L’avenir de la relève en cinéma : une discussion en quatre temps (première partie)

PREMIÈRE PARTIE : LOUIS BÉLANGER ET ÉRIC FALARDEAU

Cet article, je dois le préciser, part avant tout d’une peur que j’ai, moi, étudiant millénial en cinéma, inquiet pour l’avenir du 7 ème art. En effet, comme beaucoup de jeunes que je côtoie à l’Université, je veux faire de ce domaine à la fois mon métier et ma passion. Or, dans notre ère actuelle, très tournée vers le numérique, avec la consommation qui se fait de plus en plus via les systèmes télévisuels et les plateformes de diffusion, j’en suis venu à me demander si, au moment où la relève (dans laquelle je m’inclue) arrivera à la pratique du métier, le médium sera toujours en demande. Est-ce que la relève, elle-même, y sera ? Est-ce que le cinéma, tout simplement sera encore existant ? Avant de succomber à tous ces scénarios post-apocalyptiques et de me mettre à pleurer en position fœtale dans une ruelle sombre, j’ai décidé de rencontrer des gens du domaine, de générations et de styles différents, afin d’avoir leurs points de vue sur ces craintes. M’attendant à être soit rassuré ou résigné, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec quatre cinéastes aux discours et aux parcours fort intéressants et enrichissants. Ne pas en faire un article aurait été, ma foi, fort égoïste. Alors, nous y voici. Pour cette première partie, je vous partage mes rencontres avec les cinéastes Louis Bélanger et Éric Falardeau.

C’est dans un café d’une tranquillité déstabilisante, en plein cœur du Plateau Mont-Royal, que je rejoins Louis Bélanger. À présent réalisateur et scénariste, ce dernier a d’abord eu comme ambition de devenir journaliste. C’est en arrivant à l’UQÀM qu’il bifurque dans la sphère cinématographique. Depuis, ayant donné dans le court et le long métrage, dans la fiction et le documentaire, il a réalisé un nombre important de films, tels que Post Mortem (1999), Les Mauvaises herbes (2016), ou encore Vivre à 100 milles à l’heure (2019), sorti en septembre dernier. Après une gorgée de café provenant de ma tasse déjà presque vide, je lui explique d’abord mes craintes face au domaine, en enchaînant avec une première question.

Loucas Patry : On s’entend que le cinéma, c’est un milieu difficilement accessible pour ceux qui désirent s’y faire un nom, une passion et une source de revenus. L’offre n’en demeure pas moins importante. Or, comme je disais, dans l’ère actuelle, qui est très numérique, avec la consommation qui se fait de plus en plus télévisuelle, sur les écrans portatifs… est-ce que tu crois qu’il y a quand même une relève de possible ? Et si oui, de quoi penses-tu qu’elle aura l’air ?

Louis Bélanger : Il y aura toujours une relève, parce que c’est pas un truc rationnel, avoir l’envie de faire du cinéma. C’est un truc qui fonctionne plutôt par la passion. Pis quand tu te lances là-dedans – en tout cas, moi, quand je me suis lancé là-dedans -, j’ai jamais vu ça comme étant un métier. Je ne voyais pas ça comme une finalité pour gagner ma vie. Je faisais du cinéma parce que c’était une façon de vivre. C’était pas pour vivre. Fait que je pense qu’il y aura toujours une relève, parce que … en tout cas, ceux qui vont marcher, c’est jamais un geste motivé par un plan de carrière. C’est plutôt : « J’ai besoin de dire des choses, c’est très urgent ». Donc, c’est le créateur qui parle, et il va prendre les moyens qui sont là pour arriver à dire ce qu’il a à dire.

Vivre à 100 milles à l’heure (Louis Bélanger, 2019)

Pour continuer à développer sur cette problématique, Éric Falardeau m’apporte
également sa vision des choses. C’est au Requiem Fear Fest de Montréal que je le rencontre. Parmi les artisans et les gens déguisés en monstres sanguinaires, il tient
son kiosque auquel on peut retrouver, entre autres, son long métrage Thanatomorphose (2012) et son essai littéraire Le corps souillé : Gore, pornographie et fluides corporels (2019). Cinéaste et écrivain, c’est à l’Université de Montréal qu’Éric obtient sa maîtrise en cinéma. Suite à quoi, il a réalisé plusieurs courts métrages, puis un long métrage. Il a également écrit plusieurs livres, dont Une histoire des effets spéciaux au Québec (2017). De plus, il complète présentement un doctorat à l’UQÀM en communications, durant lequel il travaille sur le cinéma pornographique. Pour l’entrevue, nous quittons la salle bondée de boogeymans pour se retrouver dans une aire de repos ressemblant étrangement aux décors de l’émission Sur l’oreiller. Faisant une France Castel de moi-même, je lui pose la question traitant de la possibilité de la relève cinématographique dans le contexte actuel.

Éric Falardeau : Bien, c’est une excellente question. Parce que moi, ça fait longtemps que je fais ça. Pis, pour l’industrie, j’pense que j’suis même pas considéré comme étant de la relève, j’suis même pas considéré tout court. [Rires mutuels]. Ce que je veux dire, c’est que ça dépend sous quel angle tu le prends. Si tu veux parler de l’industrie au Québec, c’est une chose. Si tu veux parler de ce qui se fait à l’international, c’en est une autre. Moi dans mon cas, j’fais plus d’affaires ailleurs. J’ai même plus un fanbase ailleurs. Puis, je suis rentré un peu plus dans certains systèmes industriels à l’extérieur d’ici.

L.P : Parce que cinéma de genre au Québec…

É.F : So-so ! Pis d’autre part, j’viens d’un petit village en Abitibi. Dans ma famille, y’a personne dans le milieu des arts. Ça n’enlève rien au talent des gens qui sont dans l’industrie, mais c’est sûr que ça aide un petit peu, quand même, quand t’as des contacts. C’est clair qu’il y a des choses auxquelles t’as pas accès. Ça veut pas dire que c’est pas possible, ça veut juste dire que c’est une double difficulté. Qui est à la fois celle de te tailler une place dans un monde qui est hyper compétitif, qui le devient de plus en plus grâce au numérique, parce que les gens ont les moyens de production. Donc c’est plus facile, faire des films. Ça veut pas dire qu’ils sont tous bons ces films-là, mais c’est plus facile. [Rires] L’autre difficulté, c’est justement de pas avoir les portes d’entrée. On les donne pas nécessairement à des gens qui ont des contacts, c’est pas ça le point. Mais, c’est sûr que t’as des trucs, tu sais des choses, tu rencontres des personnes qui peuvent peut-être t’amener plus rapidement où tu veux aller. Deux mondes totalement différents. Par contre, le numérique m’a permis justement d’avoir un fanbase à l’étranger, de rencontrer des gens à l’étranger, de faire des films à l’étranger, de distribuer mes films à l’étranger. Donc, le numérique est positif dans ce cas-là. Dans mon cas à moi, ça me permet d’avoir des opportunités de réalisation que j’aurais pas autrement. Parce qu’ici, le système, pour bien des raisons, il fonctionne d’une certaine manière, qui valorise pas vraiment le cinéma de genre. Et quand il le valorise, c’est un type de cinéma de genre. Pis ce type de cinéma de genre là, c’est pas celui que je fais pis c’est pas celui que je veux voir de toute façon. J’assume très bien ma position, c’est-à-dire que j’en veux pas au système. Des fois y’a des gens très amers. Moi j’suis amer pour d’autres raisons. Mais j’assume très bien. J’veux dire, j’peux pas demander à un système d’apprécier Thanatomorphose [Rires], quand c’est un film qui est déjà difficile à apprécier dans un cadre de gens qui aiment ce type de cinéma-là. À un moment donné, faut pas être fou non plus.

Thanatomorphose (Éric Falardeau, 2012)

Si Éric s’est délaissé de la pellicule pour avoir accès à sa passion, c’est aussi le cas de Louis Bélanger, qui a débuté avec le cinéma de la vidéo. Dans le café se remplissant de plus en plus en demeurant tout aussi étrangement silencieux, il me fait part de son expérience en me présentant son point de vue sur la situation.

L.B : Aujourd’hui, les moyens sont beaucoup plus démocratiques qu’à mon époque. C’est-à-dire qu’il y a des caméras partout. Des unités de montage, il y en a dans les ordinateurs, tandis qu’à l’époque, y’avait pas beaucoup de caméras 16mm. Les tables de montage, on n’en parle pas. Ça coûtait une fortune attendre, faire développer sa pellicule. Les laboratoires, ça prenait une éternité. C’est un peu pour ça que nous autres, on a commencé à raconter des histoires avec la vidéo. Parce que la vidéo était très instantanée, mais en même temps, les festivals n’en voulaient pas. La vidéo, c’était fait pour les galeries d’art. Y’avait une grande différence. On appelait ça du cinéma électronique, plutôt que du cinéma chimique. Quand on arrivait avec une histoire, par exemple aux Rendez-vous du cinéma québécois, on refusait de présenter nos films. Il a fallu se battre. Robert Morin, moi, quelques personnes, on s’est battus pour avoir une section vidéo à l’intérieur des Rendez-vous du cinéma. Parce que tout ce qu’ils nous donnaient à l’époque, c’était des galeries d’art. Pis nous autres, on disait : « Ben non. On raconte des histoires. On veut que le monde s’assoit dans une salle pour qu’on puisse la leur raconter ». T’aurais pas pensé ça, hein ?

L.P : Les rendez-vous du cinéma qui refusent la vidéo…

L.B : Ouais, pis nous autres on leur disait. « Vous vous plantez. Parce qu’un jour, tout le monde va tourner en vidéo. Parce que la vidéo va devenir de mieux en mieux. Ça va devenir du cinéma électronique ». Et ce qui a un peu changé, c’est que l’ONF a manqué d’argent. Ils ont acheté des caméras vidéo, puis là, soudainement, les documentaires étaient tournés en vidéo, plus en pellicule. Là ils ont été obligés d’ouvrir des sections vidéo. Ça correspondait à notre urgence de dire des affaires, on avait pas la patience d’attendre pour de la pellicule, pis de la caméra. La vidéo était là, on prenait du ruban recyclé, on tournait, pis on montait ça tout croche. L’idée, c’était pas que ce soit bien fait, c’était que ce soit fait. Ça prend des bonnes idées, avant de prendre l’argent. Y’avait plus de monde en manque de bonnes idées que de monde en manque d’argent, je trouve.

Si le cinéma de la vidéo a su se débarrasser de son association aux galeries d’art au fil au temps, comme l’avait prédit Louis, certaines associations demeurent, malheureusement, toujours d’actualité dans le milieu du cinéma. Éric fait le point
sur la situation, pendant que, pas trop loin de nous, Art the Clown déambule dans les couloirs en faisant crier son klaxon.

É.F : Un des problèmes qui vient avec le label underground, ou le label, des fois, de film de genre, c’est que les gens te mettent dans cette case-là. Parce qu’on a besoin de mettre les gens dans des cases, ici. Partout, mais ici particulièrement. Pis, pour eux, tu peux pas faire autre chose. Donc moi, j’suis un cinéaste underground d’horreur, je devrais rester un cinéaste underground d’horreur toute ma crisse de vie, tu comprends. Ça ne fonctionne pas. Mais en même temps, c’est ça pareil. « Donc toi, continue dans l’underground, ça va bien tes affaires, débrouilles-toi avec pas une cenne. Pis, de toute façon, tu trouves le moyen de faire les choses ». C’est un problème pour moi, et je l’ai déjà entendu, je me le suis déjà fait dire. C’est même pas juste par Thanatomorphose. Quand j’ai fait mon court métrage d’animation Crépuscule (2011), j’suis devenu un cinéaste d’animation. Pas que je ne veux pas en refaire d’autres, mais je ne suis pas, à la base, un cinéaste d’animation. On a besoin de mettre les gens dans des petites cases. C’est très limitatif, c’est très restrictif. Et ça empêche quelques fois, je trouve, des cinéastes au Québec, au Canada même, de développer une œuvre qui est variée, riche, qui s’inscrit dans le temps. J’veux dire, moi j’adore le parcours d’un cinéaste comme David Cronenberg, ou de Kubrick! J’veux dire, je grossis là, on n’en a pas de Kubrick, ici [Rires]. Mais ce que je veux dire, c’est que … un film de guerre, un film d’horreur, un drame de mœurs…est-ce que quelqu’un, quelque part, lui a dit : « T’es un cinéaste de films de guerre, tu vas rester dans le film de guerre » ? Non. Mais on a cette tendance-là. Ça, ça me tape sur les nerfs.

L.P : Pourtant, c’est tout le temps reconnaissable une œuvre de Kubrick. Peu importe le genre.

É.F : Bien, c’est parce qu’un auteur, j’pense, va toujours être capable de s’exprimer dans n’importe quel genre. Il va ramener ses problématiques, ramener ses esthétiques, ses thématiques. Mais, un créateur veut explorer ça dans plein de choses différentes! Moi j’suis plus près de cela, j’vais t’avouer franchement. J’essaie de monter une comédie érotique en ce moment, je me heurte à plein de problèmes [Rires]. Après ça on peut me reprocher le contenu de mon film, mais d’un autre côté, si on ne me laisse pas le faire, j’veux dire…qu’ils me le reprochent. Ce qui m’intéresse, c’est pas de faire des films selon une formule, c’est pas non plus de faire des films consensuels, actuels…c’est de faire ce qui m’intéresse, ce que je veux dire selon mon univers. Fait que c’est simple, une comédie érotique que je fais, ce sera pas Le trip à trois (2017), on s’entend.

L.P : [Rires]. Est-ce qu’on peut vraiment considérer ça comme une comédie érotique ?

É.F : Non, pas vraiment érotique, mais t’sais, étant donné que ça parle un peu de fesses.

L.P : Ah! [Mimes du signe de la croix].

É.F : C’est la vie. Ce qui fait en sorte que c’est difficile de se faire une place dépendamment de ce que tu veux faire. Pour répondre au début de la question.
[Rires mutuels].

Si une relève est possible, malgré plusieurs obstacles pouvant se mettre sur notre
chemin dépendamment des intérêts, comme le souligne Éric, Louis aborde le phénomène d’une « glamorisation » qu’apporte le cinéma, pour ensuite enchaîner
sur ce que la relève, en tant que tel, a à offrir.

L.B : Aujourd’hui, j’pense qu’il y a des jeunes qui courent, qui veulent aller en cinéma, à cause du glamour. Y’a beaucoup de ça.

Louis Bélanger, La Presse

L.P : Des films pour aller à Cannes.

L.B : Ouais, pour avoir un statut social… Y’a eu l’effet Dolan, qui est arrivé, qui a eu un impact sur les jeunes, qui pensent qu’ils seront tous un génie à 20 ans, pis qu’ils iront tous à Cannes. Ben y’en a une gang qui vont déchanter, parce que ça se passe pas de même. C’est un talent unique qu’il a, Xavier. Sauf que ça a fait plein de jeunes qui se disent maintenant : « Ah ben moi, j’vais faire ça, du cinéma ». Faut que tu sois habité par ça, et faut que t’ailles de l’imagination.

L.P : Tu as définitivement laissé ta marque dans la culture cinématographique québécoise avec des films qui apportent des thématiques fortes, qui sont toujours traitées, selon moi, avec une touche de renouveau. Par contre, crois-tu que la relève, elle, a autre chose à offrir que ce qui a déjà été offert ? Penses-tu qu’il est trop tard pour devenir un Dolan, un Arcand… un Louis Bélanger ?

L.B : Non. J’pense pas qu’il soit trop tard. Parce qu’un cinéaste, c’est quelqu’un qui a des antennes pour capter les mouvances d’une société. Et de gérer ça, et de le rendre aux autres. C’est quelqu’un qui est capable d’observer le monde dans lequel il vit, s’en inspirer. Et ça, y’aura toujours des auteurs puis des cinéastes. Y’est absolument pas trop tard. Tout ce que ça prend, c’est quelqu’un qui est en phase, un peu avec son univers pis son monde. Pis qui est capable d’en témoigner. Je pense qu’il y aura toujours façon de renouveler l’art. En tout cas, le langage. On est pas allés au bout de ce qu’on peut faire. Moi, je pense.

L.P : J’ose espérer que c’est inépuisable! [Rires].

L.B : Pis c’est normal que vous autres, vous allez avoir…comment j’pourrais dire… une sensibilité, une approche différente de nous autres, juste parce que vous allez lire des affaires différentes de nous, vous partagez votre quotidien en appartement de façon différente… Et ça, vous allez en témoigner de façons différentes dans vos récits. J’pense que ça va toujours être un truc qui va se renouveler. Parce que moi je ne sens pas mon cinéma proche de celui d’Arcand. J’pense qu’il y a un aspect générationnel qui est là. Mais je pense que c’est un genre qui est toujours appelé à se renouveler. Heureusement.

Toujours dans le décor aux allures du discontinué programme nocturne de TQS, je pose la même question à Éric, à savoir s’il est trop tard pour les jeunes pour laisser leur trace dans le cinéma, comme l’ont fait les réalisateurs précédemment
mentionnés.

É.F : Ces gens-là, c’est des cas d’exception. Combien il y a de cinéastes qu’on ne connaît pas qui font des films super intéressants ? Et peut-être qu’on les connaît, mais je veux dire, qui ne sont pas des vedettes ? Ça a toujours été comme ça. Y’a toujours eu des cinéastes un peu en marge. Pas parce qu’ils le voulaient, par la force des choses des fois, mais qui continuent à faire une œuvre quand même très importante, qu’on redécouvre parfois plus tard. L’affaire qu’il y a de plus en plus, c’est l’offre, puis la multiplication des plateformes pour avoir accès à cette offre de cinéma-là, qui fait en sorte que c’est beaucoup plus niché, tout le temps. Un cinéaste peut juste faire des films d’horreur puis se promener dans des conventions ou dans des festivals pis être connu de ce milieu-là, pis avoir une carrière. Sans être connu de tout le monde. Ça fait en sorte que y’a beaucoup plus de créateurs qui sont paradoxalement plus difficiles d’accès, si tu ne sais pas où les chercher. J’pense qu’il y a un double mouvement qui se produit en ce moment, qui est à la fois de monter dans des films de plus en plus chers, grand public, gros budget, des trucs à la Marvel, whatever, pis des films de plus en plus intimistes, avec pas beaucoup d’argent…qui vont être réservés à quelques cinéastes établis, qui ont la chance justement de se faire reconnaître quelque part. Pis on va avoir deux polarisations, pis ça va être la même chose pour la distribution. Il va y avoir ceux-là qui vont être en salle, les gros films, soutenus par des institutions de financement, ou par des gros festivals, et tu vas avoir les autres qui vont faire le parallèle. Mais ils vont vivre pareil, ils vont être là. Ce qui n’est pas un problème. Mais je pense qu’il y a un plus grand clivage, de plus en plus, entre ces deux extrémités-là. Pis ça, je pense que c’est le propre de notre période.

Éric Falardeau, Le Devoir

Malgré quelques difficultés inévitables auxquelles elle devra se confronter, l’existence la relève est encore une fois appuyée par les deux cinéastes. Tant mieux pour nous. J’aborde tout de même l’ultime sujet de l’entrevue, celui de l’existence même du cinéma. Après une tentative de gorgée de café ratée due à ma tasse désormais vide, je demande à Louis si le cinéma et la demande pour le médium en question seront toujours éléments existants lorsque la relève arrivera à la pratique
du domaine.

L.B : Y’a une baisse. Y’a toujours une demande, parce que si tu prends les plateformes comme Netflix, tout ça, il faut qu’elles soient nourries. Donc il y aura toujours une demande pour des cinéastes. Maintenant, la façon dont les films vont se consommer est appelée à changer. Je ne le sais pas si vous autres, vous allez connaître des sorties en salle, tout ça, sur 20, 25 écrans, comme nous autres on a connu. Et ça commence déjà à percuter. D’un autre côté, y’a jamais eu autant d’engouement pour le court métrage. Ce qui marche le plus dans chaque festival, c’est la section court métrage. Faut que tu comprennes que nous autres, on avait aucune place pour montrer nos courts métrages. Aujourd’hui, y’a des Prends-ça court, y’en a plein d’autres. Même la télé s’est mise à en présenter, ce qui était impossible avant. Là ce qui fonctionne, il faut le dire, en salles classiques – moi c’est ma vision des choses -, c’est des films pour les têtes blanches. Les gens qui ont en haut de 60 ans. C’est des retraités, ce sont eux qui ont du temps. Pour les films qui fonctionnent, prends La Passion d’Augustine (2015) de Léa Pool. Il a été millionnaire. Il pleuvait des oiseaux (2019), actuellement, est millionnaire. C’est pas exactement des jeunes de 19, 20 ans qui remplissent les salles pour aller voir ça.

L.P : Mais les jeunes de 19, 20 ans, ils vont voir les grosses productions, style Avengers (2012) et tout ça…

L.B : Et voilà. Y’a aussi un clivage, dans le public. J’ai l’impression que les plus jeunes vont voir les Marvel, les plus vieux vont voir des films qui leur ressemblent. Mais les plus vieux, c’est eux qui font rouler beaucoup les salles de jour. Des gens qui ont du temps. Quand tu vas dans une représentation à trois heures de l’après-midi, c’est pas des jeunes de 19, 20 ans qui sont là. C’est des retraités. C’est eux qui ont 65 ans, et c’est les baby boomers. C’est eux qui font une grosse partie de la population. Donc les films qui s’adressent à eux autres, deviennent millionnaires.

L.P : Mais une fois que cette génération-là ne sera plus là ?

L.B : Bien, y’aura toujours le besoin de se faire raconter de quoi. Le cinéma va toujours exister. Parce que le monde aura toujours besoin de se faire raconter des histoires. Mais les plateformes de diffusion, elles, sont en pleine mutation. Il va falloir repenser comment consommer les films. Moi je pense que, actuellement, les salles de cinéma standard ne savent pas comment s’adresser au monde de 20 à 40 ans. Elles sont plates, les salles de cinéma. Si tu te promènes un peu dans le monde, pis que tu vas à Londres, en Allemagne… le monde a réfléchi à comment s’adresser à cette clientèle-là. C’est plus hipe. Tu vas au cinéma, faut qu’il y ait une plus-value, que tu prennes une bière, qu’il y ait moyen de rencontrer du monde. Là, ici, c’est super plate. En plus, tu sors un peu de Montréal, Québec … pour que tout le monde vienne voir ton film, faudrait que le monde ait un char. Avant, les cinémas sur la rue principale, ça avait ses vertus, parce que le monde venait à pied. Là, d’aller se mettre sur le boulevard en périphérie, c’est pas une bonne façon de s’adresser au monde qui a pas de char. C’est pas une bonne façon de vendre du cinéma. Mais moi, j’vais te dire bien franchement, avoir 18 ans aujourd’hui, pis avoir le goût de faire de l’art, je choisirais pas le cinéma.

L.P : Non ?

L.B : Non. Je m’embarquerais dans quelque chose de moins conventionnel pis de plus trippant que le cinéma.

L.P : As-tu des exemples ? J’suis curieux.

L.B : Quelque chose comme Banksy. J’serais taggueur, ou j’serais sculpteur. J’trouve que le cinéma est devenu lourd. Mais ça c’est moi.

Sur mon fauteuil d’interviewer, je pose la même question à Éric par rapport à l’avenir du cinéma et de sa demande. Sur son fauteuil d’interviewé, il m’apporte sa vision des choses, non sans nous faire une petite introduction historique.

É.F : Je crois que le cinéma va toujours exister, comme tous les arts. L’affaire, c’est que le cinéma a été chanceux. Moi je l’appelle l’art du 20 ème siècle. C’était le médium hégémonique. C’était la façon d’aller voir des images en mouvement, des affaires qui bougent. C’était spectaculaire parce que c’était sur grand écran…

L.P : [Rire interrompant le cinéaste]. S’cuse, j’ai aimé ton « des affaires qui bougent ».

É.F : Ouain! Pis là, on arrive dans les années 2000, où la multiplication des plateformes, des écrans, de tout, fait en sorte que t’as plus besoin d’aller en salle pour voir des films. C’est ça qui change, en fait. Le cinéma va toujours exister, mais il va y avoir moins de salles, ça va être plus spécialisé. Ça va être un peu comme les trippeux de sculpture. La sculpture existe toujours. C’est toujours un grand medium, vivant, avec ses grands artistes. Mais est-ce que tout le monde parle de sculpture le soir à la maison ? On risque de parler un peu plus de cinéma quand même. Mais ce que je veux dire par rapport à ça, c’est que c’est ramené à un média comme les autres, pis ça fait très mal aux gens en cinéma parce qu’ils ont tout le temps eu l’impression que c’était le média le plus important, depuis plus de 100 ans. Puis ça fait en sorte, aussi, que ça va revenir peut-être à des cercles, quelques fois, plus spécialisés pour certains types de film, pour certaines choses. Est-ce que c’est grave ? Moi je vois pas ça comme quelque chose de grave du tout. Mais le cinéma va toujours exister, il va y avoir des créateurs. Y’a un nouvel outil qui apparaît, y’a un créateur qui va l’utiliser pour faire quelque chose qu’on a jamais vu, qu’on a jamais pensé. Des histoires, on peut en raconter. On en raconte depuis que l’être humain est arrivé sur la terre, de toute façon. Là n’est pas le problème. C’est juste qu’on passe d’un médium, celui du 20 ème siècle, à un médium comme les autres, pis ça fait mal. Pis y’a moins de moyens. Pis y va avoir moins de choses, pis ça va avec. C’est une crise à traverser. C’est pas plus grave. En même temps, moi … toi, t’es comme ça probablement, moi j’suis comme ça, beaucoup de gens sont comme ça, pis même les gens d’une autre génération sont comme ça, même s’ils disent que c’est pas vrai, parce qu’ils soutiennent notre cinéma … t’as le choix entre regarder un film chez vous, dans le confort de ton salon avec ton ostie de grosse tv, ton gros système de son, à l’heure que tu veux – parce qu’au cinéma, faut quand même que tu sois là à telle heure, telle place, sans te déplacer… dans les vie de fou qu’on a tous, c’est clair qu’on va rester chez nous. C’est majeur comme changement! Mais en même temps, on est tous pareils, on fait tous ça. Pourquoi ? Peut être qu’il y a quelque chose qui nous parle plus en ce moment, là-dedans, que d’aller voir des films au cinéma. Et je suis cinéphile, c’est mon métier, c’est ça que j’aime. Donc, la question peut se poser, pis on peut accepter que oui, peut-être, pis que ça change le statut de ce qu’est le cinéma. C’est pas tout le monde qui veut changer ça, mais y’auront pas le choix. La technologie va nous obliger.

L.P : Dans le fond, le seul avantage qu’ont les salles de cinéma, c’est la nouveauté, que tu peux pas nécessairement avoir chez toi, dans ton salon ?

É.F : Ben, pourquoi les gros films, eux autres, sont tout le temps pleins ? Les gens
pourraient juste pirater Avengers. Mais non, les gens y vont pareil, au cinéma. Pourquoi ? Parce que ça revient à cette idée de médium des attractions. Ce qui veut dire, un cinéma où on nous montre des choses qu’on peut pas voir ailleurs, du spectaculaire, tout ça. Les gens y vont tous, moi le premier. Alors peut-être que oui, peut-être que les salles sont faites pour certains types de films. Pis d’autres salles pour d’autres types, peut-être. C’est sûr que y’a des films d’auteur que je veux voir en salle. Mais c’est peut-être pas tous les films d’auteur qui ont la même vibe en salle. Encore une fois, je dénigre pas la qualité des films, c’est juste qu’un moment donné, faut réaliser que ça intéresse moins le monde. Ça veut pas dire qu’il faut pas les faire, ces films. Ça veut pas dire qu’il faut pas les rendre accessibles. Ça veut juste dire qu’il faut arrêtez de dire que c’est la faute du monde. Le Cinéma Moderne, c’est un bon exemple. C’est une petite salle, 70 places, pas mal tout le temps plein, avec des films d’auteur, des films indépendants … pis ça marche! Mais la salle est petite. Pis y’a un café … c’est une autre expérience du cinéma, qui est totalement différente.

L.P : Pis t’es allé une coupe de fois ?

É.F : Oui, j’adore ça! C’est peut être plus là, l’avenir des salles, par exemple. Puis d’un certain type de cinéma en salle.

Les discours d’Éric et de Louis par rapport à l’avenir de la relève au cinéma abordent, bien entendu, les difficultés qu’engendrent de plus en plus l’époque actuelle, qui ne cesse de croître de différentes façons. Cependant, en aucun cas les deux passionnés ne craignent pour la disparition de ce précieux médium, chose rassurante (du moins, pour moi et mon anxiété). Un énorme merci à eux pour le temps accordé à un membre de la relève, qui vous revient très bientôt pour la seconde partie de cet article, avec de nouveaux intervenants. Est-ce que la notion d’espoir y sera toujours présente ? À suivre.

À suivre prochainement également, des futurs projets pour Louis Bélanger, qui comprennent un retour aux sources avec un film sans grands coûts, avec une petite équipe, mettant en vedette Sophie Desmarais et Luc Picard. « J’voudrais qu’on fasse ça caméra à l’épaule, en noir et blanc. Toute l’antithèse du gros cinéma, pesant et long à financer. En sachant très bien que j’vais pas gagner une crisse de cenne avec
ça ».

Du côté d’Éric Falardeau, retrouvez présentement, sur la plateforme de diffusion Adult Time, son segment The Thing from the Lake de l’anthologie porno-horrifique Under the Bed (2019), qui comprend quatre moyens métrages de différents réalisateurs. Si son projet de comédie érotique, adaptation d’une bande-dessinée italienne, persiste toujours, c’est également un album de musique qu’il nous réserve prochainement.


L’entretien avec Éric Falardeau a été réalisé le 21 septembre 2019.
L’entretien avec Louis Bélanger a été réalisé le 9 octobre 2019.

Photo de couverture: Cinéma Moderne

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