Le mid90s de Jonah Hill

États-Unis, 2018.
Note : ★★★★

Jonah Hill poursuit son exploration du drame après avoir joué dans le dernier Gus Van Sant, mais cette fois-ci derrière la caméra (et le scénario). Un premier film d’une grande sensibilité où Hill dirige une caméra intelligente et respectueuse de ses sujets. Un film articulé au service de personnages manquant d’articulation pour exprimer ce qu’ils vivent. À voir.

Affiche promotionnelle du film.

Les premiers plans laissent planer le doute sur la suite du film : la présentation de la chambre de Stevie (Sunny Suljic), garçon au bord de l’adolescence, personnage principal. Console Super Nintendo, draps des Ninja Turtles, affiches diverses sur les murs… tous des éléments qui nous plongent dans la nostalgie. Mais si ces indices visuels sont très présents dans les premières minutes, ils disparaîtront au profit d’un naturalisme dans la mise en images des situations ; aucun placement de produit, aucun anachronisme. Ce travail de reconstitution est plutôt impressionnant, surtout qu’il passe inaperçu (ce qui est une grande réussite) en grande partie par l’aisance et l’affirmation avec laquelle Jonah Hill construit son premier film.

Stevie incarné par Sunny Suljic

Si catégorisation de genre il doit y avoir, mid90s est un coming of age story, ce genre où un jeune apprend une réalité du monde adulte. Hill, par l’intelligence de son scénario, évite les clichés de ce genre tout en respectant l’évolution proscrite du protagoniste principal. On passe d’une forme d’innocence et de naïveté à une réalisation de ce qu’est le monde des adultes. Stevie observe beaucoup et la caméra nous le montre souvent. Plus il évolue dans ce nouveau groupe d’amis, un groupe de skate lui permettant de fuir sa mère (la force fragile incarnée par Katherine Waterston) et l’intimidation physique de son grand frère (l’excellent et bouillant Lucas Hedges). De cette observation, il reproduira des comportements, et cette émulation aura un certain prix. Hill a pris le pari de nous montrer la réalité de Stevie, tout simplement. Le film n’est pas esthétisé comme peut l’être Skate Kitchen (Crystal Moselle, 2018) par sa direction de la photographie, film auquel mid90s sera beaucoup comparé, à faux. À faux puisqu’il diffère tant dans l’esthétique que le propos. Ici, seul le skate (et le groupe qui trouve sa salvation dans le skate) est un point commun. L’évolution à Los Angeles de Stevie est beaucoup plus dramatique et formatrice que peut l’être celle de Camille à New York.

Lucas Hedges, Sunny Suljic et Jonah Hill sur le plateau de tournage.

La musique est très présente, du début à la fin. Une bonne variété, mais tournant toujours autour du rap et du R&B du milieu des années 1990. Hill, avec Trent Reznor et Atticus Ross, joue avec les différents beats et pièces musicales, tant pour les situations diégétiques qu’avec le montage. Quelques scènes se démarquent : un magnifique montage de rapprochement fraternel entre Ray (Na-Kel Smith) et Stevie sur du Morrissey (magnifique) et un plan-séquence bien maîtrisé où l’évolution, bien simple, d’un déplacement dans une fête, se fait au rythme d’une pièce musicale avec flûte qui évolue en pièce rap. Par ce simple plan, sans dialogue, Jonah Hill démontre qu’il a une sensibilité technique et qu’il sait mettre à profit sa caméra pour expliciter la réalité toute simple de ses protagonistes. Outre la musique, pour nous plonger dans cette époque, d’autres choix nourrissent cette immersion. Dans son souci du détail, Hill a tourné en pellicule ration 4:3 tout en laissant une grande place à la vidéo par l’entremise du personnage surnommé Fourth Grade (Ryder McLaughlin) et de sa manie de tout filmer.

Stevie (Sunny Suljic) et Ray (Na-Kel Smith) dans une scène de mid90s.

La maîtrise du scénario passe surtout par les dialogues naturels livrés par les acteurs. Le mélange de ces dialogues à la caméra fait de mid90s un film qui flirte avec le style documentaire ; rien n’est spectaculaire. Hill laisse la réalité parler d’elle-même et laisse la réalité affecter son spectateur. La réalisation s’adapte à l’évolution de Stevie, aux changements qu’il vit par ses nouvelles fréquentations. L’exploit réussi du scénario est d’omettre de préciser l’âge de son protagoniste, mais tout en nous l’imposant par la seule présence physique de Stevie qui s’incarne par le corps enfantin de Sunny Suljic. Ce que le personnage vit aurait pu être incarné par un adolescent de 16 ans. L’importance de son âge marque (et peut aller jusqu’à choquer) le spectateur seulement lorsque l’image de son corps d’enfant est présente dans des situations généralement associées à l’âge adulte ou à l’adolescence (sévices corporels –plusieurs–, batailles, sexualité, etc.). Et ça ne sonne jamais faux. Hill sait tirer avantage de ce grand contraste dérangeant entre le corps enfantin et le contexte dans lequel il évolue. Son film fonctionne parce qu’il ne juge ni Stevie, ni les personnages qui le mettent dans ces situations. Il ne fait que montrer. Et il s’en sauve parce que sa caméra est quasi documentaire, absente de suresthétisation. Les dialogues jouent beaucoup sur cette impression quasi documentaire puisque les personnages manquent d’articulation, surtout quand le drame est présent. Ce manque d’élocution évite le piège des coming of age stories où un sage ou mentor –ici explicitement incarné par le personnage de Ray, grand frère de remplacement, modèle masculin de substitution– explicite dans un discours la leçon à apprendre. Si Jonah Hill nous sert ce discours, il n’est pas rempli de sagesse, mais plutôt d’une simple réalité : « quand on vit un drame, on skate ». Rien de complexe ou de philosophique. C’est simple, clair et la leçon de la dureté de la vie et plus spécifiquement la dureté de leur environnement n’est pas évacuée, dissimulée ou encore diminuée par un quelconque discours. Jonah Hill remplace en quelque sorte ces étapes charnières habituellement marquées par des explicitations des transformations par des simples rappels visuels (deux scènes d’urination en public, deux scènes de skate au milieu d’un grand boulevard) ; simple, beau, respectueux, mais lourd de sens.

Fourth Grade (Ryder McLaughlin), Ray (Na-Kel Smith), Ruben (Gio Galicia), Stevie (Sunny Suljic) et Fuckshit (Olan Prenatt).

Stevie a une urgence d’appartenir pour pouvoir survivre, tout comme ce film semble avoir été créé avec une urgence d’exister. Hill révolutionne sans réinventer le genre du coming of age, et pour un premier film, c’est tout un accomplissement. Mais avant tout, Jonah Hill le réalisateur sait créer et respecter des personnages sans jamais tomber dans le piège du jugement ou de la moralisation. C’est ici la clé qui fait de Jonah Hill un excellent cinéaste.

Bande-annonce en version originale anglaise.

Durée : 1h24

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