Canada, 2023
Note : ★★★ 1/2
Simple comme Sylvain qui a tout récemment pris l’affiche ce 22 septembre 2023, est le plus récent long-métrage de Monia Chokri, une réalisatrice québécoise qui a déjà pu prouver son excellence à travers La Femme de mon frère (2019 – notre critique) et Babysitter (2022 – notre critique). Chokri est reconnue pour peindre des tableaux cohérents avec ses films, possédant tous une esthétique assumée et perfectionnée jusque dans les détails. De la lumière aux costumes, ceux-ci projettent une aura qui leur est propre, avec une palette de couleurs vivant en symbiose avec la trame narrative. Son nouveau long-métrage n’en fait pas exception.
Ici, les teintes chaudes automnales de Simple comme Sylvain et le grain prononcé de la pellicule se rattachent au thème de la passion et de la sensualité, qui se déploient dans un univers inspiré du romantisme axé sur la nature et l’émotion qui emportent sur la raison. C’est d’ailleurs la direction que prend l’œuvre, où Sophia (Magalie Lépine-Blondeau), professeure de philosophie, rencontre Sylvain (Pierre-Yves Cardinal), entrepreneur en construction. Confortablement établie avec son partenaire Xavier (Francis-William Réhaume) depuis 10 ans, Sophia fait face à un dilemme confrontant lorsqu’elle se met à éprouver des élans amoureux pour ce fameux Sylvain. Prendra-t-elle le risque d’écouter son cœur au péril de ses engagements préalables?
Un amour stable et confortable
Efflanqué et cynique, Xavier est un professeur de science politique cultivé. Sur papier, il s’agence parfaitement à Sophia, elle aussi intellectuelle et dogmatique. Ils forment un couple établi, qui engage des débats existentialistes lors de soupers entre amis et qui viennent tout juste de s’acheter un chalet à la campagne : le rêve millénial. Cela-dit, quelque chose semble stagner. La mise-en-scène exprime la distanciation qui se fait lentement entre eux, notamment par le fait qu’ils font chambre à part. Séparés visuellement par deux cadres de portes, Xavier et Sophia se souhaitent bonne nuit, couchés dans leur lit respectif. L’encadrement symbolique vient ainsi exacerber ce détour qu’a pris le couple qui est plutôt devenu, avec les années, une colocation.
Le thème de l’interdépendance des unions de longue date est central dans le film. Il est démontré spécialement sous l’optique du vieillissement, omniprésent à travers les élèves de l’université du troisième âge de Sophia, ou même les scènes de visites chez ses parents ou ses beaux-parents. On le voit spécifiquement avec les parents de Xavier où son père en perte de ses fonctions cognitives et sa mère complètement désemparée face à l’éventuelle perte de son mari, le noyau de son univers, représentent la fusion des êtres jusqu’à l’effacement de l’individualité. Face à cette vision décapante de vérité, Sophia réalise le poids du futur qui approche. Même si elle est bien avec Xavier ou dans ses mots « pas mal », elle décide de s’abandonner aux grands vertiges que lui donne Sylvain pour vivre pleinement et sans regrets.
Un amour passionnel et non-conventionnel
Comme le titre le laisse présager, Sylvain, quant à lui, est simple. Il aime la chasse, la forêt et est très assumé dans toutes ses intentions. Élevé dans un paysage social complètement différent de celui dans lequel Sophia a grandi, Sylvain a des priorités plus élémentaires qui consistent à bâtir sa compagnie et profiter de l’atmosphère paisible de la campagne avec une femme qu’il aime. À sa grande surprise, cette innocente franchise rejoint Sophia, qui l’accueille comme une sorte « d’exotisme » intriguant. Le duo dépareillé exalte tout de même une chimie débordante qui crève l’écran. Les performances de Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal y sont pour beaucoup, mais les séquences clichées de montage de leurs aventures romantiques sur un fond de musique rêveuse nous permettent de s’attacher rapidement à la paire.
Le gabarit formel de l’œuvre, avec ses grands zooms, ses mouvements de caméra rapides et les sifflements récurrents d’une douce flûte de paon, rappelle étrangement l’atmosphère d’un documentaire animalier de l’ONF des années 70. Les ébats de Sylvain et Sophia, pour qui la sexualité est enflammée et incessante, prennent alors une apparence de documentaire sur la reproduction des mammifères, en mettant de l’avant le côté animal que peut prendre l’humain quand il se laisse porter par ses pulsions. Cette impression fait tout son sens avec l’amour primal que semble ressentir le couple, comme un besoin physique essentiel plus qu’un partenariat conventionnel.
Malgré leur fougue partagée, Sylvain et Sophia représentent la rencontre de deux classes sociales complètement différentes. La question qui flotte au-dessus de cette proposition est : peuvent-elles s’entremêler sans accrocs? C’est en quelque sorte le point culminant de Simple comme Sylvain qui tente d’extraire la relation dissonante en dehors du cercle privé. En rencontrant leurs familles et amis respectifs tout se joue : Sylvain et Sophia tiendront-ils le coup face à cette vague de réalité?
Un amour sous la loupe philosophique
Simple comme Sylvain s’interroge sur l’acte d’aimer de manière philosophique. À travers les scènes où Sophia enseigne les diverses théories de Platon ou de bell hooks, les spectateurs se permettent, comme la protagoniste, d’intellectualiser l’amour. On se questionne sur ses mécaniques et enjeux, en se laissant porter par le flot de l’histoire mais en prenant tout de même nos distances depuis un point de vue analytique. Fidèle à ses habitudes, le film de Chokri soutient un rythme rapide avec des coupures abruptes, du mouvement dans l’image et des dialogues qui se chevauchent dans un chaos contrôlé presque théâtral. Autant cette rapidité peut sembler précipitée et forcée par moments, autant elle contribue au ton humoristique de l’œuvre : car oui il s’agit d’une étude poétique sur l’amour et ces strates complexes, mais c’est avant tout une comédie romantique très drôle et candide qui permet la détente et le divertissement.
***
Durée : 1h51
Crédit photos : Immina Films et Fred Gervais