Québec, 2015
Note:★★★ 1/2
Ville-Marie, un film à l’esthétique soignée mais à la personnalité empruntée.
Loin du silence des campagnes de Marécages, Guy Édoin délaisse le milieu rural pour situer l’action de son tout dernier film, Ville-Marie, à Montréal. Actrice à part entière filmée de nuit, cette dernière compose un personnage aux couleurs fortes qui permettra à 4 destins de se croiser.
Le premier à nous être présenté, c’est Thomas (Aliocha Schneider), un jeune étudiant français venu intégrer une école d’architecture, qui peine à se construire dans l’ombre d’un père absent dont il ignore jusqu’au nom. Après 3 ans de séparation, sa mère Sophie, actrice de cinéma, (campée par Monica Bellucci), saisit l’occasion d’un tournage pour renouer avec son enfant. Marie (touchante Pascale Bussières), elle, agit à titre d’infirmière, dévastée après la mort d’un de ses enfants et de son mari tandis que Pierre (Patrick Hivon), est un ambulancier trentenaire au passé trouble, fraîchement rentré de la guerre mais dont la tête est toujours restée là-bas.
Film choral où chaque histoire crée un impact dans la vie de l’autre, Ville-marie (rencontre avec l’équipe) séduit pour sa facture visuelle riche en métaphores. En effet, les lumières stroboscopiques des ambulances dans la scène d’ouverture exacerbent le malaise ressenti par Thomas qui se retrouve face à ses angoisses les plus noires, lorsqu’une mère abandonne son bébé dans ses bras avant de se jeter sous un truck. On ressent alors toute la panique et le stress qu’éprouve le protagoniste par le biais de ces images épileptiques. La caméra suit de dos ce fils qui semble subir les actions tandis qu’elle magnifiera sa mère en la filmant de face avec une lumière lui conférant une aura de star.
Si tous les personnages sont en proie à des doutes existentiels, c’est avant tout la relation mère/fils qui émerge de ce film. Un sujet qui fit déjà réfléchir un autre réalisateur québécois Xavier Dolan (J’ai tué ma mère et plus récemment Mommy) sur le rôle d’être mère et les erreurs que l’on peut commettre lorsque la vie nous désarme pour affronter les difficultés. En parlant de la maternité, Sophie dira même “On n’est jamais préparé à ça”. Cependant, la principale corrélation que l’on note est avec Pedro Almodovar dont on reconnaît plusieurs liens de parenté (Todo sobre mi madre). L’utilisation de perruques, une scène chantée ainsi que la mise en abyme du film dans le film (Sophie jouant le rôle de sa propre vie), ne fait qu’appuyer en ce sens. On assiste alors à de très beaux moments comme ceux où elle enlève sa perruque et ses faux cils pour se montrer nue, sous son vrai jour, en cadrage resserré sur sa poitrine qui rappelle la mère nourrissant son enfant.
Un petit bémol quant aux raccourcis narratifs, notamment sur le questionnement identitaire de Thomas qui l’amène à chercher du réconfort dans un threesome avec deux autres garçons, Marie qui noie son chagrin dans l’alcool et le travail, alors que Pierre s’adonne à du sexe bestial avec sa partenaire. On aurait souhaité moins de facilités, et plus de profondeur sur le cheminement intellectuel des personnages.
C’est à l’hôpital Ville-marie, lieu de leur rencontre, que ces âmes en peine vont peu à peu se relever pour s’acheminer vers la guérison. Il faudra qu’ils confrontent leurs peurs pour pouvoir vivre à nouveau et lâcher prise à l’image de cette scène où un ballon s’envole du balcon de Marie. Avec ses néons, la ville n’est alors qu’une immensité engloutissant l’humain, où les perpétuels travaux font écho aux réparations qu’ils devront entreprendre dans leur propre vie.
À trop emprunter aux autres, la dernière offrande de Guy Édoin manque sans doute de personnalité et cherche encore sa singularité mais néanmoins, visuellement très riche, le film saura toucher comme nous l’avons été par sa sensibilité et ses thématiques universelles.
Durée: 1h41
Retrouvez notre entrevue avec l’équipe et notre reportage sur le plateau de tournage