France, 2019
Note : ★★★1/2
Active depuis plus de 20 ans dans le paysage cinématographique français, Marina De Van n’a jamais cessé de nous surprendre grâce à des propositions radicales souvent décriées. Ma nudité ne sert à rien ne fait pas exception à la règle. Dans cet autoportrait, la réalisatrice explore son image, son corps et sa nudité sous le prisme des relations amoureuses conditionnées par le diktat des applis de rencontres. Pour qui ne connaît pas son œuvre, la rudesse de la forme apparaîtra ésotérique en dépit des innombrables idées fécondes disséminées dans ce documentaire, certes inégal, mais ô combien vibrant.
Marina De Van fait ses premières armes à la FEMIS qu’elle intègre en 1993 dans le volet réalisation. Elle y signe plusieurs courts-métrages qui ne tarderont pas à se faire remarquer en raison de leur audace singulière (dans Bien sous tous rapports, des parents éduquent leur fille sur l’art de la fellation). C’est aussi dans cette grande institution qu’elle rencontrera François Ozon qui lui permettra d’accéder à une plus grande notoriété en tant qu’actrice (Regarde la mer en 1997, Sitcom en 1998) et scénariste (elle co-écrit Sous le sable et 8 femmes nommé d’ailleurs au César du meilleur scénario orignal ou adaptation en 2003). Tout comme lui, elle partage un goût immodéré pour la subversion qu’elle expérimente dès son premier long (Dans ma peau, 2002) où elle se met en scène dans une histoire d’automutilation cathartique, scabreuse pour certains et poétique pour d’autres.
Pour son quatrième long métrage, la cinéaste nous reçoit dans l’univers foutraque et disparate de son appartement parisien qu’elle occupe depuis plus de 20 ans. Oui, elle nous reçoit, la porte grande ouverte sur son intimité et les craquelures de ses blessures, avec la générosité de ceux et celles qui donnent sans compter. On y découvre une femme nue et désinhibée de 48 ans qui n’a pour seule compagnie qu’une télé allumée en permanence et une chatte qu’elle aime câliner à outrance. De fait, la solitude qu’elle ressent est accentuée par l’accointance avec sa mère où elle va régulièrement laver son linge, sans doute pour y chercher une attention que seule sa chatte Nisar est en mesure de lui procurer au quotidien, (elle affectionne particulièrement ses ronronnements et le bruit de ses lapements). De son enfance, Marina De Van a conservé le goût des siestes et une tendresse pour ses rêves de gamine, nourris aux romans Harlequin qu’elle avoue sans tabou aimer lire. Ainsi, la scène finale de Flashdance qu’elle s’évertue à rejouer en simultané devant sa télé lui permet de ressentir par procuration la passion de l’héroïne (celle du corps et du cœur), avec une naïveté déconcertante et touchante à la fois. Malgré les déconvenues hasardeuses de la vie, la réalisatrice continue de scruter l’horizon à sa fenêtre, les yeux remplis d’espoir.
Toujours est-il que le bilan peut sembler lourd. 48 années de solitude à sentir le temps lui échapper, prisonnière de son image qu’elle s’applique à filmer pour en extirper un honnête jugement. 10 ans sans voyages, sans connaître ses voisins de paliers, ni même quitter un appartement qui s’est peu à peu greffé à elle comme une seconde peau. Cette même peau qu’elle aime étudier sous toutes les coutures, mêmes les plus disgracieuses. Elle la déforme, la triture et la tire pour en extraire une substantifique moelle. Ainsi, elle peut rester là des heures à se regarder dans un miroir ou sur un écran, à la recherche d’une vérité sans apprêt. Très tôt, elle manifeste pour son corps une fascination sans faille après qu’une voiture lui eut écrasé la jambe à 8 ans. À l’époque, cet accident impromptu réveilla en elle un goût pour l’irrévérencieux et le morbide.
Confessions diurnes/Confusions nocturnes
Une cigarette électronique aux lèvres, elle pense à la mort et à l’avenir avec la peur de vieillir, alors que les réseaux sociaux accentuent la transparence des femmes dans la cinquantaine sur les applis (évoquant les mêmes thématiques de Celle que vous croyez ). « Dans les moments creux, ça m’occupe » dira t-elle avec une lucidité troublante. Dès lors, elle s’adonne à des rendez-vous virtuels en essayant, lasse, de combler un vide sans pour autant être comblée de joie. Elle entretient sa personne en faisant quotidiennement des étirements et des exercices tonifiants lui permettant d’exulter ses angoisses et ses peurs devant la rareté des rencontres fortuites du quotidien. Aveuglée par la lumière constante de ces écrans dont la présence réconfortante l’accompagne jusque dans ses ébats sexuels, elle peine à se mettre à nu devant des inconnus avec qui l’orgasme n’est pas toujours une partie de plaisir. Nourris par des images pornographiques, ses fantasmes la poussent à se masturber devant internet, l’incitant à se réapproprier son corps (mais aussi son image) souvent scindé à l’écran dans des jeux de miroirs. Par le biais de ce procédé, la réalisatrice questionne la légitimité des images que l’on voit au mépris de ce que l’on perçoit. En outre, elle met en exergue la difficulté à pouvoir faire peau neuve au moyen d’une caméra en plongée sur et dans les corps filmés.
Try a little tinder-ness
Sans concession, elle sonde et fouille son être à travers ses désirs, parfois même ses fantasmes, qu’elle se plaît, à l’occasion, à mettre en image (elle suit un couple et s’assoit sur leur lit pour les regarder baiser). Évoluant dans un environnement bordélique et anxiogène où il lui est difficile de projeter des idées claires et précises, elle entremêle réalité et fiction en prenant une dose considérable de médicaments (elle a connu une addiction aux médocs, à l’alcool et à la cocaïne qui l’a conduite en cure de désintox) et en offrant un rôle à ses deux frères (Adrien est également acteur). Si Marina De Van captive autant qu’elle déplaît, son cinéma a au moins le mérite de faire jaser.
À l’heure où certains sortent un album de Noël pour se réinventer, la cinéaste pratique l’autocitation (Dans ma peau apparaît sous différentes formes à l’écran) afin de puiser dans les images du passé, une source d’inspiration pour ses projets futurs. Pour ce faire, elle se sert de son corps et de sa vie privée comme d’une matière première pour nourrir son art, à l’instar d’Yves Klein dont un des tableaux orne les murs de son appartement. Elle intègre alors le spectateur dans son processus de création et le rend complice de sa curiosité narcissique en brisant le quatrième mur. Sans jamais tomber dans la gratuité, sa nudité permet alors à ce dernier de se concentrer sur un discours pétri de sincérité qui néanmoins peut apparaître prolixe.
Au cœur de ce cinéma vérité, Marina De Van nous fait pénétrer dans sa sombre psyché où l’on entend jusqu’aux fêlures de sa voix off qui se questionne sur son corps et le souvenir de ce qu’il a été. On ne peut passer sous silence l’authenticité qui se dégage alors de cette œuvre inspirée, empreinte de confusions sentimentales répandant à profusion ses effluves de manière frontale. Elle nous propose une réflexion habitée sur le temps qui passe et la vacuité d’un corps désincarné, las de n’exister que pour son aspect. Ce journal intime moderne ne fait alors qu’amplifier l’écho impatient d’une âme câline peinant à sourdre naturellement.
Ce film a été visionné dans le cadre du Festival du nouveau cinéma 2019.
Durée: 1h25