THX 1138 : Capter la docilité systémique

États-Unis, 1971
Note : ★★★★

Sorti en 1971, le premier long métrage du réalisateur George Lucas propose une quête d’humanité dans un monde standardisé où toute émotion est réprimée. THX 1138 propose un aperçu de ce que pourrait représenter une totale déshumanisation de la société et les implications systémiques qui suivraient. Si le réalisateur est surtout reconnu pour avoir fondé l’univers Star Wars et l’avoir établi dans la culture populaire, c’est son premier film qui l’a initialement associé au genre de la science-fiction. 

Le monde présenté par Lucas est une approximation, une anticipation de ce qui pourrait advenir de l’humanité dans un futur spécifique. Avant même que le récit ne commence, une courte séquence tirée de la série américaine de Buck Rogers (1939) fait figure de prélude. Dans les quelques scènes présentées, le personnage titre s’engage héroïquement au cœur d’aventures hasardeuses dans le contexte éloigné du XXVe siècle. Une situation typique dans la science-fiction des années 1930 à 1960 où les thèmes du bien et du mal semblent clairement délimités et où les décors sont toujours vifs et aliénants. En incluant ces éléments au tout début de son film, Lucas semble judicieusement prévenir les spectateurs que l’aventure qui suivra ne se déroulera pas de la même manière que celle présentée en 1939. Par contraste, les premières scènes du long métrage détaillent plutôt un milieu immaculé et familier, rappelant le décor monochrome des véhicules spatiaux de 2001 : A space Odyssey (1968). 

Prenant également place au XXVe siècle, THX 1138 s’ouvre sur un futur qui se dissocie amplement du scénario typique du genre. Représentatif des craintes de l’époque qui subsistent encore aujourd’hui, à propos de la société de consommation, les différentes institutions culturelles et sociales sont présentées comme des industries. Dans cet organisme totalitaire où toute fonction administrative et sociale est régulée et puis standardisée, l’humain est dépouillé de toute autonomie et jusqu’à son nom. Contraints d’ingérer quotidiennement des sédatifs, dociles, les citoyens ne semblent plus pouvoir éprouver d’autres états émotionnels et mentaux que la tristesse et la dépression. Le récit met en scène dès le départ un couple déshumanisé, formé de LUH 3417 (Maggie McOmie) et THX 1138 (Robert Duvall), cherchant à fuir ensemble ce monde pour tenter de récupérer une certaine humanité. 

Dans cette société où l’intelligence artificielle et la robotique détiennent le pouvoir juridique, le duo est jugé criminel pour avoir spontanément refusé de consommer certains de leurs calmants et avoir commis l’acte désormais illégal du rapport sexuel. En parallèle avec l’aventurier « Buck » Rogers ou le capitaine Taylor de Planet of the apes (1968), ces héros atypiques n’éprouvent ni la détermination ni le charisme que détiennent les protagonistes traditionnels du genre. En tentant de quitter la cité pour fuir la justice, le duo désabusé et asservi semble parfois résigné à la fatalité des multiples confrontations et péripéties qu’ils rencontrent. 

Si THX 1138 utilise des éléments traditionnels de la science-fiction, tels que des androïdes, l’intelligence artificielle, la modification génétique ou la thématique de la société totalitaire dystopique, il leur attribue des usages métaphoriques originaux. Par exemple, chez Lucas les androïdes forment le personnel de sécurité qui assure le respect des lois et s’occupe des sanctions auprès du peuple. Paradoxalement, ces premiers sont passivement fabriqués par ces derniers, commentant l’asservissement des ouvriers au sein de cette société, voire cette industrie. Ensuite, dans son traitement formel, le film accompagne les thèmes de son contenu narratif. Hautement saturés de la couleur blanche et entrecoupés de séquences impliquant des moniteurs digitaux, les divers plans du film reprennent les thèmes de standardisation et de voyeurisme panoptique. À plusieurs reprises, les écrans de surveillance qui suivent le parcours des fugitifs du début à la fin de leur aventure sont utilisés comme plan. Il devient alors possible pour l’audience d’épier les fugitifs à la manière de « Big Brother », le personnage omniprésent du récit plusieurs fois adapté à l’écran de 1984, de George Orwell

Accompagnées de ces plans subjectifs, les scènes sont composées d’une trame audio floue,  superposant les dialogues techniques des régisseurs qui suivent les fugitifs sur les moniteurs. En établissant cette ambiance où l’audience a cette faculté à s’élever à la place omniprésente de ces techniciens, THX 1138 associe la forme à son contenu pour constituer un style de film atypique pour le genre et l’époque. Le long métrage devient, à la manière d’un documentaire, un moyen de contempler une courte chronique historique d’une société aussi familière par ses défauts bureaucratiques et industriels qu’aliénante. C’est un film qui vaut le détour, un récit sur la solitude, la dépression et une critique de la banalisation de la captivité.

 

Bande annonce :

Durée : 1h28
Crédit photos : Warner Bros. Canada

 

Amateur.trice.s des films de science-fiction des années 1970? Retrouvez ici notre critique de La planète sauvage.

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