Québec, Canada, 2021
★★★★
C’est l’hiver montréalais, Jean-François Lesage est à la recherche de chaleur et d’humanisme. Il sort avec son équipe filmer les gens, tout simplement, dans la rue, chez eux, peu importe ce qu’ils ont à offrir. Il cherche à questionner la perte, le sentiment, celui qui reste, celui qui colle ou celui qui se transforme avec le temps. Il va aux objets perdus de la STM et filme ces gens qui cherchent avec dévouement leur tuque, leur cartable, leur carte d’autobus. Mais ces gens-là, ces vies ne sont pas seulement des visages un peu confus, espérant que la dame de l’autre côté de la vitrine sera en mesure de leur restituer leur objet. Ils sont bien plus. Comme tous les inconnus que vous croisez dans la rue, de ces rencontres impromptues au bar, tous ont vécu la même chose, à leur façon. Ils ont tous perdu quelque chose. Ce qui intéresse Lesage n’est pas l’objet perdu, ce n’est pas la mitaine, mais la prière.
Prière pour une mitaine perdue est à l’image de Jean Rouch et d’Edgard Morin en 1961 avec leur Chronique d’un été et leurs envies de déraciner la caméra de son studio et aller voir les gens en leur posant des questions simples, très larges, juste pour provoquer la discussion, l’authenticité. Lesage s’approprie cette même idéologie, celle de la patience et de l’écoute documentaire. Il veut questionner l’intérieur, ce qui est caché ou du moins qui sort difficilement. Ici, il leur demande: qu’avez-vous perdu? Complètement banal, proche de l’insignifiance. Notre existence cohabite continuellement par ces micros pertes, ces petits échecs, ces pensées lointaines qui reviennent pincer quand ça fait mal un souvenir tant bien que mal refoulé. Le réalisateur ouvre une porte, un espace pour parler de soi, sans peur et sans jugement. C’est pourquoi le film semble si réconfortant, sensible, généreux.
Lesage flâne donc dans l’hiver neigeux des rues presque désertes de la métropole. Il n’est jamais en caméra épaule; il la pose et attend, attend le moment, attend la parole. Il écoute surtout, il écoute les histoires de ces gens qui ont vécu et vaincu la perte. Sa caméra est parfois sur rail, avec une colorisation parfaite (vraiment, ce noir et blanc est majestueux), donnant l’impression que tout ceci est trop beau, trop léché pour être du documentaire. C’est peut-être la beauté du film, magnifier le simple, l’humain derrière ces petits traumas et ces accrocs de vie. Le jazz l’emporte dans les transitions dans la nuit neigeuse, laissant avec lui la chaleur qu’il tente d’acquérir, de garder entre les murs lorsqu’il fait -30 à l’extérieur. C’est pour cette raison que ces soirées entre amis, ces soupers arrosés, ces discussions de cigarettes semblent si naturels. Le besoin de se retrouver en dedans pour combattre à feu doux ces bouleversements intérieurs. Se réchauffer le cœur dans l’adversité, rien de plus.
Lesage ne semble pas avoir de parti pris ou bien de direction précise à proprement parler par rapport à sa question initiale. Le film se voit donc disparate, cherchant en lui-même l’opportunité du droit de parole. Il dresse un portrait large, diversifié, tantôt tragique, tantôt lumineux. L’impuissance ne discrimine personne. Difficile de rester impassible face à ces personnes se livrant intimement à la caméra, la vulnérabilité de leur faux pas ou au contraire leur prise en main, la volonté de laisser derrière eux quelque chose. Car, ce que le réalisateur tente d’exprimer est simplement que la perte n’est pas un état définitif, il est passager. Il possède un début, mais jamais ne peut-on avoir la certitude de son dénouement.
Cette dame dit que sa vie n’est plus la même depuis qu’elle a perdu sa tuque, cela en devient une obsession. L’objet unique, l’objet de valeur, son objet à elle, parti dans un bus, sûrement pour toujours. Mais l’espoir demeure, elle ne peut en avoir la conviction, elle doit continuer de chercher. La perte est le for intérieur, celui qui grandit ou qui pourrit, celui qu’on oublie ou celui qu’on s’entête à vivre. Cette femme qui retrouve la photo de ses parents décédés. Elle repense à leur amour, leur dévouement. Elle dit qu’elle n’aime pas retrouver ce qui est parti, qu’il faut vivre le présent. La perte est la nostalgie concrétisée, objectifiée, humanisée. Un souvenir trop brumeux et trop réel pour s’en détacher ou en questionner la valeur. La mort, le deuil, l’impuissance, les ruptures, les chicanes, le besoin de laisser partir certaines choses, à contrecœur, souvent. Le film ratisse large, sans jamais tomber dans l’empathie comme telle. Il écoute, il donne l’espace pour parler, pour être. Il ne montre pas seulement la tragédie, mais la lumière.
Ce qui reste après le visionnement d’un film possédant une si grande sensibilité est l’envie profonde de rapprochement, de s’ouvrir, de partager nos vies. Ces images de tempêtes de neige, douces, avec ces déneigeuses qui ratissent la ville en ramassant de passage des particules de nos vies infimes. Ces traces restent, en eux, en nous, et c’est bien de se le faire rappeler parfois.
Bande annonce :
Durée : 1h19
Crédit photos : Les Films du 3 mars
Il y a quelques années, on parlait de la sortie du film Conte du Mile-End de Jean-François Lesage.