Allemagne, Royaume-Uni, Australie, États-Unis, 2018.
Note : ★★★★
ISLAND OF THE HUNGRY GHOSTS est un documentaire magnifique, aussi beau que triste. Réalisé par Gabrielle Brady, il souligne à quel point le support moral, physique et psychologique de tous les migrants du monde est nécessaire. Gagnant du prix du meilleur documentaire au Festival de films de Tribeca, ce film nécessaire d’une beauté sombre et d’une puissance émotive signifiante a été présenté dernièrement dans la cadre des RIDM de Montréal.
Sur l’île australienne Christmas, située au large de l’Indonésie, on y observe une migration saisonnière de millions de crabes rouges. Supervisés par une équipe de professionnels de la biodiversité, ces crabes migrateurs, dont l’âge de certains atteint 70 ans, migrent de la jungle vers l’océan, franchissant de nombreuses épreuves pour y arriver. Sur cette même île vit Poh Lin Lee et sa famille. Trauma thérapeute, elle rencontre à chaque jour des demandeurs d’asiles tenus prisonniers dans un centre de détention et se sert de l’art-thérapie pour tenter de calmer la détresse de ces êtres fragiles. Se servant d’un bac de sable et d’une grande collection de petits accessoires, Poh Lin leur demande de représenter leurs traumatismes, les situations difficiles passées ou leurs idylles au travers de ce microcosme symbolique. C’est donc dans l’alternance entre ces séances d’art-thérapie et la migration massive de crabes que l’émotion empathique se déchaîne.
« Small particules of earth »
Le montage en parallèle de la migration de ces crabes rouges et du quotidien de la thérapeute est un tour de force. L’utilisation de plans très lents (sur slider) rend la migration faunique cinématographie et grandiose, d’autant plus qu’elle est absolument fascinante. Et cette longue traversée que fait cette communauté de crabes, sert de symbole pour évoquer les migrations humaines qu’on observe depuis déjà quelques années, un peu partout sur la planète. C’est l’observation de ces quelques gestes d’aide envers les crabes (comme la création de petits ponts de bois pour traverser les ruisseaux, ou la manière dont ce petit groupe de gens escortent les voitures qui traversent l’île pour ne pas qu’ils écrasent les crabes) qui nous amène à nous poser la question sur les migrations humaines. Comment peut-on rester insensible à toutes ces vies humaines compromises par la fuite de pays en guerre, la traversée des frontières, le manque de nourriture et de sommeil, la détresse permanente et la difficulté d’obtenir une terre d’accueil. Et toute cette détresse quotidienne nous est transmise au travers de ces quelques rencontres entre trauma-thérapeute et ces demandeurs d’asile qui, comme nous, le vivent avec la plus grande tristesse.
D’un côté, des plans très stables qui racontent la migration des crabes, et de l’autre, une caméra épaule qui cherche constamment son cadre, qui cherche le focus, comme si elle essayait de mettre la main sur les sentiments que ces histoires racontent. La caméra de Micheal Latham est souvent en plan serré et réussit à nous transmettre toute l’émotion au travers de sa grande sensibilité. Par ailleurs, la présence musicale et sonore n’est pas discrète, et amène le film dans une atmosphère mystérieuse et parfois très sombre. Le son des crabes qui se déplacent lentement se transforme rapidement en chant. Un chant d’une beauté sans pareil. Ces sons rythmés se juxtaposent aux chants incantatoires de cette petite communauté chinoise qui rend hommage aux âmes et aux fantômes qui hantent l’îles, à ces « wondering spirits, hungry ghosts ». À toutes ces personnes qui ont perdu la vie sur cette île et qui n’ont pas eu la chance d’avoir une sépulture ou une cérémonie digne de ce nom. Et ce requiem funeste revient dans le film tel un leitmotiv. Symbole du respect de la vie, et de la mort.
Finalement, la scène du film qui incarne le mieux la situation de ces demandeurs d’asiles est sans doute cette rencontre entre Poh Lin Lee et ce jeune homme qui exprime le sentiment qui le hante au quotidien: « I think hell is not just fire or something. Hell is somewhere you see suffering, you see your family suffering, you see your friends suffering. You can’t do anything ». Cette phrase résume probablement le sentiment d’impuissance qu’ils vivent sur place et qui nous anime pendant l’écoute de ce film, et qui reste après sa fin.
Durée: 1h34