États-Unis, 2019
Note : ★★★ 1/2
La réalisatrice Lorene Scafaria, surtout connue pour son travail derrière la caméra sur la série New Girl avec Zooey Deschanel et les films Seeking a Friend for the End of the World et The Meddler, revient sur le grand écran avec Hustlers film qu’elle a scénarisé et adapté de l’article de Jessica Pressler dans le New York Magazine. La comédie dramatique met en vedette Jennifer Lopez et Julia Stiles ainsi que plusieurs personnalités télévisuelles de l’heure (Keke Palmer, Lili Reinhart, Constance Wu) ou encore musicales (Lizzo, Cardi B). Avec cette distribution populaire, Scafaria raconte l’histoire de Destiny (Wu) qui se tourne vers la danse nue pour subvenir aux besoins financiers de sa famille. Avec l’aide de sa mentor Ramona (Lopez), elles arnaqueront des hommes riches. Film de vengeance sur les arnaqueurs de Wall Street, mais surtout une histoire vraie avec en son cœur la solidarité féminine.
La première scène de Hustlers est un avant-goût des multiples choix réfléchis de Lorene Scafaria : quelques regards de Destiny dans les loges de danseuses nues d’un bar new yorkais tentant de faire sens de ce qui se produit. Suit un plan-séquence cadré en portrait de dos dans lequel Destiny sort des loges pour entrer dans le bar où les clients (masculin pluriel) se trouvent. Le tout sur l’anthologique Control de Janet Jackson, hit de la musique populaire américaine féminine (et aussi non genrée). La réalisatrice indique dès le départ ses intentions : cette histoire est certes un divertissement, mais avant tout le film est l’histoire de femmes qui cherchent le contrôle sur leur vie. Destiny le répètera quelques fois : « I want to be independant ». Hustlers est cette quête d’indépendance, tout ce que l’on peut faire pour y arriver et la famille qu’on y trouve.
Puis c’est au tour de Romona d’apparaître, comme symétriquement à Destiny. Ramona (mais vraiment, c’est Jennifer Lopez qu’on nous introduit) effectue sa routine exceptionnelle sur la scène centrale, personne ne peut détacher son regard de l’actrice de 50 ans qui manifestement maîtrise sa performance; son corps, ses mouvements, son charisme et son assurance. Elle. Est. En. Contrôle ! Scafaria meuble l’espace sonore avec une autre pièce musicale lourde de sens (tout aussi anthologique que la première) : Criminal de Fiona Apple. Si J.Lo (et sa performance tant d’interprétation que physique) est le principal sujet de conversation qui vous animera à la sortie du film, ses collègues, surtout Constance Wu assurent. Cette dernière porte le film sur ses épaules, étant dans 90% des scènes.
La comparaison avec Showgirls de Paul Verhoeven semble facile, mais les deux films divergent sur quelques points dont sa thématique principale et la caméra des deux cinéastes. Dans les deux cas, il s’agit d’une exploration de l’Amérique : là où le superficiel de Vegas dominait, dans Hustlers, la cinéaste explore le contrôle – par l’argent pour les hommes, par leur corps pour les femmes – en juxtaposant (dans les dialogues seulement) le rapport aux hommes de la bourse de Wall Street. Ici, l’Amérique est celle de l’exploitation, celle où l’on doit abuser des uns pour ne pas être abusé soi-même. Tout est question de contrôle, peu importe les moyens pour l’atteindre et le maintenir. Cette vision de l’Amérique n’est pas tant surprenante lorsque l’on remarque que Adam McKay (réalisateur de The Big Short, Vice) et Will Ferrell sont les producteurs du film.
Lorene Scafaria dynamise son film par un montage vivant, souvent comique. Elle contrebalance l’humour en nous ramenant souvent à l’enjeu émotionnel qui motive ses protagonistes nous rappelant qu’elles ne sont pas à l’écran pour seulement nous divertir. Ainsi, elle filmera leur visage en plans serrés. Parce que si le film semble être une comédie, il s’agit avant tout d’un drame à travers lequel la réalisatrice nous permet de rire. Ce respect domine le film, la caméra ne jugeant jamais les danseuses de leur pratique.
Hustlers aborde la sororité, dans ses énormes avantages, tout comme ses revers. Scafaria prend bien le soin de montrer la solidarité féminine sous toutes ses formes, même dans ses échecs. Côté représentation, elle ne réduit aucune de ses actrices à un corps, si le corps est magnifié par la caméra, il ne le sera que pour démontrer le contrôle que la protagoniste en possède. Hustlers ne victimise pas, ce qui est rafraîchissant pour un film sur ce sujet. Mention fort honorable au casting de Trace Lysette dans le rôle d’une des collègues de Destiny et Ramona. Lysette, actrice trans, joue ici une femme dépourvue de l’identité transsexuelle. Scafaria par ce choix, met de l’avant la solidarité féminine jusque dans les enjeux sociaux extérieurs à l’histoire de son film.
Julia Stiles interprète le rôle de la journaliste qui écrit les aventures et mésavantures de Ramona et Destiny. Si son rôle n’est pas très complexe, les sessions d’entrevues permettent à la fois de faire prendre conscience tant au spectateur qu’aux protagonistes les enjeux émotionnels de leur vie, tout comme à Lorene Scafaria de tracer la ligne entre ce qu’elle se permet de montrer à ses spectateurs et ce qu’elle omet. Avec un simple jeu sur le son, la cinéaste délimite la frontière qu’elle ne franchira pas, cristallisant ainsi le respect qu’elle porte à ses héroïnes et à l’histoire vraie derrière son film.
La réalisatrice s’amuse avec sa trame sonore, outre les Janet Jackson et Fiona Apple déjà mentionnées, les utilisations de Oceans Ahead (trois pièces), America de First Aid Kit (qui rappelle l’exploration de l’Amérique de Wall Street), Masseduction de St. Vincent, Something’s Got A Hold On Me de Etta James et même Ba$$in de Yelle, mais surtout Royals de Lorde (avant-dernière scène qui renvoie à la première) sont particulièrement réussies. Le fait que tous ces artistes et groupes soient des femmes n’est certainement pas anodin, Scafaria ayant fait le choix délibéré de mettre de l’avant ces modèles tout comme l’attribution des rôles à Jennifer Lopez, Lizzo et Cardi B.
Mais cet amour de la musique crée un certain manque d’équilibre, le film comportant beaucoup de scènes d’exposition sur trame sonore rythmée où l’histoire n’avance pas tant, laissant la place au spectacle conçu par un montage plutôt rapide et des ralentis pour insister sur plusieurs éléments. Plusieurs chansons de Jennifer Lopez sont utilisées, mais de manière très discrète ne nous sortant jamais de la diégèse. Et le caméo de Usher est sympathique et vous fera sourire.
Ultimement, même si le film a quelques défauts (loin d’être insurmontables), Lorene Scafaria explore parfaitement sa véritable thématique : les amies qui deviennent votre famille. Constance Wu est solide et démontre ses talents dramatiques (elle est surtout connue pour la comédie télévisuelle Fresh Off the Boat ou le succès de 2018 Crazy Rich Asians). Il reste à voir si Jennifer Lopez se rendra aux Oscars comme plusieurs le prédisent (la comparaison à Matthew McConaughey et sa performance de danseur-mentor dans Magic Mike est ici l’évidence même), mais il est certain que l’on peut affirmer qu’il s’agit d’un de ses meilleurs rôles, même si elle joue plus ou moins ce qu’elle est : une femme confiante et en contrôle.
Bande-annonce en version originale anglaise :
Durée: 1h49m