Canada, 2025
★★★★
Le cinéaste François Delisle, qu’on associe généralement à un cinéma plus sombre, porteur de thématiques souvent pessimistes (bien que réalistes), explore avec Le Temps sa vision associée aux changements climatiques, sujet qu’il est bien difficile d’aborder autrement qu’avec un peu de cynisme. Cette fois, contrairement à certains autres projets où on reprochait au réalisateur une mise en scène trop tape-à-l’œil créant un contraste avec le sujet traité, Delisle utilise l’image pour illustrer une crainte universelle face aux catastrophes climatiques, qui pend au-dessus de nos têtes telle une épée de Damoclès à dimension planétaire.
L’œuvre est constituée d’une multitude de photos qui seront présentées à un rythme variable, pendant lesquelles, en guise de conception sonore, quatre personnages s’alterneront afin d’exprimer en monologues leur point de vue face aux changements climatiques. D’abord, en 2021, une montréalaise fera part de son éco-anxiété face à la surpopulation, le conflit éthique que lui confèrent son jeune bébé et la planète dans laquelle elle devra l’éduquer. Puis, en 2042, on suivra un homme qui, en compagnie d’un groupe errant dans les plaines américaines, cherchera le salut en demandant l’asile au Canada.
En 2088, on rencontrera un correspondant de guerre à Londres qui, à l’aide d’une puce posée sur sa tempe, glane des informations sur la détresse des gens vivant dans la misère, dans une époque où l’eau est rationnée, les résultats de la catastrophe climatique se faisant de plus en plus ressentir. Finalement, en 2174, on suivra une femme, désertant une mission de guerre avec des forces armées, dans une atmosphère glauque et terne à souhait, au cœur d’une planète maintenant à sec.
On peut le deviner, le constat de François Delisle est loin d’être rose. La vision du réalisateur par-rapport à la lutte contre les changements climatiques est pessimiste, provocatrice, et ne tente pas de dresser un filtre nous donnant espoir en la suite. Le ton du film, simplement articulé autour de portraits immobiles, donne l’impression d’une vérité quasi-journalistique, bénéficiant à la mise en scène qui, sinon, aurait pu pâlir par manque de crédibilité. C’est d’ailleurs le cas de la quatrième histoire, ancrée au plus loin du futur, qui, bien qu’elle propose une esthétique intéressante, n’a pas la force du réalisme qui peut bonifier les autres parties. On y sent un peu trop l’apport de la fiction et de l’appareillage cinématographique, rendant ce segment beaucoup moins efficace.
En contrepartie, les séquences nous plongeant dans le Montréal actuel, avec des problématiques et questionnements existentiels propres à chaque personne vivant avec l’éco-anxiété, sont les plus réussies. Certains moments, mis en scène afin de provoquer le spectateur, sont efficaces par la force d’évocation des images, que le caractère journalistique rend dangereusement près du réel. La succession de photos crée un sentiment de vérité, même si on comprendra bien vite que la proposition du réalisateur est dystopique, même si dangereusement possible. Néanmoins, la mise en scène impose un rythme qui appelle à la contemplation, à l’écoute et à une prise de conscience différente d’un film conventionnel.
Malgré le désarroi et la crainte que l’on peut ressentir face aux changements climatiques, et qui sont bien présents dans Le Temps, on voit dans le film une volonté de radicalisation, de rage, de révolution. Tous les points de vue présentés, aussi pessimistes soient-ils, mettent en scène une humanité qui fait son possible pour se rassembler et agir contre la douleur ambiante. Les idées amenées par Delisle ne sont peut-être pas des plus novatrices, mais son film peut se lire comme un appel au changement, à la résilience, qui commence avec le rassemblement, la communauté. On peut s’unir entre blessés, et faire ce qu’on peut, à petite échelle. Le film n’est malheureusement pas réalisé de manière à le rendre accessible et apprécié par la masse, mais on ressent de par sa forme même une volonté de provoquer, susciter un temps d’arrêt et de réflexion, ce qu’il parvient à faire.
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Durée : 1h34
Crédit photos : h264