France, 2023
Note : ★
Quatrième long métrage de Tristan Séguéla, Un homme heureux ne convainc pas, caricaturant à outrance un sujet qui méritait une approche plus sensible et inspirée.
Maire de Montreuil-sur-Mer depuis bien des années, Jean (Fabrice Luchini) souhaite reconduire son mandat une dernière fois dans cette petite ville française du Nord-Pas-de-Calais. Une nouvelle déplaisant fortement à sa femme Edith (Catherine Frot) qui espérait profiter de la retraite de son mari pour jouir d’une tranquillité bien méritée et, à son tour, lui faire une annonce des plus surprenantes. Dans son for intérieur, elle a toujours senti qu’elle était un homme enfermé dans un corps de femme. Circonspect, Jean croit d’abord à un canular avant de réaliser qu’Edith compte bien effectuer sa transition qui va, à bien des égards, perturber leur vie sociale, politique et conjugale.
Difficile de regarder Un homme heureux sans sourciller. Tour à tour, on assiste à une succession de clichés plus grossiers les uns que les autres. Le métrage utilise une formule comique surannée qui aurait sûrement beaucoup plu dans les années 70, à l ‘époque où le regard posé sur La cage aux folles faisant montre d’audace. Ici, on fait face à une comédie de boulevard vieillotte et désuète dont les quiproquos, courus d’avance, usent jusqu’à la moelle de ressorts pour le moins douteux sur un sujet aussi épineux. Jean est un personnage construit sur un modèle assez classique du genre, qui, sans être un mauvais bougre, évolue dans un milieu politique et rural étriqué, nourrissant ses idées rétrogrades figées dans le temps pour, finalement, arriver à dépasser ses préjugés et faire amende honorable. Pourquoi pas.
Sur le papier, l’idée peut être séduisante, surtout qu’elle est portée par deux acteurs de haut calibre dont la réputation n’est plus à faire. Mais voilà que Fabrice Luchini cabotine en écarquillant les yeux comme un merlan frit lors de l’annonce de sa femme, s’évertuant à nous faire rire en incarnant un personnage contrefait tellement ridicule qu’il en devient détestable. L’homme de lettres que l’on connaît ne dispose ici que de peu de mots pour défendre un rôle sans réelle envergure et profondeur. Quant à Catherine Frot, malgré toute la déférence qu’elle porte à son rôle, il lui est difficile, sur la durée, de palier les lacunes d’un scénario boiteux, paresseux et ennuyeux.
De quelle avancée sociale nous parle-t-on ?
Malgré des intentions supposément louables, le problème majeur de l’œuvre réside dans le fait que beaucoup de spectateurs rigolent des personnages sans jamais communier avec eux. Lorsqu’Édith révèle enfin sa véritable identité de genre à son mari, elle est là, de dos, tapie dans l’ombre du salon familial qui ne laisse entrevoir qu’une silhouette méconnaissable. Puis, au moyen d’une mise en scène très discutable, elle se retourne et apparaît sous les traits d’Eddy, arborant fièrement une fausse moustache et un complet cravate. Le public est alors convié à se moquer de la réaction excessive de Jean qui, surpris, découvre en même temps que lui, la transition physique abordée ici comme un élément de suspense, à l’image d’un film de monstres où la créature, en premier lieu cachée, finit par surgir à l’écran. Malheureusement, filmer cette première apparition avec un effet de surprise n’est vraiment pas la trouvaille la plus brillante de l’année, surtout si l’on souhaite sincèrement sensibiliser les gens à la diversité. Pire, la scène perpétue, dans la tête du quidam, l’idée reçue qu’un homme transgenre, c’est une femme déguisée en homme. Vous me direz que le film est une comédie, que son propos est d’amener à réfléchir à travers le rire, mais le rire est ici déclenché par la caricature d’une figure engoncée dans des pensées réactionnaires. Pourquoi faire de cette métamorphose un événement alors qu’il serait plus simple de normaliser la chose ?
Si en entrevue le réalisateur argue pourtant vouloir défendre des idées progressistes, il le fait d’une bien curieuse façon en centrant son histoire sur le personnage cisgenre pour parler…de transidentité. Quelle belle leçon d’inclusion ! Les efforts déployés pour souligner les difficultés que Jean peut rencontrer atteignent le paroxysme de la bêtise lorsque les scénaristes décident, sur un malheureux quiproquo, d’en faire la victime de propos homophobes (on en profite au passage pour seriner le mot pédé une dizaine de fois puisqu’il paraît que c’est drôle). C’est qu’il passerait presque pour un martyr. Sans la moindre subtilité, on essaye de nous faire accepter la réhabilitation d’un homme expérimentant les injustices qu’il a lui-même fait subir à sa femme. L’arroseur arrosé dis-donc. Tous ces efforts employés à nous le faire aimer, sans avoir eu la chance d’être informé sur les raisons de son volte-face, entravent alors l’empathie que l’on devrait normalement développer pour Eddy. Comment faire sourdre de la bienveillance à son égard si le portrait brossé n’a de cesse de privilégier les états d’âme de son mari ? C’est bien beau de vouloir mettre de l’avant la communauté LGBTQIA2S+, mais il ne suffit pas de pondre un générique à la typographie et aux couleurs disparates pour être un allié. Par contre, présenter Eddy sur l’affiche du film, ça c’est quelque chose qui aurait été intéressant (à l’instar de Noémie Merlant pour A good man de Marie-Castille Mention-Schaar). Mais cela aurait été se priver d’une curiosité malsaine à vouloir découvrir Catherine Frot en « créature contre-nature », qui certes, amène du monde en salle, mais pour rire aux dépens du personnage. Et c’est là que le bât blesse.
Dans cette histoire cousue de fil blanc, Tristan Séguéla ne fait pas dans la dentelle, enchaînant coup sur coup les accrocs tant l’effort est vain de vouloir prôner la tolérance, en ne proposant que des raccourcis scénaristiques, à la limite de la transphobie systémique. On ne parlera pas de la réalisation, encore moins de la technique car de ce côté-là, c’est aussi attrayant que la Belgique a du relief. Aucune singularité, aucune sensibilité, même lorsque la musique se fait insistante pour appuyer une émotion, disons-le, inexistante. Philippe Katerine et Artus font du surplace tandis que Paul Mirabel remplit difficilement son contrat de séduction envers les jeunes vu qu’ici, contrairement au stand-up, son jeu ne vaut pas une prune.
On sent bien que les scénaristes de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ont fait leurs devoirs, cherchant à éduquer (quel public ?), toutefois, la copie rendue n’est qu’un cahier des charges bien rempli sans l’once d’une vraie réflexion. Ils beurrent épais une tartine difficile à avaler qui ne fera sûrement pas avancer la cause. C’est bien dommage !
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Durée : 1h29
Crédit photos : Albertine productions, Gaumont