Canada, 2018.
Note : ★★★
The Grizzlies est l’un des rares films de fiction produits au Territoire du Nunavut. Sans être un chef d’œuvre cinématographique, cette histoire inspirée de faits vécus d’une petite communauté inuite, réalisée par Miranda de Pencier, touche profondément.
Russ Sheppard, enseignant au secondaire et amateur de lacrosse, débarque dans la petite communauté de Kugluktuk pour y occuper un poste temporaire. Peu de professeurs s’y rendent, encore moins y restent. Découvrant rapidement que la réalité de ses étudiants est beaucoup plus complexe qu’il n’aurait bien voulu le croire, il comprendra que l’éducation n’est pas leur première réalité. Dans une tentative de les intéresser à l’école à travers la pratique du sport de lacrosse, il provoquera de plus grands changements, mais pas sans épreuves.
Ces épreuves sont nombreuses : violence familiale, alcoolisme, pauvreté, milieu dysfonctionnel, sous-valorisation de l’éducation et famine. Le plus grand malheur, c’est la conséquence trop fréquente des problèmes des communautés et de leur manque de soutien : le suicide. Il s’agit d’un sujet sensible pour le Nunavut, mais également pour tout public. Les statistiques sont révélatrices de l’ampleur du problème, le Nunavut ayant un taux de suicide dix fois plus élevé que la moyenne canadienne, c’était le cas en 2004-2005, et c’est malheureusement toujours le cas aujourd’hui.
Si la bande-annonce laisse sous-entendre un énième film ayant en son centre la figure du white savior, The Grizzlies détourne le cliché cinématographique. Russ est certes le point de vue extérieur, mais son évolution n’est pas le sujet du film, celle des jeunes Inuits l’est. La réalisation utilise son personnage principal justement en tant que regard externe. Le film ne semble pas s’en cacher, il a entre autres buts celui d’éduquer ceux qui ignorent la réalité de l’Arctique. Sa condition d’homme blanc est souvent rappelée à Russ par son entourage, mais jamais dans un but de condamnation, plutôt pour lui rappeler qu’il ne connaît pas leur réalité. Et avant tout pour qu’il soit respectueux envers la communauté. Il ne doit pas demander le changement, il doit s’impliquer en fonction de la réalité inuite. Et demander le changement comme Russ le fait est arrogant, et montre qu’il n’y a aucune prise en compte de l’unicité nordique.
Avec un sujet aussi sensible que le suicide, Miranda de Poncier a fait le choix d’une réalisation appropriée sans être extravagante. Quelques ralentis, simples, mais efficaces. Elle laisse le scénario de Moira Walley-Beckett et Graham Yost faire son travail, et ses acteurs briller. Les professionnels donnent de solides performances : Booboo Stewart (Twilight Saga, 2008-2012 et X-Men Days of Future Past, 2014) réussit à nous toucher avec le personnage de Kyle en travaillant avec peu de dialogues, Ben Schnitzer (The Death and Life of John F. Donovan, 2019, Warcraft, 2016, Snowden, 2016 et The Book Thief, 2013) donne une charge émotive dans l’impuissance de son personnage, et Will Sasso (Happy Gilmore, 1996, Southland Tales, 2006 et la série Mom, depuis 2013) divertit avec son Mike adapté au Nord, mais un peu clown. Paul Nutarariaq (Iqaluit, 2016, de Benoit Pilon) démontre qu’il est un solide acteur en apportant une subtilité à son personnage qui semble en être dépourvu au départ.
Les personnages secondaires (les élèves adolescents) sont surtout au centre de l’histoire, ayant droit chacun à quelques scènes dans leur environnement familial. Si certains des membres de ces familles incarnent des clichés, ils les incarnent pour une raison : ils existent. Le film flirt avec le film choral et c’est pour le mieux, évitant l’arrogance blanche.
Sur une note plus personnelle, de l’ordre de l’expérience, j’ai visionné le film au cinéma d’Iqaluit, capitale du Territoire du Nunavut. Le film ayant été principalement tourné dans la capitale et à Apex, la ville voisine. Pour le spectateur qui n’a jamais mis les pieds à Iqaluit, les erreurs factuelles concernant les lieux (la cour d’école de Kugluktuk est clairement celle de l’École des Trois-Soleils d’Iqaluit, le voisinage est surtout capté à Apex, les séances d’entraînement se font sur la plage de la baie d’Iqaluit, etc.) passent inaperçues. Pour les locaux, il en est tout autre. Malgré cet aspect distrayant, la salle réagissait bien (surtout les Inuits), tant pendant les scènes d’humour (beaucoup de crochets aux hommes blancs) qu’au drame (lorsque le suicide est abordé, funérailles). L’histoire est prenante, suffisamment pour passer outre les distractions factuelles.
Si les délais de post-production et les ajouts de tournage peuvent être un signe précurseur d’un échec, dans le cas de The Grizzlies, ça semble avoir été salvateur. Le résultat est au rendez-vous, fonctionne, est efficace et entre droit au cœur. À défaut de manquer d’originalité dans la structure bien connue du professeur qui aide ses élèves à surmonter les épreuves de leur environnement, le film aborde de front une problématique sociale sous-représentée à travers une communauté encore plus sous-représentée. Seulement pour ça, The Grizzlies mérite notre attention.
Durée : 1h42