Plusieurs membres de l’équipe de rédaction de Cinémaniak ont proposé, compilé, classé et discuté des films qu’ils considèrent comme ceux de la décennie. Pour écouter les dévoilements et les débats entourant les films du classement, rendez-vous sur la page de la baladodiffusion produite en partenariat avec CISM.
Pour cette troisième partie de ce dossier, Cinémaniak se prononce sur les films de la France. Voici les positions 20 à 11 des meilleurs films français de la décennie selon les rédacteurs de Cinémaniak.
POSITION 20
DIVINES de HOUDA BENYAMINA
2017
Campé dans une cité française, Divines raconte l’histoire de Dounia, une jeune fille vivant dans un camp rom, et de sa meilleure amie Maimouna, qui rêvent de gloire et de richesse. Les jeunes filles s’associeront à Rebecca, une réputée caïd du quartier, pour qui elles vendront de la drogue. En parallèle, Dounia tombe sous le charme d’un danseur qui lui fait vivre de fortes émotions.
La réalisatrice Houda Benyamina a remporté la Caméra d’or à Cannes pour ce film qui offre une vision féminine et très rafraîchissante des films de banlieues délinquantes. Elle y propose un mélange de tragédie romanesque, de récit d’émancipation et de discours social et politique sur la place de la femme et des immigrants dans la France d’aujourd’hui. Oulaya Amamra crève l’écran dans le rôle de la fougueuse et impétueuse Dounia. Sa complice de jeu Déborah Lukumuena est tout aussi excellente. Ensemble, elles ont une véritable chimie qui crée de beaux moments et fait du film une merveilleuse ode à l’amitié féminine.
POSITION 19
FRANTZ de FRANÇOIS OZON
2016
Seizième long métrage de François Ozon, Frantz était en compétition pour le Lion d’or à la Mostra de Venise où il s’est mérité le prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir pour Paula Beer.
1919, au lendemain de la Première Guerre mondiale dans la petite ville allemande de Quedlinburg, Anna (délicate Paula Beer) se rend quotidiennement fleurir la tombe de son fiancé Frantz disparu au front. Un jour, elle surprend un mystérieux inconnu (troublant Pierre Niney) se recueillant sur la stèle de son bien-aimé. Elle découvrira très vite le lien étrange qui unissait son amoureux et le jeune français Adrien. La rencontre de ces deux êtres que rien ne prédestinait à se rencontrer va venir chambouler leur existence et celle des villageois.
Librement inspiré d’une pièce de Maurice Rostand L’homme que j’ai tué, Frantz possède tout le charme d’Ozon. De la naissance du désir, au deuil en passant par l’émancipation, l’initiation à l’amour et le thriller. Le film possède la grâce des films d’antan dans son hommage à l’expressionnisme allemand avec les jeux d’ombres et de lumières faisant montre d’un classicisme surprenant mais envoûtant. Il n’a pas tout à fait renoncé à la couleur qui vient par moment raviver des souvenirs et des émotions subrepticement. C’est un des rares films à parler du deuil du point de vue des Allemands. Il tente d’apaiser et de réconcilier les deux pays en offrant, tel un pansement émotionnel, des réflexions cathartiques. Frantz, c’est avant tout l’histoire de cette femme abandonnée à elle-même que le réalisateur isole des autres personnages pour mieux les faire se rencontrer.
POSITION 18
J’AI PERDU MON CORPS de JÉRÉMY CLAPIN
2019
Récipiendaire du prix Cristal du long métrage du Festival international du film d’animation d’Annecy et du Grand Prix de la Semaine de la critique de la sélection parallèle du Festival de Cannes, J’ai perdu mon corps est l’un des grands films de 2019.
L’histoire débute au moment où une main coupée s’évade d’un laboratoire et traverse tout Paris dans une cavale haletante, dissimulée aux regards de tous, avec comme seul objectif de retrouver son corps. Parallèlement, on suit Naoufel, jeune homme paumé d’origine maghrébine alors qu’il tombe amoureux et tente de se rapprocher de Gabrielle, une bibliothécaire de son âge. On comprend que son coup de foudre survient avant le terrible accident qui lui coûtera la main.
Grâce à un habile montage, l’histoire de la main coupée s’entremêle très bien avec celle du jeune homme à qui elle appartenait, peu avant l’accident qui les a séparés. L’histoire est porteuse d’une puissante émotion, magnifique, triste, douce et universelle. L’émotion et l’intensité sont soutenues par l’excellente trame sonore et l’éclatant montage. Jérémy Clapin a confectionné un des meilleurs films d’animation des dernières années.
POSITION 17
GRÂCE À DIEU de FRANÇOIS OZON
2018
Auréolé du Grand Prix du jury au Festival de Berlin en 2018, Grâce à Dieu a fait mouche, dérangeant sur son passage quelques bien-pensants qui ne souhaitaient pas voir l’Église éclaboussée par un autre scandale de pédophilie. La dernière offrande de François Ozon relate les prémisses de l’affaire Preynat (ce Père accusé d’avoir agressé sexuellement plus de soixante-dix jeunes enfants) à travers trois histoires, trois personnages (Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud) qui, main dans la main, vont devoir s’armer de patience pour que leur combat touche au but et ainsi reprendre goût à la vie.
Avec une narration très méthodique, Ozon découpe son film en 3 parties distinctes tenant compte, dans sa réalisation, du caractère et de la souffrance de chaque personnage dont les attouchements n’ont pas été vécus de la même manière. Le réalisateur laisse à chacune de ces parties le temps de poser son empreinte dans la tête des gens. De manière presque didactique, il nous énonce les faits à mesure que les personnages apparaissent dans un concerto d’émotions jouant crescendo une partition musicale à l’unisson. C’est ensemble qu’ils vont pouvoir se faire entendre, face à une institution qui n’a de cesse de faire la sourde oreille. Le cinéaste se contente de relayer les faits au moyen d’un montage fluide et concis car l’horreur décrite parle d’elle-même sans qu’il ait besoin d’en rajouter. Sa réalisation s’efface ici au profit d’un sujet auquel il fait aveuglément confiance. Il étoffe ses personnages pour les rendre moins lisses et consensuels. Le film a un tempo efficace soulignant le caractère presque héroïque des protagonistes. Loin d’être anticlérical, François Ozon réalise une œuvre politique qui dépasse le cadre de l’Église pour dépoussiérer une institution vieillissante inapte à se remettre en question. Sans jamais juger les proches des victimes qui n’ont pas toujours vu ou cru en leur détresse, il propose un vrai sujet de réflexion sur l’acceptation de la souffrance et sur la fragilité de la foi qu’il interroge avec une humble responsabilité.
Voir ce que l’on en avait dit à sa sortie sur les écrans.
POSITION 16
DANS LA MAISON de FRANÇOIS OZON
2012
Le plus prolifique des réalisateurs français, François Ozon (7 films entre 2010 et 2018), a bien commencé la décennie avec Dans la maison, comédie/drame racontant l’histoire d’un professeur de français au lycée (Fabrice Luchini) qui s’attache à un jeune étudiant particulièrement talentueux dans ses écrits. Ozon signe un film drôle, mais rempli de tension car les textes du jeune garçon racontent ce qui semble être l’évolution d’une relation aux constantes limites de la transgression avec la famille d’un collègue du lycée, Rapha. Comique à commencer par le nom du personnage du professeur : Germain Germain. Ainsi que les conversations entre ce dernier et sa femme interprétée par Kristin Scott Thomas. Un film divertissant qui mélange des genres, spécialité du réalisateur français (voir Une nouvelle amie). La distribution comprend également Emmanuelle Seigner (la mère de Rapha), Denis Ménochet (le père de Rapha) et Yolande Moreau qui joue des jumelles. Éclaté, mais drôle.
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POSITION 15
P’TIT QUINQUIN de BRUNO DUMONT
2014
P’tit Quinquin est une minisérie de quatre épisodes ou film, selon les différentes diffusions, réalisé par Bruno Dumont. Dans le Nord de la France, parmi les plages, des morts mystérieuses pulluleront le paysage de cette campagne tranquille. Sous les yeux du p’tit Quinquin et de ses amis, le mal s’emparera, avec une touche de fantastique, de son village. On a ainsi avec ce film une peinture ultra naturaliste de la vie près de ce petit village côtier du Nord-Pas-de-Calais, la direction photo est comme d’habitude particulièrement impressionnante, Bruno Dumont sait comment filmer les plaines, les dunes de sables, l’herbe comme pas un! Le cinéaste rappelle également son penchant pour les visages atypiques, ceux d’enfants comme d’adultes, des visages avec des cicatrices, des malformations, mais qui sont toujours filmés avec une humanité très particulière, où le bizarre est mis de l’avant comme quelque chose d’un peu sublime, d’un peu intouchable. Et puis surtout il y a cet humour qu’on lui découvre plus dans P’tit Quinquin et qui n’était pas si visible dans des films comme L’humanité et Hors Satan. Univers unique, personnages singuliers, humour particulier. Le petit Quinquin et sa bande ont de fortes chances de vous séduire dans leurs aventures atypiques.
Voir ce que l’on en avait dit à sa sortie sur les écrans.
POSITION 14
L’ARTISTE de MICHEL HAZANAVICIUS
2011
Sorti en 2011, The Artist de Michel Hazanavicius a remporté cinq Oscars, six Césars, trois Golden Globes et la meilleure interprétation à Cannes pour son interprète principal Jean Dujardin. En 1927, George Valentin est un acteur très célèbre du cinéma muet à qui le succès monte vite à la tête. Peppy Miller (charmante Bérénice Béjo) se retrouve bien malgré elle sur le tapis rouge d’une première où l’acteur présente un film. Photographiés ensemble, le cliché fait parler d’elle et cette dernière en profite pour tenter sa chance au grand écran. Alors qu’on assiste à la montée d’une nouvelle star et du parlant, en parallèle c’est la déchéance d’une autre.
Hazanavicius fait preuve d’audace en faisant un film avec peu de son et sans dialogue, utilisant une simple musique pour appuyer les réactions des visages et des corps qui parlent d’eux-mêmes. De fait, le spectateur s’attarde aux détails et à l’essentiel. Il ne se laisse pas fourvoyer par une musique qui trahit bien souvent des émotions. Dans cette mise en image du passage du muet au parlant, le film est un hommage à l’Âge d’or Hollywoodien du générique à l’ancienne en ouverture du film, à la fermeture à l’iris dans le montage. La figure de Charlie Chaplin est évoquée tout comme celle de Gene Kelly par le biais d’une scène de danse rappelant le meilleur de Singin’ in the Rain. Il fut inconcevable de tourner le film ailleurs qu’aux États-Unis, berceau de cette histoire. Des bâtiments d’époques aux voitures jusqu’à la présence d’acteurs de renoms tels que John Goodman, Malcolm McDowell, Missi Pyle ou encore James Cromwell. Le plus américain des films français.
POSITION 13
VISAGES VILLAGES de AGNÈS VARDA et JR
2017
« Je suis toujours partante si on va vers des paysages, des villages, des visages simples ». Avec une réalisation super légère, Visages Villages est un road movie documentaire coréalisé par Agnès Varda et JR où les deux artistes vont à la rencontre des gens dans des villages. Ils y feront des portraits géants de personnes qu’ils rencontrent dans la rue tout en s’intéressant à leur histoire individuelle, de la vie des mineurs, des femmes de côtiers aux photographies qu’on leur montre. Ce qui est très beau dans ce documentaire c’est la rencontre de deux traversées artistiques que sont celles de Varda et de JR. Rencontre qui crée un amalgame intéressant de leur technique, leur regard, vers les autres et d’une façon qui n’est pas reculée, mais qui est ouverte et amusante. On sent une réelle curiosité de la part de JR et Agnès Varda; ils sont là pour écouter, apprendre, et ça met le spectateur exactement dans cette position. Avec une musique composée par Mathieu Chédid (aussi appelé M) et des séquences avec de l’animation, Visages Villages est un film extrêmement charmant.
POSITION 12
DHEEPAN de JACQUES AUDIARD
2015
Dheepan c’est l’histoire de trois inconnus, un homme, une femme, une enfant, fuyant la guerre au Sri Lanka et feignant d’être une famille pour pouvoir émigrer en France. Palme d’or au Festival de Cannes en 2015, ce film de Jacques Audiard a divisé les critiques. Peu importe ce que peuvent dire ses détracteurs, un film d’Audiard demeure toujours un film de qualité supérieure. Dans Dheepan, le cinéaste construit habilement une tension qui atteint des sommets. Le réalisateur nous sort de la chronique sociale déjà-vue pour nous mener plutôt dans un conte extrêmement violent sur l’immigration et l’intégration. Le résultat est captivant. Mené par un acteur solide en la personne de Jesuthasan Antonythasan.
Voir ce que l’on en avait dit à sa sortie sur les écrans.
POSITION 11
AU REVOIR LÀ-HAUT de ALBERT DUPONTEL
2017
Au revoir là-haut de Albert Dupontel est adapté du roman de 2013 de Pierre Lemaître, adaptation plutôt fidèle. Dupontel a réalisé un film populaire et spectaculaire, qui mêle comédie, tragédie, poésie, émotion et aventure. Le cinéaste est en très grande forme, donne libre cours à son esprit rebelle tout en étant extrêmement méticuleux ; des liens avec la tradition du Grand Guignol à sa caméra d’une grande richesse visuelle. Dupontel a réussi quelque chose de particulièrement habile au niveau de la direction artistique, apportant un soin particulier à l’image, à l’élégance et à l’invention de la mise en scène. Œuvre très poétique et humoristique dans la mise en scène, et ce à travers un pamphlet politique d’une grande envergure. Son réalisateur est également l’acteur principal, accompagné d’un très charismatique Nahuel Pérez Biscayart qui nous hypnotise avec ses yeux derrière les extravagants masques de son personnage Édouard Péricourt.
Bref, un film très inventif!
Cette compilation est une collaboration entre Marc-Antoine Lévesque, Alexandre Blasquez, Jules Couturier et Alice Michaud-Lapointe.