France, 2021
Note : ★★★★
Titane, second film de Julia Ducournau, récipiendaire de la Palme d’Or au dernier Festival de Cannes (c’est la deuxième fois qu’une femme remporte cet honneur après Jane Campion en 1993 pour The Piano), profite d’un engouement et d’une réception assez similaires à son précédent film, Grave. Succès de festival estimé, mais œuvre controversée par sa dimension provocatrice et la virulence de ses images. La cinéaste a-t-elle répété le même film?
Encore une fois, la protagoniste est animée d’un désir viscéral atypique. Le goût pour la chair humaine de l’héroïne de Grave est remplacé dans ce second film par une attirance prononcée pour le titane. Alors que l’étudiante vétérinaire Justine dans le premier film savourait le corps humain, Alexia la danseuse dans celui-ci fait l’amour à une voiture. Elle en tombe enceinte. En parallèle, elle sombre aussi dans une rage meurtrière qui fait en sorte qu’elle doit camoufler son identité pour échapper aux autorités. Elle se fera passer pour le fils disparu d’un père pompier endeuillé, aveuglé par la joie et le besoin de retrouver enfin sa progéniture.
Titane et Grave ont aussi en commun une réflexion et un rapport trouble au corps, une obsession pour la chair, une approche frontale, une absence de pudeur et une cohabitation, hautement inconfortable, mais toujours fascinante, de la sensualité et du gore.
Il y a aussi dans l’un comme dans l’autre film un désir de se servir des codes du film de genre et de les pousser à l’extrême pour finalement raconter une histoire humaine assez simple.
Titane est celle de deux âmes perdues, écorchées par la vie, n’y trouvant pas d’ancrage, outre le sexe, la violence et la drogue, qui se rencontrent et découvrent enfin l’amour et l’affection. C’est d’une tendresse…
Cette histoire de camouflage d’identité véritable et de rencontre surprenante est toute simple, déjà vue également pensons notamment à Boys Don’t Cry de Kimberly Peirce. Or, la cinéaste arrive à constamment surprendre par les virages qu’elle prend et la fluidité des genres qu’elle adopte. Film d’exploitation, thriller, récit fantastique, drame, comédie, l’ensemble est difficile à décrire, mais trouve une cohérence dans son chaos.
Cette fluidité des genres cinématographiques concorde avec celle des influences. L’horreur physique évoque le cinéma de David Cronenberg, les séquences musicales celui de Xavier Dolan. L’homoérotisme entre pompiers revisite le Beau travail de Claire Denis et la dimension loufoque rappelle l’Edward Scissorhands de Tim Burton.
Autant les genres, les influences que les identités sexuelles sont ici décloisonnés. La femme sex-symbol objet de désir se métamorphose à la fois en adolescent et en femme enceinte. Le pompier défini par ses muscles, à la masculinité exacerbée, devient un sensible mentor pour ce qu’il perçoit comme un jeune garçon efféminé. Et puis, il y a cette tension sexuelle ambigüe constante entre ces deux personnages dont la rage et la docilité ne sont pas là où on les attend.
Dans leur rôle respectif, la nouvelle venue Agathe Rousselle et le vétéran Vincent Lindon impressionnent grâce à des prestations tout autant physiques que touchantes.
Dire que Julia Ducournau refait le même film que son précédent serait inexact. Elle utilise des procédés semblables, mais ne fait pas de surplace. Elle poursuit sa démarche d’auteure, pousse plus loin ses réflexions sur l’identité et notamment sur une sexualité autre. Elle continue d’alimenter de trash et de beauté un univers bien à elle, qui a une place particulière dans le cinéma contemporain. Un univers absolument maîtrisé d’un point de vue technique puisque le travail autant visuel que sonore est remarquable.
Titane choque moins que l’on pourrait le croire - ses excès relevant davantage du grotesque que de l’horreur, mais n’en est pas moins d’une folle audace.
Bande annonce :
Durée : 1h48
Crédit photos : Entract Films
Retrouvez ici notre compilation des 10 meilleurs films français de la dernière décennie, incluant Grave de Julia Ducournau.