Le Miroir, premier long-métrage du cinéaste et enseignant de l’Université de Montréal Marc Joly-Corcoran, a connu un parcours des plus rocambolesques. Une production auto-financée, un tournage de 13 jours, une pandémie et un travail de distribution acharné, le film est enfin libéré dans les salles de cinéma du Québec. Le scénariste-réalisateur-producteur-monteur discute de sa façon de penser le cinéma, du cheminement de son film ainsi que de ses projets à venir.
Bien qu’il précise que Le Miroir n’est pas le premier long-métrage qu’il aurait pensé réaliser, Marc insiste sur l’importance de débuter avec un sujet près de soi. Accordant un oeil particulier à la relation entre thématique et dramatique, celui-ci prône l’honnêteté face à l’inspiration initiale du projet. Discutant l’écriture de son film, qui fut à elle seule un processus de plusieurs années, le cinéaste affirme qu’il faut savoir « trouver son film ». Une fois cette étape franchie, même si la démarche peut avoir connu plusieurs embûches et de longues latences, les choix thématiques, dramatiques et esthétiques découlent presque d’eux-mêmes. L’enseignant spécialisé en montage entretient aussi une relation importante avec la théorie. Il précise que ce rapport bicéphale par l’enseignement légitimise sa pratique et que son contact constant avec des élèves passionnés aide à alimenter sa flamme pour le cinéma.
D’arriver à sortir un long-métrage en marge des institutions relève d’un exploit au Québec. Joly-Corcoran raconte qu’il voit clairement les deux côtés de la médaille en matière d’autofinancement. Celui-ci embrasse l’idée d’avoir une meilleure main mise sur la dimension éditoriale de son projet, mais il souhaite également que l’expérience de travail offre de bonnes conditions et soit agréable pour tous. Le réalisateur reconnaît l’importance de savoir-faire des compromis entre ses ambitions esthétiques et le travail que celles-ci peuvent exiger de ses collaborateurs. Cela dit, la dimension minimaliste de la production du film Le Miroir vient également renchérir sa forme au diapason de l’intimité d’une histoire familiale. Ainsi, la production est d’autant plus conséquente avec une petite équipe soudée qui prône l’entraide et la cohésion entre tous, du réalisateur aux assistants de production. Marc valorise les gens avec qui il travaille et aime établir des relations professionnelles durables. Il explique que, pour l’instant, il est à l’aise à travailler dans un mode alternatif à l’industrie et se voit mal mener des plateaux de 300 personnes. Ce dernier, ayant pris plusieurs rôles sur sa production, parle aussi d’un intérêt à laisser quelqu’un d’autre monter ses films et à réaliser les scénarios des autres.
Le Miroir, dans un registre autofictionnel, présente un drame familial et psychologique, flirtant légèrement avec le film d’enquête, dans lequel le cinéaste se plaît à laisser les choses en suspens. Celui-ci met donne la vedette à Normand Daneau, Lise Roy, Bénédicte Décary ainsi qu’à Tatiana Zinga Botao. Le film plurilingue fait état du déphasage d’une relation mère/fils et des liens qui émanent dans l’adversité de ce conflit irrésolu qui oblige le personnage principal à défaire des nœuds bien tendus ainsi qu’à résoudre des puzzles dans lesquels il lui manque des pièces. Avec une attention particulière portée à l’image et une bande sonore dosée quelque part entre musique classique et atmosphérique, à ce propos Joly-Corcoran insiste sur l’importance que son premier long-métrage soit vu en salle.
Quant à lui-même, Marc Joly-Corcoran parle avec enthousiasme de son prochain projet en écriture. L’amateur de science-fiction veut pouvoir réaliser son prochain long-métrage « comme on le ferait dans la vingtaine » : avec fougue, front et sans compromis. Outre ce projet encore sur papier, le cinéaste joint ses intérêts marqués pour la culture des fans et les phénomènes religieux avec son prochain documentaire Que le fan soit avec toi qui suit sur plusieurs années des fans de l’univers de Star Wars à travers diverses conventions, une sortie est prévue en 2022.
*** Mise à jour – Novembre 2021
Le Miroir (version alternative) : Quand il est pertinent de revisiter son œuvre
Il est possible, dans l’Histoire du cinéma, de citer quelques occasions dans lesquelles des cinéastes ont choisi de revisiter une œuvre. Les raisons pour qu’un réalisateur ramène son film en salle de montage peuvent varier et leur légitimité est parfois questionnée. Rappelons-nous Ridley Scott et sa Director’s Cut de Blade Runner qui pallie les éléments imposés par les producteurs au moment de la sortie originale.
Marc Joly-Corcoran, avec son film Le Miroir, a connu une production semée d’embûches durant laquelle les sacrifices et les concessions à sa vision furent nombreux afin de mener le projet à terme. Après un travail de distribution ardu ainsi qu’un recul face à la réception publique et critique de l’œuvre, Marc devient habité par une volonté de montrer au monde une autre itération de ce que Le Miroir aurait pu être, en marge de ce qu’il a dû céder. Il prend le « Master 4K » ainsi que les pistes audios séparées et retourne en salle de montage. Il estime le résultat beaucoup plus près de sa vision originale.
La version alternative de Le Miroir donne à voir une version plus courte, beaucoup plus radicale et considérablement loin de l’hégémonie de la version officielle que le distributeur souhaite conserver. Cette nouvelle coupe abolit la linéarité de l’intrigue, brouille les frontières entre les différentes temporalités qui finissent immanquablement par se parasiter et rend l’histoire plus poreuse. Le montage qui brise des règles, saute et se saccade sait également choisir les moments clés pour laisser le spectateur se poser dans le moment. À cela se joint une bande sonore qui change considérablement l’atmosphère, offrant à celle-ci des instants presque éthérés. En plus de jouer avec le format d’image, cette version utilise également les couleurs (ou l’absence de couleur) comme élément signifiant. Le Miroir fait confiance à son spectateur et offre une expérience d’autant plus subversive. Alors qu’il est important d’accepter les imperfections d’une œuvre et, en tant que créateur, de voir ces défauts en rétrospection comme un gage de progrès, il est parfois valable de remettre en question les circonstances de production et de saisir l’occasion de retirer un peu l’eau de son vin quand cela est possible et qu’on en ressent le besoin. Afin que cette coupe soit vue, Marc Joly-Corcoran a pris l’initiative de la joindre en bonus à la version déjà disponible en vidéo sur demande.
Bande annonce originale :
Durée : 1h24
Crédit photos : Exogene Films
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