FABULEUSES : Conversation avec mélanie charbonneau II

Comme promis, voici la deuxième partie de l’entrevue avec la fabuleuse Mélanie Charbonneau. On y parle de son parcours, d’impudence, d’inspiration, de rencontres, de marketing, de musique, de parité et d’une suite à Fabuleuses

Ariane : J’aimerais qu’on retourne un petit peu en arrière. Tantôt, tu parlais de la publicité et tout ça. En entrevue, j’aime avoir une idée du parcours de la personne. C’est ton premier long métrage, mais je veux savoir le début vraiment. J’aimerais que tu nous racontes un peu comment le cinéma est arrivé dans ta vie et à quel moment tu as su que tu voulais être réalisatrice.

Mélanie : Il y a trois éléments, je dirais. Le premier quand j’étais au secondaire. Moi, j’étais dans une école secondaire publique, mais il y avait un profil Art dramatique, donc j’en ai fait tout mon secondaire. Ce que j’aimais le plus dans l’art dramatique, c’était de faire la mise en scène au final. Je jouais, mais j’étais pas très bonne comédienne. Ce que j’aimais, moi, c’était écrire des scènes, mettre de la musique, trouver des costumes, créer des personnages et tout. J’ai remercié d’ailleurs ma prof d’art dramatique, qui était là à la première du film, parce que je me suis rendue compte que c’est là l’origine. C’est là que je me suis rendu compte que c’est ça que j’aimais faire et elle m’encourageait là-dedans.

A : Tu aimais raconter des histoires et choisir une façon de la raconter.

M : Oui et c’est vraiment ça qui me fascinait. Construire quelque chose et avoir des défis. Donc, il y a ça. Ensuite, quand j’avais 15-16 ans, mon père avait une amie qui était camérawoman à Radio-Canada et je me rappelle quand j’allais chez elle, je tripais vraiment sur les caméras et on n’avait pas de caméra chez nous. On a toujours été low tech, ça nous a pris genre cinq ans après tout le monde avoir un VHS. Donc, pour moi, le cinéma, c’était toujours un événement. On louait notre lecteur VHS au club vidéo avec cinq films pour la fin de semaine. C’était vraiment un événement. Aussi, j’ai quatre sœurs donc on n’allait pas beaucoup au cinéma, mais on allait beaucoup au Ciné-Parc et c’est drôle parce que Fabuleuses est dans deux Ciné-Parc!

A : YASSS! Consécration!

M : C’est comme un rêve (rires)! Donc, à 15 ans, je me suis acheté ma première caméra vidéo avec mon argent et c’est drôle parce que c’est un peu ce qui guide ma carrière par la suite et la manière dont je travaille, comment je fais les choses. J’avais envie de ça donc je me l’étais achetée moi-même. Je m’étais acheté une carte vidéo que j’avais installée sur mon ordi et je faisais du montage. Exemple, dans une des pièces de théâtre avec ma prof, j’avais intégré de la vidéo, je faisais des vidéos de vacances de ma famille, je filmais tout ce que je pouvais. Et rapidement, j’ai découvert c’était quoi, être réalisatrice, et j’ai su tout de suite que c’est ce que je voulais faire. Je suis allée à Jonquière en arts et technologie des médias. Pour revenir aussi au cinéma, le troisième élément, le film qui m’a marqué et qui m’a fait dire « c’est ça que je veux faire », c’est Un 32 août sur Terre de Denis Villeneuve.

A : Quand même! À quel âge tu as vu ça?

M : 15 ans! Cette même époque-là. J’avais loué ça au club vidéo, j’avais même acheté l’affiche, je l’avais dans ma chambre. Petite anecdote : il y a un an ou deux, il y avait un événement spécial pour la compagnie de publicité pour qui je travaille, Cinélande. Denis Villeneuve a commencé là en publicité et donc la boîte avait 30 ans et il faisait des rencontres entre réalisateurs qui sont actuellement là et d’anciens réalisateurs qui ont percé. Moi, je faisais une entrevue avec Denis dans une grande soirée super VIP avec juste 200 personnes. Pour moi, c’était une immense rencontre. Et à la fin, j’ai projeté une photo de moi dans ma chambre, j’ai 15 ans et je suis sur mon lit et il y a l’affiche de 32 août derrière moi pis je l’ai projetée en disant: « Je voulais juste te dire, Denis, que c’est vraiment toi, ton cinéma, qui m’a donné envie de faire du cinéma. » C’est vraiment ce film-là quand je l’ai vu, je sais pas, il y a quelque chose qui a changé en moi. C’est à la fois drôle, à la fois poétique, et Lunar-Orbit Rendezvous c’est un peu un clin d’œil à 32 août sur Terre donc c’était super touchant comme moment.

: Incroyable! Et après tu as étudié en cinéma à Concordia, c’est ça?

M : En fait, quand j’ai terminé en arts et technologie des médias, je suis venue à Montréal et j’ai commencé rapidement à réaliser plein de petits projets. Je me suis acheté encore une autre caméra et je faisais des capsules vidéo. C’était le début des créateurs de contenu sur internet, on parle de 2005-2006. Je faisais beaucoup de tournage, montage, réalisation. Vers 2008, je suis retournée à Concordia pendant un an étudier en cinéma et aussi en computation art parce que j’étais vraiment plongée dans le numérique. Je venais de faire L’Anti-Kamasutra qui avait eu plein de views sur youtube. Ça m’intéressait vraiment c’était quoi, les médias numériques. J’ai fait un an, mais je travaillais tellement que y’a fallu que j’abandonne mes études pour continuer.

A : Parce que t’étais déjà en train de faire ce que tu voulais faire?

M : Oui, mais en même temps, ça avait vraiment été une belle année de replonger à voir des films, à enrichir ma culture cinématographique.

A : Parlons un peu de la stratégie de marketing du film. Étais-tu très impliquée? Il y a eu le vidéoclip co-réalisé avec Juliette Gosselin. Est-ce que l’idée, c’était un peu d’aller chercher ces jeunes-là qui sont sur Instagram, qui sont branchés sur les réseaux sociaux?

M : Absolument, j’ai participé au marketing du film. Je fais de la publicité dans la vie, donc c’est quand même un milieu dans lequel je baigne, que je comprends et que je connais. Et en même temps, ça fait trois ans qu’on baigne dans ce film-là, ça fait trois ans qu’on marche sur un fil de fer. On sait c’est quoi, les dangers du sujet, on sait c’est quoi, les écueils vers où on aurait pu aller, les archétypes qu’on aurait pu représenter. Donc pour moi, c’était important vraiment de m’impliquer dans la promo pour pas qu’on tombe là-dedans. Je ne voulais pas d’une affiche rose bonbon avec des rouges à lèvres, mettons, tu comprends.

A : Pour pas que la promo du film tombe dans les écueils que vous avez réussi à éviter avec le film lui-même?

M : Exactement. Donc c’était super important et il y a vraiment eu une belle ouverture de la part du distributeur pour ça.

A : L’affiche est magnifique d’ailleurs.

M : Merci! L’autre point, exemple le vidéoclip, ça, c’est une idée que j’ai eue après avoir fait la chanson. J’ai approché Sarahmée pour qu’elle s’implique dans la musique. Dans le processus du film, j’ai impliqué plusieurs femmes que j’admire, comme par exemple, la gang de Maipoils que j’ai rencontrée, c’est elles qui jouent leurs propres rôles; Pony, que je trouve absolument incroyable, à qui j’ai demandé de faire le t-shirt du film; Sarahmée aussi, que je trouve qui est une artiste vraiment inspirante, donc quand elle a accepté, c’était complètement fou. Elle a écrit des paroles en une journée et c’était tellement on point.

A : Est-ce qu’elle avait vu le film? Lu le scénario? Elle est partie de quoi?

M : Elle avait vu la bande-annonce et on s’était parlé du film à ce moment-là, mais elle ne l’avait pas vu encore. Elle a tellement une belle sensibilité, elle a compris tout de suite. Elle m’a dit « moi aussi, je suis là-dedans un peu ». C’est une artiste émergente alors c’est sûr qu’elle a un rapport aux réseaux sociaux. Rapidement, avec les comédiennes, j’ai proposé de faire un vidéoclip et elles ont embarqué tout de suite. Juliette Gosselin, qui réalise elle aussi, a suggéré qu’on le fasse ensemble. On est vraiment parties dans un trip, c’était vraiment un gros fantasme. On faisait un clip des Spice Girls, tu comprends. On a tellement ri. Ça a commencé simple et ça a pris tellement d’envergure. On était rendu avec six décors, des chorégraphies. On a eu tellement de fun. Et la chanson est sortie dans toutes les radios aussi. Je me suis inspirée des années 90 où souvent, dans les films comme Singles ou Reality Bites, il y avait une chanson associée à la sortie du film. Une chanson thème qui était composée exclusivement pour le film et ils sortaient aussi le clip. C’était un peu un clin d’œil à ça. Au lieu de faire une deuxième bande-annonce, on a décidé de faire ça. Quand tu regardes le film, tu retires la même énergie, c’est comme une réinterprétation du film. La même esthétique, la même énergie, le même humour…

A : Ça représente l’essence du film, mais on est dans quelque chose de différent, donc ça intrigue plus que de dévoiler. Parce qu’on est quand même dans une culture de bande-annonce qui donne beaucoup d’information…

: Oui et moi, je déteste ça. Et je ne sais pas si tu as remarqué, mais notre bande-annonce, elle dure juste une minute. C’était vraiment juste : voilà le vortex dans lequel tu vas plonger, mais on n’en dit pas trop sur l’histoire.

A : Ce qu’on veut, c’est que les gens aient envie d’y aller et le découvre sur place.

M : Exactement. C’était vraiment ça, l’idée autour de la promo. Et maintenant, il y a les t-shirts de Pony [voir la photo de couverture | crédits : Kelly Jacob]. Je suis en discussion avec elle pour qu’elle les vende sur son site. Tout le monde tripe sur les t-shirts!

A : Ils sont tellement beaux. Ça fait vraiment un mouvement avec le film, la chanson, le vidéoclip, les t-shirts; on a comme une expérience globale Fabuleuses qui est très cool.

M : Oui et ça crée comme un mouvement d’acceptation, peut-être une communauté qui est en train de se former. Je sais pas encore. On est là. Il y a une fille qui a fait un dessin, un fan art déjà, d’une photo de nous à la première. C’est juste fou. Le vibe est tellement bon.

Illustration de la débrouillarde du crayon Catherine St-Martin (@illustration.catherinestmartin)

M : Je pense que ça fait du bien pour les femmes de notre génération de voir un film qui nous ressemble. On a beaucoup baigné dans la culture du film américain qui est pour moi tout le temps trop bonbon.

: C’est dur de s’y reconnaître souvent, oui.

M : Pis c’est souvent réalisé par des hommes avec des équipes de production plus masculines. C’est comme un point de vue masculin sur un univers féminin et pour nous, l’important, c’était de représenter c’est quoi, être une femme dans tout ce qu’elle est, avec la scène du tampon, par exemple, qui j’espère va devenir anthologique.

A : J’aimerais que tu nous parles un peu de Geneviève Pettersen parce que vous avez coécrit le scénario. Est-ce que c’est une amitié avant tout et après vous avez commencé à écrire ou c’est une rencontre créative?

M : C’est une rencontre créative avant et on est devenu amies à force de se voir tout le temps. Par obligation (rires). J’avais lu son livre La déesse des mouches à feu quand je travaillais sur la websérie Les stagiaires. J’ai appelé son agent et je lui ai dit: « Je veux travailler avec cette fille-là. »

A : T’avais comme envie d’intégrer sa voix dans ce que tu faisais?

M : Oui, j’avais trouvé quelque chose qui me ressemblait là-dedans, et Geneviève et moi, on est allées prendre un café et ça a été un coup de foudre créatif. Mais en même temps, on est complètement différentes l’une et l’autre et on vient vraiment se compléter, et ensemble, on est plus fortes. Les deux, dans la création, on n’est pas du tout dans l’égo des idées, c’est toujours la meilleure idée qui gagne.

: Est-ce que d’autres collaborations s’en viennent avec Geneviève? Est-ce qu’on peut espérer ça?

M : On rêve toutes de Fabuleuses 2! C’est qu’on a tellement de fun, on a tellement créé des personnages qui nous font rire, maintenant en plus qu’on les connaît.

: On pourrait avoir plus de scènes avec les trois filles réunies!

M : Oui, parce que là, elles sont rendues vraiment amies, ça pourrait être une belle évolution de cette histoire. On pourrait les suivre encore. Et là, présentement, je suis dans ma trentaine, donc je vis des histoires de trentenaire, les bébés, les duplex qui s’effondrent. J’ai vraiment du bon matériel avec mes amies présentement, alors on sait jamais!

A : Je voulais justement qu’on parle de casting. Tu as un trio féminin très fort. Noémie, Juliette et Mounia sont fabuleuses, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots. Peux-tu nous parler un peu du processus de casting? Noémie et Juliette étaient déjà en vedette dans la websérie qui est un petit peu l’embryon de Fabuleuses et Mounia remplace un peu le personnage de Karelle Tremblay, je crois.

M : Oui, en fait, Karelle a eu un autre engagement pendant qu’on travaillait sur le film et j’avais vu Mounia dans la série Dominos de Zoé Pelchat, et quand je l’ai vue, j’ai su tout de suite que c’était notre Élizabeth.

A : Est-ce que les comédiennes ont influencé les personnages, que ce soit dans l’écriture ou dans l’interprétation?

: Oui parce que je répète beaucoup avec les comédiennes. Mais le personnage d’Élizabeth est très loin de Mounia dans la vraie vie. Elle a vraiment cherché longtemps et c’est en répétition qu’on l’a découvert. Je lui donnais comme référence le personnage de Daria, le dessin animé un peu bête et cynique mais comique. Il y avait aussi le personnage de Ghost World. Je donne aussi beaucoup de références de gens qui existent vraiment. Comme pour le personnage de Noémie, j’ai rencontré une fille qui est journaliste dans un média numérique et elle s’appelle Ariane et j’ai dit à Noémie: « Il faut que tu la rencontres parce qu’Ariane, c’est comme une Laurie. » Pour Juliette, on a beaucoup écouté de vidéos de youtubeuses et on notait des choses, ce qu’on trouvait drôle ou intéressant.

A : Est-ce qu’elle a été rencontrer des youtubeuses pour avoir accès à l’humain en dessous?

M : Non, mais moi, j’en ai rencontré dans le processus d’écriture et c’était des belles rencontres.

A : Est-ce qu’il y avait de la place pour de l’impro sur le tournage ou est-ce qu’au contraire tout est très écrit et précis?

M : Je suis toujours en constante évolution, je suis toujours à la recherche de quelque chose qui va rendre ça plus réaliste et c’est ce que tu ressens, je pense, quand tu écoutes le film. Cette impression que ces filles-là existent vraiment. Même en tournage, on changeait des lignes en répétant et c’est ça, l’avantage d’être coscénariste et réalisatrice. Les filles ont donné beaucoup du leur aussi. Le « shine bright diamond », c’est Juliette qui l’a amené, ça. Elle avait remarqué que les youtubeuses avaient toute une ligne à elles.

A : Oui, ça m’a fait penser au « Gucci » dans Eighth Grade!

M : C’est exactement ça, l’idée. « Shine bright diamond », ça vient de Rihanna parce qu’elle, Clara, a commencé il y a sept ans, quand la chanson de Rihanna était très populaire, et c’est de là que vient son nom. On était vraiment rendu à créer tout son backstory. Je trouve que c’est ça qui est riche dans le processus de création d’un film, c’est que tu crées un univers et les gens arrivent dans ce processus de création et viennent le nourrir. Et comme réalisatrice, ton but, c’est de garder le cap, mais de pas être dans l’égo et d’amener toutes les idées à contribution. Je suis très confortable dans ce partage et je suis vraiment à l’écoute de ce qui se passe. Il y a des idées de tout le monde. Comme par exemple, Daniel Jacob, le coiffeur, disait que la coiffure de lamère de Laurie, au fur à mesure du film, commence à ressembler à celle de Clara Diamond. Dans le sens que elle aussi, elle s’intéresse à ça, et à la fin, elle a même des rallonges. C’est des petits détails, mais qui font toute la différence. Tout le monde s’imprègne de ton univers et y apporte du leur.

A : On a beaucoup vanté le style énergique, frais, de Fabuleuses, comme réalisatrice, avais-tu des références ou des inspirations précises qui ont influencé le film ou même ton langage au cinéma en général?

M : Un des films qui nous a inspirées au niveau du scénario, c’est Working Girl de Mike Nichols, parce que c’est un film de la fin des années 1980 et c’est une femme qui essaie de percer dans le milieu de la finance. Ça captait une époque. Il y a même une scène hommage dans Fabuleuses et c’est celle où Laurie découvre l’appartement de Clara. Dans Working Girl, c’est l’appartement de Sigourney Weaver, et elle avait un cadre avec ses quatre visages à la Andy Warhol, et nous, notre version, c’est le cadre avec les deux visages, un peu une réinterprétation Clara Diamond. Le mouvement de caméra qui découvre ça, Laurie qui essaie son maquillage, il y a une scène très semblable dans le film de Mike Nichols. C’est beaucoup le cinéma du début des années 1990 où il y avait beaucoup de films qui essayaient de capter l’époque.

A : Tu parlais de Reality Bites et Singles, par exemple.

: Exact, des films où l’humour passe par les personnages et non un humour de scénariste. Je trouve que dans les comédies américaines actuelles, on sent beaucoup trop les scénaristes, tout le monde a de la repartie. C’est la rencontre des personnages, le contraste entre les personnages qui m’intéressent. Ce que j’essaie de créer, c’est un cinéma de personnages. Tu l’as aussi dans Lunar-Orbit Rendezvous, c’est construire des personnages et laisser les comédiens partir à l’aventure. Pour moi, c’est ça, l’ADN de Fabuleuses. Au niveau visuel, on dépeint deux univers, ce qu’on appelait nous les lieux, avec de l’histoire, l’appartement des filles, le viaduc Rosemont, l’événement féministes, des lieux super habités, et de l’autre côté, des lieux très modernes qui n’ont plus aucune vie, tout est pareil, tout est aseptisé. Et présentement, ces deux mondes cohabitent, se juxtaposent et c’est ça qu’on voulait représenter. Pour tous les espaces modernes, on s’est beaucoup inspiré du film The Square de Ruben Östlund, pour son esthétisme, sa lumière. C’est vraiment un mélange de plusieurs choses. Même un peu de Robert Altman comme The Player ou Shortcut.

A : J’ai une question par rapport à la musique originale, c’est un choix intéressant parce que le film est ancré dans une culture de l’éphémère, tu aurais pu avoir le réflexe d’utiliser des hits du moment. Pourquoi ce choix?

M : Pour moi, la musique sert à plonger dans le vortex de Laurie, dans le vortex d’Instagram, quand tu tombes là-dedans et que tu es absorbé. Pour moi, la musique, et là c’est très méta, c’est un peu les réseaux sociaux.

: C’est un peu la trame sonore de ce qui se passe dans la tête de Laurie?

M : Oui et c’est aussi pour prendre un petit peu de recul. Elle sert à donner de la distance au spectateur pour créer de la place pour la réflexion. Amener à se décaler et à réfléchir à ce qu’on est en train de voir. La musique est là à ces moments-là. Elle permet de donner un petit peu plus de profondeur et de réflexion. On voulait aussi éviter que la musique soit trop bonbon, trop « film de filles ». Et le reste des musiques dans le film, comme Marcia Baïla de Les Rita Mitsouko, c’est vraiment juste par pur bonheur.

A : Des chansons qui te font du bien tout simplement?

: Oui, Marcia Baïla, c’est vraiment ma chanson préférée. Et c’est drôle parce que quand on préparait le film, Guillaume Laflamme, le chef costumier, était dans un bar et il y a deux filles qui mettent la chanson au jukebox et qui commencent à danser. Donc il filme ça et il me l’envoie en me disant: « Mélanie, t’es pas si vieille que ça! » C’est une chanson qui se renouvelle et que toutes les filles aiment à cause de ce qu’elle dit et juste pour danser.

: Donc il y a beaucoup de plaisir dans les choix de musique?

M : Oui, pour moi, il y avait cette idée de partage. Et c’est drôle parce que c’est en le voyant dans la salle que je me rends compte qu’il y a encore plus de moi que je pensais dans le film. On dirait qu’il y a mon énergie qui ressort dans le film.

A : C’est la marque d’un regard et d’une voix justement. On parle beaucoup de représentativité et de parité ces dernières années et le cinéma a longtemps été un boys club. Avec le Jeune Juliette d’Anne Émond, La femme de mon frère de Monia Chokri et les films très attendus de Myriam Verrault et Louise Archambault entre autres, tu es en très bonne compagnie pour la sortie de ton film. Que penses-tu des mesures de parité mises en place?

M : Je crois sincèrement que si le Québec se dit une société égalitaire, le Québec et le Canada même, il faut s’assurer que les voix soient plurielles. Tu ne peux pas avoir un seul type de voix, un seul type de personne qui parle et prétendre être égalitaire. L’idée de la parité, c’est juste que ça fait des années que toutes les institutions clament qu’elles visent la parité mais les chiffres ne sont pas à l’appui, donc à un moment donné, ça prend une mesure si on veut qu’il y ait une phénomène d’accélération, qu’on y arrive; il faut des incitatifs. Après, faut quand même faire nos preuves et faire des films de qualité. Présentement, on est dans la première vague, on sent les échos réels de ces mesures et c’est intéressant parce que ça crée un cinéma différent. On a vraiment une nouvelle palette de films qui vient de sortir qui démontre que c’est important. Et quand je dis voix plurielles, je pense aussi à des voix issues des communautés culturelles, des Premières Nations, et c’est comme ça que notre cinéma va se diversifier et s’enrichir.

A : Est-ce que le cinéma est genré pour toi? Est-ce que tu revendiques un regard féminin dans le cinéma que tu fais?

M : C’est sûr que mon cinéma est puisé de mes expériences dans ce monde qui sont des expériences de femme dans une société qui est encore patriarcale dans bien des domaines. Dans Fabuleuses, il y a beaucoup de répliques qui disent ça. Après, je crois que la qualité d’un cinéaste ou d’un artiste, c’est de pouvoir se plonger dans le regard de l’autre, c’est de pouvoir transcender cette idée de genre. Exemple, le personnage d’Antoine, c’est un super beau personnage masculin que moi, j’ai envie de voir plus au cinéma. De voir toujours le même gars un peu coincé, qui est pas le mâle alpha et qui ne l’assume pas, ça m’intéresse pas. Moi, j’avais envie de voir un gars qui est complètement bien dans sa peau et qui est pas du tout intéressé à être le mâle alpha.

A : C’est sûr que le regard d’un cinéaste vient beaucoup de ses expériences, donc comme tu dis, plus on va avoir des voix plurielles, plus on va avoir des regards qui viennent d’expériences différentes et qui sont différents.

M : Exactement, donc je ne pense pas qu’on puisse être contre ça.

: À moins de sentir que ça nous nuit. Il pourrait y avoir une certaine génération de réalisateurs qui, en ce moment, ont l’impression qu’ils ne pourront pas faire de films à cause de ça, mais le système les a avantagés tellement longtemps que, comme tu dis, on est dû pour une accélération du processus qui va faire qu’on aura une vraie égalité des chances.

M : Ça va prendre en espérant juste quelques années et je pense que le rééquilibre va se faire. Et il est en train de se faire et on en a la preuve. Mais effectivement, c’est comme si le système des réseaux avait toujours favorisé ça, alors ce qu’on est en train de faire, c’est d’accélérer le processus de changement du système et c’est pas de la mauvaise intention de personne, c’est juste un système que tout le monde subissait sans se poser la question. C’est surtout une histoire de cercle en fait, c’est des producteurs qui travaillent avec les mêmes personnes et c’est normal de vouloir travailler avec les gens que t’aimes. Tu es producteur et tu as trois ou quatre réalisateurs avec qui tu travailles. C’est avec eux que tu développes des projets et tu ne peux pas déposer mille et un projets, donc l’idée, c’était un peu d’éclater les gangs et de faire rentrer des nouvelles voix. Et ça fonctionne, la preuve, Monia va à Cannes avec son film.    

: Je veux quand même qu’on parle un peu de ton très beau court métrage, Lunar-Orbit Rendezvous, qui a fait la tournée des festivals (Regard, BACIFI, Locarno, Namur) et était finaliste pour l’Iris du meilleur court métrage de fiction au Gala Québec Cinéma. Est-ce que tu crois que la belle carrière de ce film fait en sorte que Fabuleuses existe ou pas du tout?

M : Ça a absolument rien à voir. On a déposé au mois d’août 2017 pour Fabuleuses à la SODEC et on allait avoir une réponse en décembre. Je me suis dit si on a un refus pour Fabuleuses, ce qui était fort probable parce que c’était un premier dépôt, je veux faire autre chose. La dernière chose que j’avais faite c’était mon court métrage Seule en 2016, et comme c’est un peu mon ADN d’être self-made, j’ai décidé de faire un autre court métrage. Je fais de la publicité, j’ai la chance de gagner ma vie avec ça et ma manière de trouver l’équilibre là-dedans, c’est que j’investis l’argent de la publicité pour créer.

: Donc c’est complètement autoproduit?

M : Oui Lunar-Orbit, c’est autoproduit, autofinancé. J’avais rencontré Noémie O’Farrell et Frédéric Lemay durant l’été. Avec Noémie, c’était un peu l’idée de commencer à travailler ensemble, de développer le personnage de Laurie, de poursuivre notre rencontre créative. On a tourné le film en trois jours, les 15-16-17, et le 16 décembre, les annonces sortaient, et finalement, on a eu la réponse positive de la SODEC. Et là Lunar-Orbit a été pris à Locarno.

A : Donc tout est arrivé en même temps en fait!

: Oui, je suis allée à Locarno trois semaines avant le tournage de Fabuleuses. Donc ça montre que, des fois, il faut juste foncer et créer. Mais je pensais pas que Lunar-Orbit allait être aussi fulgurant!

A : Donc finalement, c’est juste toi qui fonces des deux côtés et les résultats sont là.

M : Oui, de juste faire ce que j’aime en fait. C’est la même chose pour Fabuleuses. Je devais faire le deuil de la websérie qui était supposée devenir une série télé avant que Vrak tire la plogue et c’est la meilleure chose qui pouvait arriver parce que c’est devenu ce film.          

A : As-tu des projets en développement? Qu’est-ce qu’on doit surveiller pour continuer d’explorer ta vision de réalisatrice?

: J’ai plein de petites choses dans les airs. Un autre court métrage peut-être qui s’en vient. Des projets de films, mais rien de concret pour l’instant qu’on peut annoncer officiellement (rires).

A : On peut rêver de Fabuleuses 2!

M : Pourquoi pas, oui! J’ai d’autres idées de projets qui s’en viennent, mais on dirait que j’avais besoin de finir la boucle. C’est une longue boucle, Fabuleuses, et là, maintenant que c’est sorti, c’est de voir l’impact et je vais pouvoir me libérer de ça.

 

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