États-Unis, Canada, 2020
★★★½
Dans son premier long-métrage, Emma Seligman dépose sa protagoniste Danielle (Rachel Sennott) au milieu d’une Schiva, où celle-ci se frappe à plusieurs obstacles, dont une ex-copine plus accomplie qu’elle, un collant qui déchire, une famille indiscrète et la découverte que son sugar daddy est marié et a même un enfant. Traversant un vaste spectre d’émotions, Danielle se lance dans une stressante aventure qui la forcera à confronter des sentiments malaisants, ainsi qu’à faire des choix difficiles.
Un premier film assez minimaliste, mais thématiquement ambitieux et complexe; Shiva Baby saura parler à toutes les femmes bisexuelles qui viennent d’une famille stricte et divertir tous ses spectateurs.
Comédie ou horreur?
Shiva Baby est catégorisé comme comédie; pourtant, de façon consciente, le film frôle assez souvent l’horreur. La bande sonore, minimaliste mais percutante, est composée de musique évoquant l’anxiété, le danger, dans le style des thrillers psychologiques. Les gros plans soulignent la panique et la claustrophobie ressenties par Danielle; en gardant la caméra proche de son visage, on se retrouve non seulement coincé avec un personnage névrosé qui peut réveiller nos propres expériences anxieuses, mais aussi en proximité avec sa famille qui est la source de ces sentiments.
La plus grande partie du film se déroule à l’intérieur d’une maison, un huis clos accentuant l’impossibilité d’évasion. Les personnages qui peuplent cet espace sont variés en apparence et en personnalité, mais ont tous une chose en commun : l’intensité. En commençant par les parents de Danielle – couple qui se chicane constamment, avec un père distrait et une mère accaparante (interprétés par Fred Melamed et Polly Draper) – on rencontre divers membres de la famille qui ne se mêlent pas de leurs affaires, posent des questions malaisantes et entrent dans la bulle de la protagoniste sans son consentement.
La beauté du film est, en quelque sorte, l’idée que tout ce qui peut mal aller ira mal. Alors que les intrigues chaotiques explorées dans Shiva Baby peuvent initialement être inconfortables et nous forcent à faire face à nos propres souvenirs anxieux, l’association créée entre le spectateur et la protagoniste à l’aide de la caméra nous pousse doucement vers l’acceptation de soi. Lorsque Danielle renonce à jouer un personnage et garder une façade propre, exposant son stress de façon assumée, sa libération et son soulagement traversent l’écran pour rejoindre les spectateurs.
Bisexualité, féminisme et tradition
Danielle est un personnage très intéressant, surtout dans ses efforts à réconcilier ce qu’elle est – une jeune femme bisexuelle, féministe, et généralement progressiste – avec ce qu’elle veut, c’est-à-dire le respect et l’admiration de son entourage stricte et traditionaliste. Elle possède fièrement un esprit de rébellion, et assume son identité, tout en paraissant visiblement blessée lorsqu’elle entend parler des accomplissements de son ex-copine Maya (Molly Gordon), ou alors en regardant son amant Max (Danny Deferrari) faire partie d’un mariage traditionnel. Elle démontre une volonté d’avancer et de changer le système, mais de façon nuancée, humaine : on ne peut quand même pas se détacher de son héritage du jour au lendemain.
Seligman base l’histoire sur ses propres expériences en tant que femme juive bisexuelle, ce n’est donc pas étonnant si sa protagoniste paraît autant naturelle et réaliste. Pour ses spectatrices qui se sont déjà retrouvées dans une position similaire, c’est une expérience tout à fait unique et rassurante que de voir le personnage de Danielle naviguer ce défi de façon maladroite mais sincère, prouvant qu’il est naturel de se cogner à des obstacles, et validant le début de la vingtaine comme une période formatrice, où il est complètement normal de faire des erreurs, changer d’idée, et reformuler son identité.
Cette exploration se fait de façon légèrement ironique, poussant l’idée qu’il ne faut pas trop se prendre au sérieux. Oui, le chemin entamé par Danielle est difficile et désagréable, mais mieux vaut en rire qu’en pleurer. L’idée centrale du film ressort clairement : si on cherche à être honnête avec soi-même, il faut d’abord accepter les changements, l’instabilité, au lieu de s’enfermer dans un rôle qu’on ne pourra pas toujours accomplir.
Un futur flou
La fin du film illustre un départ, mais on ne sait pas exactement dans quelle direction, renforçant le thème de l’incertitude. Entassée dans la voiture de ses parents avec plusieurs autres personnes, Danielle se retrouve encore une fois dans un environnement incroyablement claustrophobe, mais cette fois-ci elle est résignée, calme et pensive. Alors que les autres débattent pour déterminer par quelle maison ils devraient passer en premier, elle semble être en train de se demander par quel défi elle devrait commencer.
On observe une transition : au début du film, elle était habillée proprement, et elle se retrouve à la fin sans ses collants, avec les cheveux défaits et du mascara sur ses joues. Cette transformation physique pointe vers le fait qu’elle a brisé sa façade et abandonné son personnage afin d’assumer ses émotions et pouvoir avancer de façon sincère et authentique. Visuellement, cela ressemble à une défaite, mais lorsqu’on prend en considération le message global du film, c’est clairement une victoire que d’être vulnérable, même si on ne le ressent pas tout de suite.
Une vraie montagne russe du début à la fin, Shiva Baby nous apprend à apprécier le chaos dans toute sa beauté, ouvrant une conversation importante sur l’identité et le futur : veut-on faire plaisir aux autres, ou à soi-même?
Bande annonce originale :
Durée : 1h17
Crédit photos : Utopia, MUBI et Pacific Northwest Pictures
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