Royaume-Uni, France
Note : ★★★★
Le film de zombies, sous-genre très populaire de l’horreur, se démarque par un ancrage de son récit dans un monde post-apocalyptique. Une de ses particularités est d’aborder certains thèmes sociaux et politiques, plus ou moins explicitement, tout en les plaçant au cœur d’une réflexion. En tant que tel, le monstre permet en effet de réfléchir à la nature de l’humanité, à ce qui fait d’un être vivant un humain et à ce qui l’en éloigne. Cela, Edgar Wright semble l’avoir parfaitement compris en se servant de Shaun of the Dead pour proposer une représentation critique pertinente de la société anglaise (voire globale) des années 2000 et de ses travers.
Le métrage, production franco-britannique sortie en 2004, nous présente Shaun (Simon Pegg), trentenaire sans ambition dont le quotidien répétitif consiste à alterner entre travail de vendeur peu gratifiant et soirées au Winchester, pub devenu pour lui et son ami Ed (Nick Frost) une deuxième maison. Cela ne manque pas de déplaire à Liz (Kate Ashfield), sa petite amie, qui mettra fin à leur relation. C’est alors qu’une invasion de zombies survient à Londres, forçant le protagoniste à sortir de sa zone de confort et à affronter ses responsabilités.
À bien observer les différents éléments de mise en scène et de la narration, tout nous indique que le film constitue un commentaire social ciblant la complaisance. Il semble dénoncer ce trait de personnalité qui s’est installé progressivement dans le paysage social contemporain, particulièrement chez les classes moyennes. Shaun, à la manière des autres personnages, est incapable de se préoccuper de problèmes bien plus importants que ses soucis quotidiens ridicules. Hors de question pour lui d’écouter les consignes gouvernementales, il est plus crucial, à ses yeux, d’aller reconquérir le cœur de Liz. Ce n’est pas non plus un hasard s’il met un temps considérable à remarquer l’invasion monstrueuse : plutôt que d’ouvrir les yeux sur des changements pourtant frappants pour le public, il préfère se confondre dans le confort de ses habitudes, ce que la deuxième scène de la supérette vient parfaitement illustrer.
Le propos de Wright devient d’autant plus frappant puisqu’il établit des parallèles évidents entre humains et zombies, et ce, par un jeu de miroir et une omniprésence de la figure du double. Les hommes sont ainsi présentés à l’audience par des procédés cinématographiques employés conventionnellement pour signaler le caractère menaçant ou monstrueux de certains personnages. Ainsi, Shaun est introduit par « travelling vertical » qui nous le dévoile progressivement depuis ses pieds. Il s’agit d’un processus fréquemment utilisé par le cinéma d’horreur pour présenter un antagoniste tout en maintenant le suspens. De cette manière, une séquence d’ouverture a priori banale vient d’emblée annoncer ce questionnement sur la nature humaine où des figurants qui reviendront plus tard sous la forme de zombies, effectuent lentement des actions ordinaires et répétitives. La ressemblance avec le mode d’existence des morts-vivants devient alors explicite.
Nous aurions pu reprocher au réalisateur de délaisser l’aspect formel pour prioriser un fond critique. Or, cela est loin d’être le cas. Shaun of the Dead est marqué par une esthétique filmique recherchée, qui puise sa force dans de nombreuses références cinématographiques ici détournées et parodiées pour le plus grand plaisir des amateurs d’horreur. Nous sommes face à une œuvre consciente de l’héritage artistique qu’elle s’approprie et qui n’hésite pas à en jouer. La célèbre réplique de Night of the Living Dead (George A. Romero), « they’re coming to get you, Barbara », est notamment reprise. Également, la production est soutenue par une performance remarquable des deux acteurs principaux, qui nous délivrent des dialogues particulièrement travaillés, parvenant à trouver un juste équilibre entre burlesque et sérieux.
Enfin, il serait impossible de ne pas évoquer un des aspects majeurs du long-métrage : l’hybridation des genres. L’union du film de zombies et de la comédie romantique donne lieu à un mélange original et particulièrement divertissant. Wright maîtrise avec aisance les ressorts du comique, faisant de l’humour une arme au service de son propos critique. De plus, le succès rencontré par la comédie de zombies permettra à Ruben Fleischer de réaliser Zombieland en 2009, souvent comparé à son prédécesseur anglo-saxon. Sa formule est aujourd’hui bien plus développée. Il n’est plus rare de voir à l’affiche des métrages au ton parodique détournant les codes du film de zombies. Ce type de long-métrage a su se populariser pour devenir un véritable sous-genre à part entière, utilisant la figure du mort-vivant pour renouveler des récits maintes fois exploités. Nous pouvons notamment penser à Warm Bodies, dans lequel Jonathan Levine nous propose une variante originale de la comédie romantique adolescente. Cependant, en dépit de la popularité des films de ce sous-genre, Shaun of the dead en demeure l’un des plus célèbres. Tout spectateur souhaitant mettre de côté l’aspect social et réflexif du film pourra, et ce pendant 1 h 39, se concentrer sur l’acte de visionnage d’une œuvre profondément divertissante, capable de le faire rire tout comme de l’émouvoir.
La réalisation du cinéaste britannique se veut porteuse d’un message clairement énoncé sur une société où tout individu est devenu aveugle à son entourage et se contente de fournir l’effort le plus minime, que ce soit pour entretenir des relations avec ses proches ou en vue d’un épanouissement personnel. Par l’image, le metteur en scène semble nous inciter à sortir de cet état léthargique pour reprendre pleinement possession de notre propre existence. Critique sociale par le rire et l’horreur, Shaun of the Dead nous propose un spectacle aussi distrayant que stimulant.
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Durée : 1h39
Crédit photos : Working Title Films