Espagne, 2021
★★★ 1/2
Doux et sensible, le tout récent film de Pedro Almodóvar réaffirme le pouvoir de conteur et d’artiste qu’est le réalisateur espagnol. Après Dolor y Gloria et The Human Voice (on en parlait ici), le cinéaste ajoute à sa filmographie une œuvre empreinte d’espoir et de mélancolie, extrêmement bien exécutée et qui met en lumière le talent de Penélope Cruz dans le rôle principal.
Janis (Penélope Cruz) est photographe, entretient une relation amoureuse avec un anthropologue judiciaire dénommé Arturo (Israël Elejalde) et tombe enceinte de celui-ci. Le jour de son accouchement, Janis se lie d’amitié profonde avec une jeune femme, Ana (Milena Smith), elle aussi sur le point de mettre au monde son enfant. De cette rencontre découlera une suite d’événements qui bouleverseront la vie des deux femmes.
Almodóvar a su démontrer dans chacun de ses films la beauté et l’admiration qu’il a envers la féminité, Madres Paralelas incarne une ode à la femme, mais aussi au passé. C’est par l’entremise de ce poème que le réalisateur réfléchit sur le passé, le présent et le futur de sa société et il le fait avec rigueur et splendeur. Comme toujours, le réalisateur espagnol réussit à se faire respecter par la qualité indéniable de son travail. Un véritable tour de force, encore une fois.
Le corps, incarnation du passé, du présent et du futur
Une des quêtes principales de la protagoniste est explicitement établie dès les premières minutes du film : entamer une exhumation des corps de ses ancêtres et de ceux des villageois de son coin de pays. Janis qui n’a été élevée que par sa grand-mère (Julieta Serrano) lui a promis d’exhumer le corps de son arrière-grand-père et d’honorer sa mémoire qui autrement aurait sombré dans l’oubli. Janis qui a toujours voulu être mère voit son vœu exaucé par sa grossesse accidentelle, qu’elle accueille avec sang-froid et bonheur.
Almodóvar travaille donc avec ce concept de famille et d’héritage qui sont rattachés à Janis. Elle désire enfanter et perpétuer le patrimoine familial de la même manière qu’elle souhaite redonner une identité à sa famille par le biais de l’exhumation du corps. Le personnage principal semble résoudre le passé pour mieux préparer le futur.
Almodóvar a toujours critiqué les séquelles causées par le régime franquiste au sein de l’identité espagnole, mais dans Madres Paralelas, le cinéaste de la Movida ne peut être plus clair. Il faut redonner une dignité à ces centaines de milliers d’hommes, femmes et enfants disparus sans laisser de traces sous le régime dictatorial de Franco. Comment aspirer à penser le futur sans être en paix avec son passé ? C’est une telle question qui semble déchirer Janis, Ana et Teresa au même titre que le réalisateur.
Le réalisateur se questionne sur ce qu’est la maternité et exploite différentes figures archétypales : la mère absente, celle qui ne l’a pas été par choix, la mère de substitution. Trois inclinaisons incarnées dans le film qui mettent en relief le rapport entre procréation et tradition, qui réfléchissent la manière d’engendrer un héritage et le perpétuer. C’est irrévocablement par le jeu extraordinaire de Pénélope Cruz et de Milena Smith que l’on vit l’expérience aigre-douce de la maternité, le déchirement d’être dans les méandres de l’incompréhension, ainsi que la difficulté à se fixer des repères dans une généalogie qui demeure incomplète.
La corporalité est particulièrement exploitée par l’artiste et le corps semble être à la fois un résultat d’un passé, mais aussi un moyen d’assurer l’avenir. La maternité vécue par Ana et par Janis semble métaphoriser le processus de réconciliation de chacune avec leur bagage, leurs ancêtres. Le fait qu’Ana ait engendré une progéniture a percuté de plein fouet sa mère Teresa (brillamment interprétée par Aitana Sánchez-Gijón), la poussant à s’affliger des remords.
L’enveloppante musique composée par son fidèle collaborateur, Alberto Iglesias, enrobe les personnages d’une douceur réconfortante en plus de les accompagner dans l’exercice de leurs vices, ainsi que dans la reviviscence des souvenirs. La musique ponctue les moments décisifs de la même manière que les souvenirs surgissent du passé.
Artificialité et humanité
Il va sans dire que le cinéaste espagnol sait bien s’entourer et le travail de José Luis Alcaine comme directeur de la photographie sublime davantage l’univers. C’est une histoire triste qu’Almodóvar nous raconte, s’éloignant depuis quelques années de la comédie. Le travail d’Alcaine accentue cet aspect mélodramatique qui se dégage de l’œuvre. En effet, la lumière toujours trop forte, l’ensoleillement qui semble volontairement forcé met de l’avant le visage, le regard et ce que ceux-ci peuvent révéler des affects des personnages rongés par leurs regrets.
L’intertextualité semble être monnaie courante pour Almodóvar. Les nombreuses œuvres qui décorent subtilement les espaces poussent toujours à se questionner sur leur résonnance avec les événements. La récurrence de la photographie comme activité et les nombreux clichés qui ornent la demeure de Janis semblent jouer le rôle de document, mais aussi de monument. Ils rattachent Janis à sa mère, à son passé et à son futur. La caméra tient captif son sujet dans la subjectivité de celui qui la manie.
Pedro Almodóvar a toujours dépeint ses femmes comme étant des figures de résilience, de puissance et de persévérance et cela ne change pas dans son plus récent opus. Le cinéaste ne cesse d’impressionner et s’approche toujours plus de nos cœurs avec cette oeuvre de loin la plus émouvante, touchante et particulièrement bouleversante. Madres Paralelas est un film spectaculaire qui se distingue par une sobriété étrangère au style d’Almodóvar. C’est une œuvre qui réitère le besoin de discuter le passé pour mieux réfléchir le présent et l’importance d’aimer, peu importe, la manière. Le résultat déchire et réconcilie, apaise et percute ; Madres Paralelas est un film à voir, absolument.
Bande-annonce originale :
Durée : 2h
Crédit photo : Métropole Films
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