États-Unis, 2020
Note : ★★★
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L’équipe de Cinémaniak a pris connaissance des accusations portées contre le réalisateur et les déplore. Nous souhaitons donc nous distancier de ces actes. Nous avons choisi de diffuser ce texte par respect pour notre rédactrice qui a travaillé sur ce film avant l’annonce des accusations envers le réalisateur.
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Arborant une chemise jaune pastel surmontée d’un énorme costard cravate gris, le journaliste de 25 ans se déplace en pas chassés autour de ses deux intervenants qui se font face en position de combat. L’influenceur Joker Gang aurait envoyé des cœurs en message Instagram à la copine du cascadeur Gum Gang. Dès ce premier tableau, on reconnaît l’approche journalistique unique d’Andrew Callaghan, puis sa facilité à entrer en contact avec des personnages loufoques qui semblent tout droit sortis d’un épisode de South Park.
Quel parallèle retire le journaliste entre un combat de Hillbillies et les événements menant à l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021? « Les deux sont comme… une bataille », affirme Andrew Callaghan, l’air incertain.
Le documentaire qui, avant l’intervention d’HBO et de A24 devait s’intituler « America shits itself », agit comme une étude sociologique de l’extrémisme aux États-Unis depuis l’élection présidentielle américaine de 2020. La particularité de la couverture journalistique d’Andrew Callaghan repose en grande partie sur sa proximité avec le public, et ce peu importe leurs convictions politiques. Il parvient à réaliser des entrevues avec les plus grandes têtes fortes de la gauche comme de la droite, dans un format où ceux-ci ne se sentent pas attaqués. L’air stoïque, le journaliste enregistre en sons et en images le pire du pire : activistes confus, conspirationnistes désaxés, enfants endoctrinés, antifas violents et Proud Boys racistes. Rien n’échappe à celui-ci, qui jouit de son statut de journaliste indépendant pour aller à la rencontre de ceux qui ont, depuis longtemps, perdu confiance en les médias traditionnels.
« Whats’up?»
C’est par le biais de sa chaîne Youtube All gas no brakes que le journaliste Andrew Callaghan avait commencé, en 2019, à tenir un micro devant « monsieur et madame tout le monde », qui avaient quelque chose de pertinent, ou pas, à dire. Son style d’entrevue, pourtant si efficace, ne consiste souvent qu’à demander à ses intervenants « How are you feeling ? » (comment vous sentez-vous), ou encore tout simplement « What’s up ? ».
Enchaînant les transitions violentes d’explosions, « fade in/fade out», (fondu du noir au blanc, puis du blanc au noir), le mantra de Callaghan demeure lui aussi inchangé : « Get to that next frame by any means. » (se rendre au prochain cadre peu importe les moyens). Il est impossible de nier le caractère hypnotisant de This place rules, un peu comme un accident de voiture violent qui prend place devant nos yeux. Comment détourner le regard?
En traversant les États-Unis en autostop d’Est en Ouest, la fascination de Callaghan pour les humains n’a été que grandissante. Sa philosophie journalistique, elle, est restée la même : ne pas catégoriser les opinions, donner la parole à tout le monde et être sur place, là maintenant.
Le documentaire se vit comme l’aboutissement, à la fois aigre et brillant, d’un projet de longue haleine qui regorge de moments bijoux. Plus encore, il peint un portrait effrayant d’une époque marquée par la division et où toute l’action sociale perd son sens. Comment peut-on cohabiter paisiblement en sachant que tous se battent à contre-courant au nom de la liberté d’expression pour le bien commun? Callaghan nous fait avaler la pilule avec un peu d’humour, sans toutefois se faire trop rassurant. Les intervenants les plus criards s’amourachent de la caméra et semblent prêts à beugler n’importe quelle bêtise pour un demi-instant de gloire entre deux « jump cut ».
Il n’y a pas de doute, ici, la caméra est un aimant à bébittes étranges qui glorifie les propos discordant parmi une masse qu’on souhaite un peu plus nuancée. Si Andrew affirme être parmi les rares qui donnent véritablement la parole au public, il est aussi juste d’assumer qu’il se contente d’en conserver au montage qu’un infime fragment.
En donnant la parole au gréviste le plus extraverti tenant la pancarte la plus démente, le contraste entre lui et l’autre se fausse. On retrouve toutefois sa personnalité lorsqu’il réalise des « talking heads » en studio où il semble être moins préoccupé par la spectacularité des plans. Avec son habit un peu trop grand et son approche naïve, on se demande à plus d’un moment, si lui non plus ne joue pas son personnage lorsqu’il est costumé : celui du journaliste lucide entouré par la folie. C’est malheureusement là que réside la chimère journalistique d’Andrew Callaghan.
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Durée : 1h22
Crédit photos : A24