Québec, Canada, 2021
★★ ½
Soumissions, deuxième long-métrage du jeune réalisateur Emmanuel Tardif, nous propose un récit minimaliste, énigmatique, balançant entre une mise en scène volontairement lente et un rapport au réel plus que distancé, sans être pour autant dépourvu de la recherche d’une forme d’authenticité. Nous suivons Joseph (Martin Dubreuil) vivant des moments troubles à la suite de son divorce avec sa femme (Charlotte Aubin). Il se réfugie dans sa maison de campagne, loin de tout, avec son fils (Félix Grenier) qu’il empêche de voir sa mère. Nous sommes ainsi dans la tornade mentale de ce père en perte de repères et de son fils, héritant de ce même refoulement émotionnel.
Le réel problème avec Soumissions ne tient pas dans sa volonté, aussi sincère soit-elle, de proposer quelque chose d’unique. Ni même dans ses propositions, tantôt courageuses, tantôt innovantes, d’exploiter un langage qui s’inscrit dans son temps et son époque, par l’exploration d’un cinéma autre, qui questionne. Non, le réel problème avec le film de Tardif est son manque d’homogénéité et de direction, proscrit par des couches d’auteurisme en voit de perdre le fil narratif du film. Nous sentons par la lenteur du montage, souvent hésitant et maladroit, par les silences forcés, subordonnés d’un jeu confus et disparate, d’évidentes lacunes dans sa mise en scène.
Loin de moi de blâmer ce cinéma qui tente, qui tâtonne, qui cherche en posant un pied à la fois, à trouver sens dans des psychologies de personnages clairement complexes et nuancées. Mais c’est justement ce pied cherchant appui qui nuit à l’expérience du film. Comme s’il nous laissait flotter dans les eaux creuses, sans jamais nous permettre de toucher le fond, nous laissant dans cet entre-deux, qui peut nettement être pertinent et exploratoire lorsqu’il se permet d’être avec son public et non contre. Ici, nous n’avons rien à nous accrocher, littéralement. La musique drabe, appuyée, changeante, inconstante dans son apport dramatique, servant au bout du compte qu’à combler les silences laissés par les dialogues enfouis dans la psyché des personnages, nous laisse loin, très loin derrière la confusion apparente du récit.
Il faut avouer que les acteurs réussissent à se démarquer malgré tout. Martin Dubreuil, particulièrement dans la scène d’introduction, par ses mimiques refoulées d’une colère plus grande que son corps et son esprit ne peuvent contenir, transpose avec force le refoulement. Le jeune Félix Grenier que toutes et tous ont pu découvrir dans Fauve, impose un jeu naturellement féroce, rappelant l’interprétation de Barry Keoghan dans Killing of the Sacred Deer (dans notre classement des films de la décennie). Avec un rôle de domination et d’inhibition, le jeune acteur se voit malheureusement peu exploité et nous laisse sur notre faim. Ce qu’il nous reste du film est quelque peu aigre. Après nous avoir frôlés avec un cinéma d’expérience (plutôt qu’expérimental), un sentiment d’incomplet nous reste en tête, autant dans l’exécution narrative et formelle du film, que dans la réception affective du film. Une fois de plus, Emmanuel Tardif semble dégager une réelle envie de création d’univers et d’émotions, titubant encore dans la recherche de son propre style. Néanmoins, il s’aventure tout de même dans des zones peu empruntées dans le cinéma québécois, et ça, c’est précieux. Un film qui laissera une partie du public froid, mais qui risque d’aller chercher certains en quête de challenge cinéphilique.
Bande-annonce originale :
Durée : 1h10
Crédit photos : Les Films du 3 Mars
Vous aimez le jeu de l’acteur Martin Dubreuil? Retrouvez ici notre critique de La grande noirceur.