Husbands : Alcool triste

États-Unis, 1970
Note: ★★★★

Au début, ils étaient quatre. Puis vite, ils ne seront plus que trois. Le quatrième larron décédé, Husbands (1970) met en scène un trio infernal en ce qu’il est difficilement supportable voire relève de la juridiction des Enfers. Ivres seulement de tristesse – on suppose – pendant les cinq premières minutes du film lors de l’enterrement de leur ami, Harry (Ben Gazzara), Gus (John Cassavetes) et Archie (Peter Falk) ont pour ambition de noyer ce chagrin dans la boisson. Un verre sans fond que ce film, qui remplit le vide d’alcool  à mesure qu’il le crée. Expérience cinématographique en forme de chronique sans fard d’une masculinité en déroute, incapable de se réinventer.

Husbands, cinquième film de John Cassavetes, premier en couleur, s’inscrit dans la lignée évidente de Shadows et Faces. Moins brouillon que Shadows, plus insoutenable encore que Faces, Cassavetes y déploie devant et derrière la caméra un langage qui lui est propre. Récit sans concession autant que sans respiration, Husbands est une plongée dans la misérable vie d’un groupe de quadragénaires. Qui sont-ils ?  À part des losers, ils sont des maris. Rendant les deux termes de l’équation magistralement équivalents, alors que l’un d’entre eux passe l’arme à gauche – un départ d’ailleurs salué par une oraison funèbre des plus mitigées  – l’heure du bilan au tournant de leur vie se pointe doucement.

Alors qu’ils saluent une dernière fois leur ami parti, peut-être, au Paradis, le trio s’enfonce dans les abîmes de l’existence. Une plongée éthylique qui vaccinera quiconque de se la coller pour les fêtes, tant on en vient à suffoquer de leurs excès.

Il y a dans le cinéma de Cassavetes cette singulière distance qui le rend si particulier. Ses images collent à la peau, oscillant entre proximité excessive et distance quasi-documentaire. Mélange d’improvisation palpable et brillante, le cinéma de Cassavetes joue avec ses acteurs autant qu’il les fait jouer. L’espace devant la caméra est aussi vaste qu’exiguë. Sur la brèche, le film enchaîne d’interminables scènes de rires de damnés, d’échanges confrontants avec les quelques personnages féminins et de dialogues parallèles entre ces trois amis aussi soudés qu’inconnus. 

Inconnus, car on dirait qu’ils n’ont pas appris à se connaître. Ces husbands aux femmes invisibles ou violentées, ces husbands aux femmes-mamans en face de qui il faut justifier une erreur quand on rentre après avoir disparu de la circulation plusieurs jours pour réapparaître plus résigné que jamais les bras chargés de cadeaux d’aéroport, ces husbands n’ont-ils donc jamais été des hommes ? Résumés à un rôle, social et familial, Harry, Archie et Gus manquent cruellement d’expérience et d’inspiration. Une lacune qu’ils s’appliquent à combler de bières d’abord, puis de filles et de champagne. Quoi de mieux qu’une petite escale éclair à Londres pour remonter un temps à jamais révolu, parti dans un mariage, une carrière, des enfants.

L’argent américain n’ayant pas de frontières, tout comme la rustrerie de la même nationalité, le trio se délocalise sans pour autant renoncer à son état d’esprit nihiliste. La scène du casino est remarquable et rejoint la scène du concours de chansons dans un bar au début du film. Le film n’épargne rien, loupe sur les mochetés et les errances des êtres, le film de plus de deux heures est un chef d’œuvre claustrophobe. Sous l’écrasant poids de la vie, il y a des êtres qui se débattent.

Embarquée dans la dérive, la caméra rencontre plusieurs personnages féminins. La scène du retour – le dernier – à la maison de Harry est édifiante de malaise et de violence. Autant que les rencontres de fortune et de misère au casino. Édifiante femme édentée sortie des photos de Diane Arbus, à laquelle succèdent une immense femme, une jeune demoiselle aussi britannique que le Marmite, et une jeune femme asiatique aussi maquillée que muette. Et ces jeunes premiers plus si vigoureux de les ramener à l’hôtel, pour oublier dans la tristesse de leurs compagnes d’une nuit leur solitude crasse. Subitement amoureux d’ailleurs, des autres versions d’eux-mêmes jamais entrevues jusqu’alors, Archie et Gus font les comptes. 5 enfants, 2 femmes. Retour à la case départ pour eux tandis que Harry, le plus exécrable des trois, reste sous la pluie londonienne par choix ou par lâcheté.

On a coutume de voir des femmes en crise existentielle, fatiguées – à raison – de n’être que des wives. Husbands met les autres moitiés des couples devant la caméra, n’épargne aucune bassesse. Enfants-diables, ces hommes ivres de leur vide font l’expérience d’une prise de conscience subite que la vie est une finitude. Le réveil est brutal, il durera quelques jours, mais le choix de se rendormir est inévitable, car l’éveil vers l’inconnu est encore plus douloureux que la mort lente de la domesticité. 

Un chef d’œuvre sans issue.

Bande annonce originale anglaise:

 Durée : 2h34

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