THE ASSISTANT : LES PAROIS CADENASSÉES DE LA SOUFFRANCE

États-Unis, 2019
Note : ★★★ ½

The Assistant, troisième long-métrage de la réalisatrice australienne Kitty Green (Casting JonBenet, 2017 ; Ukraine Is Not a Brothel, 2013), dépeint la réalité de Jane (Julia Garner), une jeune assistante travaillant dans une boîte de production de films aux États-Unis. Lentement, insidieusement, le spectateur plonge dans un environnement où la surface lisse ne sert qu’à travestir ce qui s’y passe réellement. Il s’agit d’une œuvre qui parvient à illustrer avec finesse et justesse le cœur du mouvement #MeToo.   

Jane (Julia Garner)

L’horreur du milieu dans lequel Jane évolue se perpétue de façon lancinante et s’observe jusque dans les moindres détails. Il s’agit d’un venin lourd de conséquences psychologiques, là où la victime ne peut jamais véritablement se sentir bien. Il est répugnant de constater ce naturalisme empoisonné – nous sommes si habitués à voir que la personne qui s’encombre de ce genre de tâches dans une firme est une femme – qui impute à Jane de servir breuvages et nourriture à ses collègues mâles, de ramasser leurs déchets de réunion, jusqu’à subir ces regards qui veulent tout dire alors qu’ils la voient manger l’un des croissants qu’ils ont laissé traîner. Mais que veut dire ce regard? Tout le monde sait, sans nécessairement arriver à le mettre en mots. Il suffit de contempler l’attitude verbale et souvent non-verbale du personnage principal pour constater que quelque chose ne tourne pas rond dans cette entreprise. Le problème réside dans l’insécurité et l’inconfort manifeste qu’elle ressent à se retrouver en présence de ces hommes qui, à travers une série de gestes plus ou moins banals ou même jusque dans leur façon d’être dans le silence, parviennent à exclure Jane tout en lui apposant l’étiquette de la prétendue infériorité liée à son genre. Les hommes de la boîte de production pour laquelle la jeune femme travaille font ressentir que le monde leur appartient. Et ce monde est fabriqué de toutes pièces afin de banaliser les détails et de condamner les faits. S’ils sont capables d’inviter Jane à sortir avec eux, ce n’est que pour mieux piler sur elle en lui indiquant ce qu’il faut écrire dans un courriel parce qu’ils ne l’en considèrent pas capable. Ces milieux de travail font donc revivre avec puissance les stéréotypes exécrables associés aux sexes, stéréotypes dont il est si difficile de débarrasser la société.

Dans ce récit qui correspond à une panoplie d’histoires réelles, la femme ayant observé des comportements problématiques ou des signes qui pourraient conduire à la découverte de ces derniers est étiquetée comme un individu aux motifs douteux. La femme est jalouse, la femme veut de l’attention, la femme se compare aux autres femmes… et la femme se fait, par conséquent, rire au nez. Comment est-il possible de se sentir en sécurité et de dénoncer quoi que ce soit dans un monde où les personnes « ressources » retournent la situation en rappelant à la victime qu’elle est chanceuse d’occuper ce poste convoité de tous et en ridiculisant et dévalorisant une plainte qui pourrait, selon ces personnes, mettre en péril les aspirations futures de la jeune femme? Julia Garner illustre de façon poignante le sentiment de cet étau qui se referme lorsqu’on réalise que les gens en position d’agir marchent main dans la main afin de démolir et d’étouffer toute tentative de dénoncer ce qui vaudrait la peine de l’être. Que dire de l’homme qui inverse la situation réelle en insinuant que Jane se retrouve au bureau des plaintes parce qu’elle ne croit pas qu’une jeune femme – celle dont il est question dans le cas de la plainte – soit en mesure de faire ses propres choix ? Que faire devant ces vautours qui invalident les dires d’une femme subissant l’oppressante sensation d’être prisonnière d’un environnement de travail dont la toxicité latente est sans égal ?

Le long-métrage brille par sa faculté à exposer, au premier ou au deuxième degré, la multiplicité des techniques auxquelles les hommes peuvent avoir recours pour continuer de faire subsister ce système qui prêche par les abus de pouvoir. Sans être un film inoubliable, The Assistant lève le voile sur ces pratiques en ouvrant un chapitre de la même façon qu’il le referme, en phase avec l’idée suivante : il s’agit d’un chapitre dans un livre, livre qui se retrouve par centaines de milliers d’exemplaires, partout, en vente à la fois très près et très loin de notre domicile. Et si certaines personnes veulent approfondir ou mieux définir leur rapport au mouvement #MeToo ou encore améliorer leur compréhension de l’ensemble des manifestations déguisées qui puissent en faire partie, le film de Kitty Green est sans aucun doute une puissante corde à leur arc face à ces questionnements.

Durée : 1h25

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