France, 2015
Note: ★★★ 1/2
Le dernier film de Nicolas Boukhrief dont la bande-annonce vient de sortir, fait déjà beaucoup parler de lui et c’est tant mieux. Bien que tourné avant les attentats de janvier dernier à Paris, le réalisateur, sans changer son fusil d’épaule, s’attaque à l’extrémisme grandissant qui fait polémique, non sans faire preuve d’audace. Il ne temporise pas, s’emparant d’un sujet peu traité dans le cinéma français : le terrorisme intérieur.
Sam (solide Malik Zidi) est un jeune journaliste, marié et père d’un enfant. Pleins de certitudes et projetant l’écriture d’un article sur le djihadisme, il décide d’infiltrer des mosquées clandestines. Il y fera la rencontre de trois jeunes égarés (comme il les appelle) venus au départ par curiosité, une curiosité qui se transformera vite en conviction dans l’attente du retour de leur chef, Hassan (intimidant Dimitri Storoge). Mais quand la situation tourne au vinaigre, Sam, alors complice par procuration, ne pourra plus faire marche arrière et devra composer avec ses propres armes, sa culture et sa détermination pour faire imploser une cellule qui ne cesse de grandir.
Si la mise en scène sait être nerveuse quand l’action le nécessite, on sera gré au réalisateur de ne pas avoir recours à l’utilisation abusive de mouvements de caméra que beaucoup se seraient dépêchés de jeter à l’image. Au contraire, il fait preuve de sobriété et use d’intelligence en mettant davantage l’emphase sur la psychologie et les motivations des personnages que sur leurs gestes. Ici, pas de fusillades intempestives ni d’explosions à tout va, mais plutôt l’analyse en amont du cheminement intellectuel de leurs actions. Made in France atteint sa cible droit au cœur grâce à la sincérité de son engagement.
De prime abord plus complexe qu’il n’y paraît, c’est un film sans compromis, qui ne se perd pas dans des détours narratifs équivoques. En effet, pour éviter toute islamophobie et une mésinterprétation de ses intentions, Nicolas Boukhrief fait de son héros une sorte de double: un musulman né, comme lui-même, de père algérien et de mère française. En outre, la présence dans le quatuor de Christophe (François Civil), un Français issu d’une famille bourgeoise et catholique sur plusieurs générations, évite tout parallèle malheureux entre jeunes terroristes et jeunes Arabes. C’est d’ailleurs peut-être le personnage le plus intéressant, représentant à lui tout seul une génération esseulée ayant comme repère le Scarface de De Palma, où la réussite passe par l’argent, la coke et les prostituées. Et c’est là où le bât blesse, car pour eux cette référence est une propagande américaine destinée à piétiner les valeurs qu’ils défendent. Avec une arme à la main, alors qu’il ne sait pas vraiment tirer, ce jeune égaré se prend pour Tony Montana. Il passe aussi beaucoup de temps à filmer le néant pendant que la révolution se déroule sous son nez. Aux yeux de ses camarades il n’est qu’un bouffon cherchant simplement une forme d’acceptation en voulant se faire appeler Youssef, ce que les autres ne font d’ailleurs jamais. Néanmoins, c’est un membre déterminant du groupe qui fournit l’argent servant à financer les opérations d’Hassan (notamment en achetant des armes), destinées à créer des guerres saintes au sein des capitales.
Présentés tour à tour dans leur quotidien, le montage en parallèle décrit la platitude de la vie des garçons et la manière dont ils se dérobent à leurs problèmes. L’un est barman et boxeur, un autre vendeur de voitures et addict aux jeux vidéos. Ils sont le voisin d’à côté, votre collègue de travail, peut-être même votre propre cousin. De simples soldats attendant des instructions dont toute remise en cause serait punie d’une exécution sommaire. Dès lors, pour enclencher le processus du djihad, ils doivent pratiquer la taqiya, l’art de la simulation, qui consiste à se fondre dans la masse pour ne pas se faire repérer. Ils font alors profil bas en rasant les murs comme leurs barbes, évitant les mosquées, lieux connus des indics de la police, où les imams prêchent notamment contre internet et la pornographie.
Une réflexion éclairée sous forme de thriller politique.
Contrairement au caractère de Scarface, Boukhrief fait de son Hassan un personnage auquel le spectateur ne peut s’identifier, car si le premier a eu une influence néfaste sur un pan entier d’une génération, le second ne fait du mal qu’au sein même de sa cellule de guerre. Formé au Pakistan, c’est le même Hassan qui donne des ordres et passe ses journées aux pieds des clients auxquels il vend des chaussures. À l’instar du chef de la communauté dans The Beach de Danny Boyle, sa mégalomanie démesurée le conduira à sa perte ruinant tout ses efforts pour construire quelque chose de durable. Une même folie les anime, symbolisée par ce mégot allumé dans la noirceur totale de la nuit et ces étincelles qui, par vent fort, pourraient mettre le feu aux poudres.
Depuis l’écriture du scénario d’Assassins de Matthieu Kassovitz en 1997 et avant de passer aux commandes du Convoyeur et des Gardiens de l’ombre, on peut dire que Nicolas Boukhrief se plaît à parler d’individus ordinaires qui s’infiltrent dans des milieux interlopes. Plaçant sa caméra au cœur de l’action, il affine son style au fil du temps, enrichissant ses personnages d’une profondeur dramatique, dans le cas présent sur une musique de Rob, pesante, grave et rythmée. Sans jamais juger, il nous présente des jeunes paumés qui n’hésitent pas à mettre leur vie entre parenthèses comme au générique de fin. Il fait alors de Made in France, une œuvre aboutie appelant à la tolérance. Souhaitons qu’elle saura, relancer un débat, que l’on adhère ou non à l’idéologie véhiculée.
Durée: 1h29