Réconcilier les deux branches du Testament, tâche impossible ? – ♥♥♥
Aron Lustiger, après sa conversion au catholicisme, connaît une ascension fulgurante qui le fait passer, en quatre ans, de simple prêtre à évêque d’Orléans (1979), puis archevêque de Paris (1981), enfin cardinal et conseiller spécial de Jean Paul II (1983). Mais ce parcours est semé d’embûches et de déchirements intérieurs.
Le scénario de Ilan Duran Cohen et de Chantal de Rudder mettent au jour la personnalité et les apports du cardinal Lustiger, décédé en 2007, dans le dialogue entre religions catholique et juive. À l’heure où l’on parle de dialogue entre religions, la lumière mise sur cet homme fait figure d’exemple des problématiques et des liens serrés entre Histoire, Religion, politique et l’influence grandissante des médias.
On suit l’ascension fulgurante de Jean-Marie Lustiger, poussé grand train par Jean-Paul II. Il assume et revendique cette image de juif converti, comme une « volonté de Dieu ». Mais son utilisation ambivalente par la curie romaine sera bien moins positive, à la fois porte-étendard d’une volonté de réévangélisation de l’Europe et mettant au grand jour l’antisémitisme et l’intolérance latents au sein même de l’Église et source de dissensions avec le grand rabbin de France, voire avec la presse catholique. L’admiration réciproque des deux hommes n’ira cependant pas sans oppositions vives. Le père Jean-Marie Lustiger, homme au caractère trempé, ne cessera d’affirmer qu’il demeure juif, « comme les apôtres et le Christ lui-même ». La personnalité hors du commun et la trajectoire originale de « monseigneur Bulldozer », dont on reproche l’ambition dévorante, le manque total de diplomatie, et le langage très cru, deviendra le pont entre Judaïsme et catholicisme dans les luttes d’influence. Il ne renie rien et voit en sa trajectoire une portée générale, volonté divine : « Je suis une provocation vivante qui oblige à s’interroger sur la personne du Christ! » Il veut ouvrir l’Église, réformer l’enseignement des prêtres et la moderniser, en la faisant notamment entrer dans l’ère des médias de masse, avec la création notamment de Radio Notre-Dame. Laurent Lucas, transfiguré pour le rôle, vit, brille et impressionne en un Jean-Marie Lustiger virevoltant mais hanté par son passé et constamment rattrapé par ses origines. Ilan Duran Cohen propose ici un tableau très critique (voire sombrant un peu dans la caricature) de l’Église catholique, mais il permet de resituer celui qui a fait ouvrir les yeux de l’Église sur sa méconnaissance de l’holocauste et la nécessité de réforme de l’éducation des prêtres, à l’époque de l’affaire du carmel d’Auschwitz). La distribution est très impressionnante, pour ce téléfilm diffusé sur Arte à l’origine, avec Pascal Gréggory très juste en cardinal Albert Decourtray, Grégoire Grégoire Leprince-Ringuet en secrétaire particulier du cardinal, Audrey Dana en Fanny, Henry Guibet en Charles Lustiger, et les trop rares Bruno Todeschini en Théo Klein et Nathalie Richard en mère supérieure du couvent d’Auschwitz. Seul accroc mais pas le moindre, Aurélien Recoing est un peu engoncé dans le rôle de Jean-Paul II, trop théâtral, forçant l’accent jusqu’au ridicule et à l’émotion outrée naviguant de la larme à l’oeil à la mâchoire serrée. Les détails de la relation avec le pape n’étant pas connus, cette partie là flotte un peu voire manque de crédibilité et on tait les véritables tensions voire le ressentiment existant entre le cardinal et les autres évêques, mais on suit avec grand intérêt le portrait de cet homme, dans ses apports comme dans ses défauts, n’hésitant pas à souligner son caractère colérique et dictatorial.