Québec, Canada, 2018
Note : ★★★1/2
Au commencement, il y avait la jeunesse. Celle de Guillaume, de Charlotte, de Félix, ou bien encore, celle de Philippe Lesage.

Trois personnages pour trois tableaux, présentés par le réalisateur qu’on connait notamment pour Les Démons (2015) et Copenhague A Love Story (2016). Trois jeunes gens que l’on suit au travers d’expériences formatrices – fondatrices. Guillaume (Théodore Pellerin), un amour homosexuel maladroit sur fond de collège de garçons de bonne famille. Charlotte (Noée Abita, qui a été révélée dans Ava de Léa Mysius en 2017), un amour hésitant entre sagesse et désinvolture qui veut éviter de se brûler les ailes. Félix (Édouard Tremblay-Grenier), un amour naissant sous le soleil d’un camp de vacances. Un dénominateur commun évident soude ce triptyque : l’éveil à l’amour. Et ses conséquences. Car derrière cette évidence se tient tapie, mais bien présente, la condamnation à sortir du jardin d’Eden de l’innocence. Lesage revient avec un troisième film de fiction sur son sujet de prédilection : la jeunesse, ses parts d’ombre et son inévitable – et regrettable? – fin. Cette Genèse n’est pas un film sur l’adolescence ordinaire. Il montre avec pudeur et force les émois naissants et leurs conséquences.
Genèse : La Chute en deux ou trois actes?

Le troisième et dernier tableau, plus court, est narrativement, voire stylistiquement, difficile à raccrocher aux deux premiers, consacrés à Guillaume et à Charlotte. Il faut dire que ces derniers, présentés en alternance, sont également unis par un lien de parenté, aussi distant soit-il. Si le demi-frère et la demi-sœur partagent cette énergie jusqu’au-boutiste de la jeune vingtaine sans compromis, ce lien de parenté n’ajoute rien à leurs histoires. Cependant, il fait de ces deux premiers chapitres un bloc fort et cohérent à l’écran. Cohésion qui accentue la différence du troisième et dernier chapitre de Genèse.
Guillaume, interprété par le charismatique Théodore Pellerin – déjà remarqué en 2018 dans Chien de garde de Sophie Dupuis (dans lequel joue également Jean-Simon Leduc qui a un petit rôle dans Genèse)- crève l’écran en jeune homme insolent, intelligent et passionné. Lecteur de Salinger à la lueur d’une lampe sans âge dans son dortoir d’école rétro; issu d’un milieu aisé; Guillaume – alter ego du réalisateur? – suscite les convoitises de son professeur d’histoire qui se retourne et se trouve déjà vieux – autre figure de l’auteur? Les caractéristiques semblables forcent les rapprochements.

C’est sur son ami Seb (Émile Bilodeau), que le jeune homme jette son dévolu, dans un amour homosexuel adolescent, pur et… refusé. Guillaume donne au film du souffle, du rythme et une belle cadence. Il y a quelque chose de cru et de vrai dans ce personnage, une tension subtile et toute adolescente dans ses interactions avec ses camarades. De là à dire que cette finesse de l’écriture du personnage est permise à son auteur par une proximité particulière avec sa propre personne, il n’y a qu’un pas qu’il est tentant de faire. Surtout quand on compare avec le personnage de Charlotte. Unique – ou presque – personnage féminin de tout le film (à l’exception des rôles très secondaires de son amie Ariane interprétée par Rose-Marie Perreault, de la douteuse professeure interprétée par Mylène Mackay et celui d’Émilie Bierre dans le dernier acte). Face au personnage plutôt crédible et complexe de Guillaume, Charlotte manque de profondeur. On se souviendra du premier plan très Nouvelle Vague, dans la chambre noire éclairée tout de rouge, et de la conversation qui fait basculer son jeune couple vers sa perte.

À la suite d’une scène symbolique et programmatique, puisque troublée par la déclaration de son petit-ami qui prétend vouloir un couple libre; Charlotte se précipite dans les bras d’un autre. Au final, pour s’y brûler les ailes. Que celle qui n’a jamais failli lui jette la première pierre. Navigant entre tentation et résignation, ses errances la mèneront au pire. Ce qui attend à la fois Guillaume et Charlotte, c’est leur chute. Celle provoquée par l’amour. Ne dit-on pas d’ailleurs, tomber amoureux? On dirait que le réalisateur adopte avec un plaisir presque sadique cette position envers ses personnages. Une omniscience et omnipotence auxquelles il ne renonce jamais pour punir ses personnages de leur naïveté essentielle. Charlotte ou Guillaume ne décident plus pour eux-mêmes. En amour, ils remettent leur sort dans les mains de l’autre. Ils ne sont plus maîtres de leurs choix. Contrairement ici au réalisateur.
Et quel triste sort réservé à Charlotte. Montrée comme une fatalité devenue banale, passée inaperçue, voire méritée. Il y a dans le film un sentiment d’inévitable, de destin tragique de la jeunesse qui disparaît au moment où elle se consomme. Le réalisateur administre à une Charlotte égarée une punition gratuite qui vient tuer les idéaux de la jeune femme. Autant que Guillaume voit les siens jetés à terre en déclarant sa flamme à son ami, lors d’un monologue bancal, fébrile, mais courageux. Ce qu’il se passe ensuite? On n’en parle pas, ce n’est pas cela qui nous intéresse. Ce qui focalise l’attention du réalisateur c’est le moment de la bascule, la chute.
Cette bascule s’effectue par le motif de la punition, de la chute, qui force à sortir du jardin d’Eden. Avec un tel titre, on ne peut refuser à Genèse sa teinture judéo-chrétienne. Le motif de la chute y devient l’inévitable compagnon de la jeunesse condamnée à disparaître. La punition comme revers de la pureté. Tandis que, le troisième et dernier tableau est tout autre. Le sort de Félix et de Béatrice reste en suspens. Clôturer le film sur une amorce d’amour suggéré, confère-t-il à l’ensemble une lueur d’espoir? Le doute est permis.
Ce dernier tableau, plus en douceur, dorée comme la lumière de cette fin d’été, ouvre plus qu’il ne ferme le film. Un dernier tableau qui serait un premier. Un inversement de l’ordre narratif, un retour en arrière qui serait un chemin vers le début, la genèse… au sens stricte : le moment de la chute. Au commencement il y aurait donc… nos amours déçues.
Amours déçues

En suivant ces trois personnages, on embarque dans un récit d’apprentissage à la moralité en demi-teinte. La jeunesse est innocente, fière et intègre. Entre les trois personnages principaux et les autres, il y a une ligne nette : l’âge fait changer de nature.
Genèse est un film du transitoire et de l’inévitable. Tourné sur lui-même, c’est un cinéma qui peut paraître manquer de générosité. Mais ce qu’il perd en chaleur, il le gagne en précision et en beauté. Genèse est un film étrange sur la passion, mais sans affect. Une chronique du déchirement amoureux. Une mécanique du déchirement. On y parle du sentiment amoureux, sans pour autant émouvoir le spectateur.
Le film prend des airs de tragédie en trois actes, comme si la souffrance, destin de toutes et tous, était le début nécessaire du soi, notre genèse. Il s’agit d’une tragédie maîtrisée dans laquelle le cinéaste ne se défait jamais de ses pleins pouvoirs sur ses personnages, eux qui sont condamnés.
Lesage signe ici un film entêtant, aigre-doux, en forme de déchirement initiatique, accompagné d’une musique remarquable. La bande-son agit comme un marqueur d’émotions et un lien extradiégétique entre les scènes, ce qui confère au film un dynamisme notable. On reste sur l’essentiel : la trame narrative se penche sur la perdition des trois protagonistes.
Triste constat. Partant de là, comment continuer ensuite?

Philippe Lesage a un plaisir à filmer une jeunesse, fantasmée et détestée. Le moteur de son cinéma semble résider dans ce rapport complexe à l’adolescence, maintenant révolue. Cherche-t-il à se replonger dans des souvenirs tragiques afin de se réconcilier avec lui-même? Il confronte certainement ses personnages à ce qu’ils veulent être. Car l’enjeu profond du film c’est bien cela : l’identité. Peut-être est-ce là, la seule issue vers une réconciliation. Et c’est peut-être ce vers quoi tend cette Genèse.
2h09m