Nomadland : Dignité en liberté

États-Unis et Allemagne, 2020
Note : ★★★★

La cinéaste chinoise Chloé Zhao poursuit son ascension au titre de cinéaste incontournable. Forte de son Lion d’or à Venise en septembre 2020, elle revient avec Nomadland, trois ans après son magnifique The Rider. En conservant la même approche du style quasi documentaire avec des non-acteurs, la réalisatrice passe du milieu des rodéos à celui de la communauté « vie en van » (vandwelling en anglais). Différence majeure : elle troque l’interprète principal amateur pour une chevronnée, Frances McDormand. Un film où la poésie visuelle appuie la réalité de la précarité d’être sans maison, non pas sans abris.

En pleine crise économique, la veuve Fern (McDormand) doit quitter la ville quasi abandonnée d’Empire au Nevada où elle a perdu son emploi de professeure remplaçante. Elle remplit sa van usagée pour vivre indépendante sur la route. Dans cette nouvelle vie, elle découvre une communauté aux moyens modestes, dont les membres sont tous libres, avec les hauts et les bas que cette liberté exige. De ville en ville, de paysage en paysage, Fern accumule les petits jobs pour subvenir à ses besoins, découvrant par le fait même cette communauté, mais surtout cette liberté du nomadisme.

Neutralité humaine et systèmes économiques

Le style documentaire de la réalisatrice apporte une certaine neutralité, posture utile si l’on pense à cette partie du film où Fern est employée dans un centre de distribution d’Amazon. Cette neutralité peut certainement avoir donné accès à l’immeuble du Goliath capitaliste (parce qu’il s’agit bien d’un vrai centre de distribution Amazon). Il n’en demeure pas moins, que dans le contexte du film entier, ce choix de lieu est lourd de sens : sa protagoniste dépend de cet emploi précaire, la maintenant par le fait même dans une situation précaire. Dans un commentaire de la part du film sur le potentiel cyclique et instable de la crise économique mis en scène, Fern retournera travailler au centre de distribution par nécessité. L’aspect politique de Nomadland n’est jamais gras ou souligné, mais se trouve dans un tout, dans une accumulation de subtilités. Parce que la cinéaste s’intéresse avant tout à l’expérience humaine et aux humains qui la vivent. Zhao montre le capitalisme, mais nous investit dans l’expérience de ses protagonistes, non pas dans les dénonciations politiques. Si Fern a cette vie, c’est bien parce qu’il y a une crise économique. Tout comme ses mentors nomades, qui eux le sont depuis la crise économique de 2008. À chacun sa crise. En reliant ces deux générations de nomades, le commentaire se dévoile : il s’agit d’une constatation des ravages du capitalisme. Les scènes d’ouverture dans une Empire déserte donnent le ton. Mais Nomadland n’est pas un film politique. Il est avant tout humain.

Amateurs dignes

Tout comme dans The Rider, Chloé Zhao s’entoure d’acteurs non professionnels, de véritables nomades de la route. Linda May, Swankie ou encore Bob Wells accompagnent, discutent ou agissent comme mentors envers Fern, et ce, sans imposture. Ils sont tous et chacun des personnages attachants, intéressants et chaleureux qui ont une présence riche. Zhao sait parfaitement capter leur humanité, leurs particularités, mais surtout leur dignité. Dans une société qui assujettie ceux qui sont malchanceux, Nomadland leur rend justice dans une poésie visuelle, dans cette ode à la dignité empreinte de liberté.

Poésie visuelle

Tourné en numérique pour des raisons budgétaires, il n’en paraît presque rien. Le travail majestueux du directeur de la photographie Joshua James Richards est à souligner. Il semble avoir fait des tournages de paysages extérieurs sa spécialité avec l’austère mais magnifique God’s Own Country de Francis Lee et les deux précédents films de Zhao (Songs my Brothers Taught Me (2015) et The Rider (2017)). Le midwest américain a rarement été si magnifiquement capté dans toutes ses teintes de rose, orange, mauve et bleu.

Frances McDormand se mêle parfaitement bien à cette communauté. Exit le glamour hollywoodien (ce qu’elle n’a jamais vraiment incarné malgré ses deux Oscars), elle est Fern. Le seul autre acteur majeur, David Strathairn, incarne Dave, un nomade croisé à quelques reprises qui est séduit par Fern. Leur relation, davantage nomade que sédentaire, nous offre un fil narratif léger, Zhao préférant dévoiler la situation de Fern plutôt qu’une histoire d’amour classique. McDormand brille dans cette interprétation profondément humaine et empathique envers sa Fern qui saura séduire toute personne qui lui consacre du temps, en posant un regard sur l’écorchement qu’elle vit. Fern est un modèle, une délaissée qui refuse d’être effacée; la noblesse de ce combat n’est qu’une partie de l’admiration que nous pouvons avoir pour elle.

Les pièces musicales de Ludovico Einaudi nous enivrent dans cette nature américaine. Le choix d’Einaudi ne semble pas être anodin puisqu’il a souvent composé pour la nature (voir entre autres cette performance).

Nomadland nous rappelle la beauté américaine d’un milieu dur captée par la Britannique Andrea Arnold dans American Honey (notre critique ici). Comme quoi, seuls des regards non américains semblent capturer la poésie dans la dureté de son fonctionnement. Seulement si l’on braque notre caméra sur les humains écorchés ou délaissés par le système. Cette solidarité saura vous séduire.

 

Bande-annonce originale :

Durée : 1h47

Crédits photo : Searchlight Pictures

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