France/Islande, 2016
Note: ★★★★
Avec L’effet aquatique, Solveig Anspach nous livre un film posthume d’une grande générosité, honorant la vie, les rencontres fortuites et les petits plaisirs du quotidien.
Samir, grand dadais dans la quarantaine, est grutier à Montreuil en banlieue parisienne. Dans un bar du quartier, il fait la rencontre incongrue d’Agathe dont il tombe instantanément amoureux. Occupée à s’engueuler avec le dragueur du coin, elle ne le remarque pas. Alors qu’un habitué des lieux le rencarde sur le lieu de travail de la jeune femme (elle est maître-nageuse à la piscine Maurice-Thorez), il se décide à prendre des cours de natation bien qu’il sache parfaitement nager. Une occasion en or d’approcher sa belle et, qui sait, de la séduire. Maladroit comme pas deux, la tromperie ne dure malheureusement qu’un instant. N’aimant pas les menteurs, Agathe remplace au pied levé un collègue et s’envole pour l’Islande afin de participer au 10èmeCongrès International des Maîtres-nageurs. Samir, amoureux transi, part la rejoindre, ce que la jeune femme ignore…

Présenté à la Quinzaine des réalisateurs au dernier Festival de Cannes, L’effet aquatique est le dernier chapitre de la « trilogie fauchée », qui comprend Back soon et Queen of Montreuil (avec le même duo d’acteurs : Guesmi et Loiret-Caille). Dès le début du film, Solveig Anspach et son coscénariste, Jean-Luc Paget, ont voulu raconter une histoire qui opposerait un milieu aquatique factice (la piscine de Montreuil) à celui plus naturel et sauvage de l’Islande (les sources d’eaux chaudes) afin de souligner le désir naissant entre les deux protagonistes. En effet, selon eux, il se passe dans une piscine beaucoup de choses qui relèvent de l’indicible et de l’irréel. De fait, les troubles de l’eau qu’affectionne tant Agathe réveillent en elle des désirs sous-jacents. Il y a quelque chose de rassurant à se faire enfermer le soir à son travail, les reflets de l’eau s’apparentant à un aquarium où elle serait le poisson rouge bien à l’aise et serein dans son environnement. L’occasion de devenir adepte du lâcher prise, elle qui, endeuillée depuis peu, rabroue souvent les garçons qui la font sortir de ses gonds. À l’opposé de son tempérament sur la défensive, Samir est de suite séduit par son bagout et son énergie. Le regard embrumé face à la grisaille des immeubles parisiens, il a pour habitude de scruter l’horizon dans l’attente d’un changement.
En jouant sur la dichotomie entre ville et campagne, la cinéaste fait de l’Islande une terre d’accueil salvatrice, où la nature et ses grands espaces sont à l’image de ses personnages : très colorés. Une terre saine à la bonne humeur contagieuse et aux coutumes des plus drolatiques. Ainsi, elle rend hommage à ses deux ports d’attache (native d’Islande, elle vit à Montreuil) et titille avec affection les différences culturelles de l’un et de l’autre (explication du rituel sur la propreté avant l’entrée dans les bassins).

En mode comédie romantique où les contraires s’attirent, le film ne surprend pas et offre des moments de bravoure convenus: déclaration devant une assemblée, scène de jalousie… Pourtant, la réalisatrice arrive à créer de l’inattendu dans le quotidien somme toute banal des protagonistes. C’est grâce à l’humour savamment distillé, lorsque l’insolite vient côtoyer la réalité que le film nous immerge dans son univers farfelu. Elle parvient, au moyen d’une approche singulière, à évoquer les différents stades amoureux sans jamais verser dans le futile, évitant ainsi les écueils faciles des bons sentiments. Il faut dire qu’il y a du burlesque dans les scènes tournées à la piscine avec la porte de cabine qui ferme mal ou encore l’arrivée de Samir dans son maillot de bain orangé trop serré. De plus, l’équipe de natation n’est pas en reste et apporte son lot de cocasserie : du simplet à la prof nympho en passant par un vieux séducteur, sorte de Jean-Claude Duss. Autant vous dire qu’on ne s’ennuie pas! Le casting est alléchant avec en tête Samir Guesmi, lequel, hélas, se fait discret au cinéma (le touchant Camille redouble) tout comme sa partenaire Florence Loiret-Caille.

Comédie légère au charme débridé, L’effet aquatique n’a pas son pareil pour séduire le spectateur à coup de situations plus rocambolesques les unes que les autres. Punch lines qui font mouche, prestations enlevées sont au programme de cette œuvre aux effets, certes attendus, mais séduisants (tout comme son affiche semblable à celle de L’inconnu du lac). C’est un au revoir tendre et sincère que nous livre Solveig Anspach. À 54 ans, celle qui se battait contre le cancer et gagnait la partie dans Haut les cœurs, son premier film autobiographique, a finalement raccroché les gants après plusieurs combats. Malgré la maladie, sa plus belle victoire aura surement été d’accoucher de projets cinématographiques à son image, empreints d’une fantaisie et d’une douceur de vivre communicative. Dorénavant, il faudra parler d’elle au passé, tourner la dernière page d’un livre que l’on ne souhaite pas refermer. Solveig Anspach nous quitte sur une note joyeuse, laissant derrière elle un cinéma atypique et haut en couleur, qui continuera encore longtemps de faire rêver l’enfant qui sommeille en chacun de nous.
Durée: 1h35