C’est avec un plaisir non dissimulé que l’on a rencontré Samuel Matteau, le réalisateur du sensoriel et très beau Ailleurs (2018, notre critique). D’un naturel affable, le réalisateur québécois a répondu à nos questions avec beaucoup d’attention. On a bien sûr parlé de son actualité avec la présentation d’Acadiana vendredi dernier dans le cadre du Festival de Cinéma de la Ville de Québec. En étroite collaboration avec Guillaume Fournier et Yannick Nolin, ce projet à trois têtes est le deuxième court métrage d’une trilogie entamée avec Laissez les bons temps rouler, inspirée par la petite minorité francophone de la Louisiane. Principalement construit en postproduction, il suscite une irréfragable invitation au voyage et à la réflexion sur la culture acadienne dont les Québécois se sentent souvent proches. Proclamée capitale mondiale du homard, la ville de Shediac dans le Nouveau-Brunswick est d’ailleurs jumelée avec celle du Pont-Breaux, mise à l’honneur chaque année lors du festival de l’écrevisse (le Breaux Bridge Crawfish Festival) où a été tourné le film. L’occasion de découvrir ou redécouvrir l’écrevisse à l’étouffée au son du zydeco et du swamp pop bien connu du folklore acadien. Certes on mange beaucoup, mais on boit et on danse tout autant au rythme de la célèbre maxime « let the good times roll ».
L’effervescence durant les festivités galvanise les 7500 habitants du Pont-Breaux entre la danse en ligne, les concours de mangeurs de crevettes et les défilés de chars dans une véritable expérience sensorielle que le travail du son vient mettre en exergue. Proche du féérique, la musique extradiégétique se vit comme un rêve éveillé qui vient couper le spectateur de la réalité (les gyrophares de police s’apparentent aux lumières de la fête foraine). Selon Matteau, il fallait cristalliser ces moments de célébration où les gens agissent et s’agitent comme des automates. De fait, les plans de manèges tronqués à l’image participent à cette mécanique des ombres et sondent intrinsèquement les choses pour aller chercher une vérité cachée, plutôt que d’offrir une vision d’ensemble paradoxalement réductrice. Les individus semblent désincarnés assistants, impassibles, à la décrépitude d’un spectacle qui se fissure et où l’on acte par habitude sans enjeu majeur ni réel moteur. Seuls les enfants semblent être déconnectés de ces temps modernes, à la photographie teintée art déco Miami, faisant ainsi d’Acadiana, « un court métrage hybride entre le documentaire et l’essai poétique » d’après le cinéaste évoquant, sans surprise, le cinéma de Ron Fricke (Baraka, 1992).
Pour le dernier volet de la trilogie à venir, les trois complices avaient envie de parler des changements climatiques. Dans 50 ans, la Louisiane sera engloutie sous les eaux si aucune mesure n’est prise pour changer la donne. En effet, à cause de la fonte des glaces, le fleuve Mississippi risque d’immerger la Nouvelle-Orléans. C’est pourquoi on inonde volontairement des villages entiers de manière préventive pour tenter de contrer la colère de Dame Nature. Ce qui a interpellé les auteurs, c’est alors la résilience avec laquelle les villageois ont accepté leur sort et la résistance qui s’est installée en construisant des maisons-bateaux. Pour ces derniers, cette rébellion de la nature est une sorte de punition divine à laquelle on ne peut échapper et dont il faut s’affranchir pour continuer de mener à bien sa vie. On doit y faire face. Matteau nous parle de ce court comme d’un film d’anticipation post-apocalyptique à la Andrei Tarkovsky, filmé avec un drone à échelle humaine dans des rues désincarnées et éthérées où flottent le racisme latent d’une ère pro-Trump.
C’est aussi pendant toute la durée du FCVQ que les résidents de Québec et ses visiteurs peuvent découvrir la vision de Samuel Matteau sur le Grand Froid, cette expérience de réalité virtuelle hors du commun qui change chaque année de concepteur et de regard. Pour cette 2ème édition, la place d’Youville prête de nouveaux ses lieux mythiques pour accueillir ce projet de Studio Élément dont l’approche pédagogique nous fait découvrir le patrimoine culturel de la ville de Québec de manière ludique. « Les gens ont tendance à être passifs devant un écran, ils ne sont pas habitués à bouger et occuper l’espace » nous explique le réalisateur pour qui ce projet est « une antithèse du cinéma ». « On est plus proche d’une mise en scène théâtrale » nous dit-il. C’est un monde des possibles rempli de perspectives qui s’offre à l’utilisateur auparavant spectateur et dorénavant acteur de l’œuvre qu’il fait bouger et avancer au gré de ses envies. Pour ce faire, il lui faudra apprendre à se détacher de l’expérience cinématographique habituelle et de son rapport à l’image. Cette réalité virtuelle devient donc un véritable outil de communication qui nous aide à circuler dans le jeu au même titre que circule l’information. Des éléments du décor se déclenchent alors et viennent de manière interactive jouer avec nos sens et titiller notre curiosité en réveillant l’enfant qui sommeille en chacun de nous, à l’image de cette cage d’ascenseur nous permettant de mieux appréhender l’espace et l’énergie du dôme crée.
En phase de scénarisation, Samuel Matteau prépare aussi un autre court métrage de fiction sur les camionneurs du Témiscamingue pratiquant le rodéo. Un évènement redneck qui lui permettra d’évoquer la personnalité sensible et fragile des garçons du coin au travers une course de camions de 18 roues et des changements climatiques. Une nouvelle réflexion sur la masculinité déjà entamée dans son premier long métrage Ailleurs où l’on découvrait, loin des schémas narratifs habituels, une fascinante histoire d’apprentissage faîte d’errance et de détours entre deux jeunes garçons de Québec, dans une tendre et singulière représentation comme on en voit peu dans le paysage cinématographique actuel. Manifestement, Samuel Matteau n’a pas fini de se questionner et de nous surprendre, tirant parti de son âge tendre pour créer un cinéma sensible à la technique travaillée et au caractère frondeur, tout en restant fidèle à l’enfant qu’il a été.
Cette rencontre a été permise dans le cadre du FCVQ