lui donner une leçon. Un procédé filmique malhonnête qui vise à prendre en otage ses sentiments.
Mal en prit à ceux épris de certitudes. Le metteur en scène se plait à déconstruire le sens des images que le spectateur vient juste de voir, ne lui laissant pas le temps de les digérer, de les analyser qu’il recommence déjà à décortiquer et démonter son argumentation au préalable établie. Certes, le cinéaste fait montre d’une maîtrise indéniable dans la mise en place concise et efficace de son schéma narratif. Néanmoins, cette mécanique bien trop huilée ne permet aucune sortie de route, aucun écart de conduite. Tout est fait pour que vous preniez une direction précise, que vous respectiez la signalétique de son dispositif filmique implacable, ne trouvant rien de mieux que de surenchérir, twist après twist, sur le malheur de son personnage. Dès les premières vues en extérieur, l’immensité des montagnes enserrant l’horizon laissait déjà entrevoir une forteresse inexpugnable dont l’échappatoire serait illusoire. À mesure que le film avance, le cadre n’a de cesse de restreindre la liberté de mouvement de Rahim comme du spectateur, malmené d’un bord à l’autre de l’écran, dans un espace s’apparentant à un huis clos familial (préfecture) ou sociétal (prison de verre après l’agression).
Si Une séparation séduisait par sa technique narrative novatrice, force est de constater que l’itération de cet effet finit par perdre de son intérêt. À l’instar des Frères Dardenne qui, année après année, ne proposent qu’une vulgaire resucée de ce qui a fait leur renommée (un prix de la mise en scène discutable pour leur film Le jeune Ahmed en 2019), on espérait plus d’Asghar Farhadi (dont on parle d’ailleurs ici) et de ce nouvel opus, exigeant de son public une malléabilité presque malsaine pour réussir à y prendre du plaisir. C’est bien dommage.
Bande-annonce :
Ce film a été vu dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma.
Durée : 2h07
Crédit photos : Amirhossein Shojaei