L’adolescence au féminin de PEN15

Par Marc-Antoine Lévesque, grand consommateur de quêtes initiatiques

 

PEN15 – saison 1, États-Unis, 2019
Une série comique au coeur de la subjectivité adolescente, au féminin

Où voir ça : CBC Gem, en anglais (avec CC disponibles)
Production : Awesomeness TV, Odenkirk Provissiero Entertainment, Party Over Here, The Lonely Island
Scénario : Maya Erskine, Anna Konkle, Sam Zvibleman, Gabe Liebman, Stacey Osei-Kuffour, Andrew Rhymer et Jessica Watson
Réalisation : Daniel Gray Longino, Andrew DeYoung et Sam Zvibleman
10 épisodes, entre 27 et 30 minutes

 

Depuis le début 2019, Hulu prend une nouvelle voie dans ses projets avec la création de séries télévisées sur sa plateforme, en faisant naître des voix uniques. En février 2019, PEN15 lançait ce changement qui a été poursuivi par Shrill en mars, puis Ramy en avril de la même année. Dans ce texte, nous nous intéresserons à la première de ces trois séries.


Les forces créatives responsables de PEN15 sont un duo de scénaristes/actrices formé de Maya Erskine et Anna Konkle, ajouté du scénariste et réalisateur Sam Zvibleman. La série est du genre quête initiatique (coming of age) de deux jeunes adolescentes comme rarement la télévision nous a offerte. Le projet au ton loufoque et comique s’inscrit parfaitement dans l’univers de son producteur, l’acteur et comédien Andy Samberg, mais n’est pas qu’un simple dérivé, la série possédant sa voix singulière.

PEN15 suit les aventures de Maya et Anna, meilleures amies lors de la dernière année du Middle School (l’équivalent de la 7e année/secondaire 1 dans le système québécois) au début des années 2000. Alors qu’elles se promettent loyauté, leur relation sera mise à l’épreuve dans cette période charnière de transformation hormonale et sociale que sont les 13 ans.


Maya Erskine et Anna Konkle, dans leur trentaine au moment du tournage, scénarisent et interprètent les deux protagonistes éponymes de PEN15. Malgré cette différence majeure d’âge entre les personnages et leurs interprètes, les actrices sont particulièrement crédibles, principalement grâce au jeu physique qu’elles ont développé. Elles se transforment dans leur manière de marcher, leur posture corporelle et leurs expressions faciales. Évidemment, les accessoires (broches entre autres), les costumes (les vêtements sont particulièrement justes) et les coiffures alimentent l’adhésion du spectateur au fait que ces femmes trentenaires puissent incarner de jeunes adolescentes. Elles réussissent non seulement à nous faire oublier cette différence, en plus de l’utiliser pour enrichir l’aspect comique de la série. Il est souvent ridicule lorsque des adultes interprètent des enfants ou des adolescents, la comédie ayant rarement réussi à relever le défi de conserver quelconque crédibilité, tombant plutôt dans la parodie. Le duo accomplit ce défi parce que Konkle et Erskine ne réduisent jamais la vérité émotionnelle de leurs protagonistes. Elles peuvent être ridicules ou exagérées, comme le prescrit souvent le genre de la comédie (et les hormones pubertaires), mais l’humanité de ces jeunes filles n’est jamais délaissée. Maya et Anna ne sont pas la blague; les drames qu’elles vivent, aussi absurdes peuvent-ils sembler, le sont. Ces situations sont interprétées avec sensibilité, à travers les yeux d’une jeune adolescente. L’humour provient souvent du regard adulte que le spectateur pose.

La série devient progressivement dramatique, sans perdre son humour original, maîtrisant cette balance entre les deux genres. Les thématiques abordées, qui gravitent toujours autour de la relation d’amitié entre Anna et Maya, s’étendent à l’univers propre de l’adolescence, du moins à partir du point de vue d’une adolescente. Ainsi, le sentiment d’abandon en amitié (épisode Ojichan), l’influence des ados plus âgés (l’épisode Miranda), le premier béguin amoureux (l’épisode Solo), la popularité et les standards de beauté (l’épisode Community Service), l’imposture et les médias sociaux (l’épisode AIM), la masturbation et les premières expériences sexuelles (les épisodes Ojichan et Wild Things), les limites de l’amitié (les épisodes Anna Ishii-Peters et Dance) et l’intimidation reliée au racisme (l’épisode Posh) seront abordés judicieusement.

Plus largement, cette première saison s’intéresse particulièrement au cœur de l’adolescence : les initiations. Ce passage de l’enfance à un début de vie plus mature est fertile en situations gênantes, le terrain idéal pour y faire ressurgir la comédie. On y va de plein front en abordant tous les thèmes : les hormones, les menstruations, la masturbation, tout y passe. Et PEN15 le fait en ne considérant rien de tabous, et ce, même s’ils peuvent l’être au sein de la diégèse.

Les aventures des jeunes adolescentes sont librement inspirées des expériences des scénaristes. Pour appuyer cette vraisemblance, les créateurs de la série ont offert le rôle fictif de la mère de Maya à la mère de Maya Erskine, Mutsuko Erskine. Sans expérience de jeu, la matriarche est tout à fait crédible et divertissante dans son alter ego fictionnel.

 

La réalisation est majoritairement dynamique avec un montage rapide accentuant les moments comiques. La série fait appel aux ruptures du point de vue neutre en ajoutant des plans subjectifs, contribuant ainsi aux situations cocasses. Les scènes où la caméra utilise un grand angle vers le visage d’une des protagonistes renforcent cette subjectivité des jeunes adolescentes. Si ce choix esthétique cherche souvent à accentuer l’aspect humoristique, cette subjectivité-ci est interprétée par les actrices principales de façon dramatique, diminuant ainsi le cliché de la technique facilement reconnaissable visuellement.

La trame sonore met de l’avant, dans toute sa gloire, la musique populaire des années 2000. Les tubes choisis peuvent alors enrichir l’expérience du spectateur en y ajoutant une dose de nostalgie. Cette musique peut également circonscrire l’univers fictionnel pour les spectateurs trop jeunes ou non familiers avec cette période musicale.

 

Dans cette prolifération d’aventures, la première saison de PEN15 est surtout une histoire d’amitié, pierre angulaire de l’adolescence, ainsi que d’une solidarité à laquelle il est difficile de rester insensible. Il n’est pas évident d’aborder la question du racisme avec humour et, seulement pour cette tentative, cette série mérite notre attention puisqu’elle peut initier des conversations. L’humour est à son meilleur lorsqu’il peut marier divertissement, intelligence et enjeu social. PEN15 le fait, ne reste plus qu’aux spectateurs à y prêter attention.

Bande-annonce en version originale anglaise : 

 

Crédits photos : Hulu et CBC

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