Québec, 2022
Note : ★★★ ½
Les cinéastes Maxime Giroux et Simon Lavoie nous ont habitués à un cinéma audacieux, voire radical. On n’a qu’à penser à leurs dernières réalisations respectives, La grande noirceur (notre avis ici) et Nulle trace. Le premier agissant ici à titre de réalisateur et le second de scénariste, les deux hommes de cinéma mettent avec ce nouveau film leur talent au service d’une œuvre beaucoup plus grand public.
Norbourg raconte une histoire assez générique de montée au pouvoir puis de descente inévitable, marquée par la cupidité et la trahison. Il s’agit de celle de la compagnie d’investissement Norbourg, dirigée par le bandit à cravate Vincent Lacroix qui, au début des années 2000, a mené des activités frauduleuses qui ont mené à la ruine des milliers de personnes.
Si la radicalité, autant technique que scénaristique, présente dans les derniers films des auteurs est absente, du fait entre autres qu’ils présentent aujourd’hui une histoire vraie plutôt qu’une dystopie, cette nouvelle proposition bénéficie tout de même de leur talent indéniable, leur rigueur, leur vision du monde pessimiste et leur volonté de dénonciation.
D’une redoutable efficacité, leur travail conjoint est épaulé par un montage réglé au quart de tour et une musique pesante tout aussi percutante. Elle participe d’ailleurs à créer la tension, à faire embarquer le spectateur dans le train. Même si toutes les ramifications financières discutées par les personnages peuvent échapper à la compréhension du commun des mortels, ces éléments combinés aux judicieux choix de plans (ceux des documents qui passent à la déchiqueteuse, de la touche delete du clavier martelée à répétition, des stores de bureaux qui se ferment) suggèrent habilement que des affaires louches se trament.
Dans un style visuel froid, caractérisé par un découpage quasi chirurgical, où règnent les lignes, celles tranchantes des tours du centre-ville, des cubicules de bureaux, des enveloppes, des lettres, des cravates et des plis de pantalons, ainsi que l’éclairage aux barres de néon, qui n’est pas sans rappeler celui d’un autre réalisateur québécois, Podz, Maxime Giroux recrée un univers à la fois triste et fascinant. Sa façon de le mettre en images traduit bien sa vision du milieu, vil et sans âme. La direction photo impeccable de la toujours excellente Sara Mishara contribue à mettre l’ensemble visuel en valeur.
Évoluant dans ce boys club que la corruption n’émeut pas, les personnages principaux sont interprétés de manière convaincante par les comédiens Vincent-Guillaume Otis dans le rôle d’Éric Asselin, l’enquêteur moralement droit qui, gagné par l’appât du gain, devient véreux, et François Arnaud, dans le rôle du PDG Vincent Lacroix, le leader confiant, ambitieux et fantasque qui perd peu à peu ses moyens. Néanmoins, leurs personnages — et particulièrement celui du notoirement connu Lacroix — restent traités de manière quelque peu superficielle.
L’énergie scénaristique est davantage mise sur les magouilles et très habilement, de manière évocatrice sans être trop appuyée, sur le propos politique dénonciateur. Le film est parsemé de clins d’œil critiques à l’ère libérale des années 2000 de Jean Charest, marquées par les restructurations inutiles, la réingénierie et la dérèglementation qui ont fragilisé le secteur public au point de rendre possible, voire de favoriser par le laxisme ambiant, ce genre d’arnaques aux conséquences terribles pour les milliers d’investisseurs qui en ont été victimes.
Bande-annonce :
Durée : 1h59
Crédit Photos : Entract Film & Maison 4:3