Karin Viard était à Montréal dans le cadre de la 29ème édition du Festival Cinémania pour présenter 3 films sortis précédemment en France : Magnificat, Une Nuit et Nouveau départ. Ce dernier est en salle présentement au Québec.
Dès le début de votre carrière, vous avez rapidement affiché les couleurs d’une actrice plurielle qui joue aussi bien la complexité amoureuse dans Adultère, mode d’emploi (Christine Pascal, 1995) que la comédie de plein air dans Les randonneurs (Philippe Harel, 1997) ou encore une femme enceinte et cancéreuse dans Haut les cœurs (Solveig Anspach, 1999) pour lequel vous obtiendrez votre premier César. Vous aimez toujours surprendre dans ces choix assez différents les uns des autres ?
Karin Viard : Vous savez, je ne fais pas du tout ça pour les autres. La question de la carrière ou, éventuellement, ce que les spectateurs pourraient attendre de moi, c’est quelque chose qui n’existe pas chez moi. Je fais les choses que j’ai envie de faire au moment où j’ai envie de les faire quand j’ai la chance qu’on me les propose. Je n’ai pas de plan de carrière comme je n’ai pas plus d’idées préconçues. Je n’essaye pas de créer la surprise. J’essaye plutôt de continuer à avoir du désir, ce qui n’est pas très difficile puisque j’adore mon métier. Néanmoins, je ne pourrais refaire à l’infini les mêmes rôles dans les mêmes types de films. Je m’ennuierais trop.
Je comprends.
KV : J’aime donc aller là où je ne suis pas encore allée. Mais si je n’ai pas fait de comédie depuis longtemps et que l’on m’en propose une très bonne, je suis très contente d’y retourner. Si on me propose derrière une très bonne deuxième comédie, j’y vais encore ! Je n’ai pas du tout de plan de carrière.
Vous avez, je trouve, un sens du timing très marqué dans le registre de la comédie. Votre corps est souvent beaucoup plus bavard que les mots prononcés. Dans Une nuit (Alex Lutz, 2023) on entend même : « Quand il n’y a plus de mots, il reste les corps ». C’est quelque chose auquel je suis assez sensible. Dans Nouveau Départ (Philippe Lefebvre, 2023), il y a également un moment où vous avez un problème de hanche. Et cette scène, avec un petit rictus, permet d’instiller de l’humour instantanément. À l’instar du sourire forcé de la boulangère qui répète à tout va « en vous remerciant » à ses clients dans Paris (2008) de Cédric Klapisch (lire notre entrevue ici). Et puis il y a l’utilisation de l’épiltoupoil dans France Boutique (Tonie Marshall, 2003) lors d’une scène où vous enlevez une bande de cire avec un rire appuyé dans une soirée mondaine. Ce sont des scènes que je trouve cultes.
L’é-pil-tou-poil (Rires).

C’est vraiment quelque chose d’important pour vous le travail du corps dans votre rapport aux rôles ?
Au départ, quand je suis arrivée dans le cinéma, j’ai été étonnée que la plupart des réalisateurs filment ton visage, l’expression de ton visage, les frémissements de ton visage, mais que le corps existe peu en fait. Et moi, je suis quelqu’un de très corporel, je suis très expressive.
Mon corps, c’est mon outil de travail. Ça n’est pourtant pas quelque chose de délibéré de ma part. C’est simplement qui je suis, c’est ma personnalité. Il y a des gens et des acteurs qui sont beaucoup plus intellectuels et tu sens que le corps exulte moins, tu sens que le corps est plus empêché, que c’est la tête qui fait exister le corps. Moi, ce n’est pas le cas. Je suis quelqu’un avec énormément d’énergie. J’ai besoin de me défouler. Il n’y a rien que j’aime tant dans les films que courir, tomber, me relever, faire ceci, faire cela, me déplacer, ramasser un truc… Ce qui est souvent un cauchemar pour les acteurs, c’est de devoir jouer une scène et en même temps, de devoir amener un plateau, poser les verres, servir un café, repartir, revenir… Et moi, ça m’amuse beaucoup pour le coup. J’adore ça parce que je trouve que ça m’empêche de trop réfléchir. C’est à dire que lorsque tu as beaucoup de choses à dire et que tu es occupée par toutes les choses que tu as à faire, tu joues presque de façon désincarnée. J’adore ça. Tu ne fais pas trop peser les mots, tu n’es pas trop dans les sentiments, dans l’intention. Les choses se font un peu malgré toi et j’adore ça.

Hormis les comédies, on sent dans votre filmographie l’envie de défendre des sujets, mais également de défendre des idées, des combats. On peut mettre en parallèle Polisse (Maïwenn, 2011) et Les chatouilles (Andréa Bescond et Éric Métayer, 2018) qui se répondent beaucoup. Est-ce une façon pour vous de faire passer des messages, d’amener à réfléchir sur des sujets qui vous touchent?
Encore une fois, j’ai la chance que l’on me propose ces sujets-là et moi, aucun sujet ni aucun personnage ne me fait peur. C’est-à-dire que je n’ai jamais peur de déplaire. Je n’ai jamais peur de prendre les gens dans le sens inverse du poil. Rires. Pour reprendre l’épiltoupoil.
(Rires).
Très sincèrement alors que je fais un métier où tu dois provoquer le désir et tout ça, ma grande force vient du fait que je me fiche de ce que l’on pense de moi. Je le fais pour moi. Par exemple dans Magnificat (Virginie Sauveur, 2023), je vais interroger la place des femmes dans l’Église alors que notre société est en train de se rendre compte qu’elle a un peu maltraité les femmes, qu’on les a mises de côté et que là, il est nécessaire de revoir et de revisiter un peu les choses afin de leur donner les mêmes droits que les hommes.
Quand je lis le scénario, je me dis: « mais c’est un sujet génial ». Pourquoi les femmes sont les boniches de l’Église catholique, en fait ? Pourquoi ? Ce n’est pas juste, ce n’est pas normal ! Donc ça, je trouve que c’est quelque chose d’intéressant.
Je peux avoir des indignations citoyennes dont je me sers comme actrice, mais comme je n’écris pas, ce sont des sujets que l’on me propose et aucun sujet ne me fait peur, aucun sujet ne me rebute. Et si c’est un sujet qui m’intéresse comme individu et qu’il est bien écrit, je le fais. Je ne vois aucune raison de ne pas le faire.

Vous dites que vous n’écrivez pas mais vous venez pourtant de le faire récemment sur Une nuit.
Voilà.
C’est votre première incursion scénaristique avec votre partenaire de jeu, l’acteur et réalisateur Alex Lutz. Qu’est ce qui a motivé cette envie, ce désir d’écrire ? Vous produisez également le film.
En fait, on en avait parlé une fois, puis, pendant le confinement, je l’ai appelé. Je lui ai dit : « on s’écrirait pas le film dont on s’était parlé ? ». On avait du temps à ce moment-là et on pouvait profiter de notre amitié, une amitié hétéro saine, hyper saine même. Il n’y a pas de désir, il n’y a pas de faux-semblants, il n’y a rien de tout ça. On s’est simplement dit : « Pourquoi on ne profiterait pas de notre amitié pour la transposer dans un couple et expliquer toi et moi, c’est quoi être un homme, c’est quoi être une femme aujourd’hui, c’est quoi le désir, c’est quoi le couple, c’est quoi le fantasme, c’est quoi l’envie de faire durer un couple ? C’est quoi… le mensonge ? C’est quoi le malentendu profond entre un homme et une femme ? ». Comme il n’y avait pas d’ambiguïté sexuelle entre nous, on a profité de notre saine amitié pour parler de lui et de moi, de nous en fait.
Une nuit, c’est donc avant tout une rencontre fortuite entre deux êtres qui se rencontrent dans le métro, s’engueulent et finissent par copuler dans un photomaton. Il y a une attirance et une tension palpable entre eux. Catherine Breillat me disait récemment (lire notre entrevue ici) que les grandes histoires d’amour commencent souvent par le rejet de l’autre. On ne comprend pas toujours que les raisons qui nous font détester quelqu’un au départ seront les mêmes qui nous feront l’aimer plus tard. Ce rejet de l’autre, c’est un peu ce que l’on voit au début du film. Il y a comme une forme de répulsion entre eux et pourtant, ils s’attirent.
Mais en fait c’est un couple. Est ce que vous avez compris ça ?
Oui, je voulais exposer les prémisses de la relation sans révéler la fin.
Je vous dis ça parce que le monsieur avant ne l’avait pas compris.
Moi, je ne suis pas d’accord avec ça. Ce n’est pas toujours ça. Ça peut arriver que tu détestes quelqu’un de prime abord pour finir par l’adorer, mais non, je ne dirais pas ça.
Vous décortiquez beaucoup la relation amoureuse dans Une nuit. Vous expliquez notamment comment il est possible d’être attirée par quelqu’un qui n’est pas notre type à la base. La notion d’alchimie versus la disponibilité mutuelle que l’on entend dans le film. Est-ce qu’on est finalement souvent attiré par le contraire de ce qu’on a besoin ?
Je pense que l’on a du mal à analyser les raisons pour lesquelles on est attiré par quelqu’un. Ça se passe beaucoup dans l’inconscient. Il y a des scénarios qui se répètent. On est toujours attiré par les mêmes gens, même si c’est le confort dans l’inconfort. C’est-à-dire que tu peux systématiquement être attiré par les mêmes hommes et ces homme-là, tu sais confusément qu’ils vont produire les mêmes effets que ce qui te fait souffrir. Pourtant, tu ne sors pas de ce cercle vicieux. Ce n’est pas mon cas, mais ce que je veux dire, c’est que l’amour ça peut être un sujet de tyrannie. Ça ne l’est pas forcément pour tout le monde mais quand ça l’est, alors c’est qu’on est dans des espèces de schémas et de courants de pensées qui t’amènent toujours à te croire dans l’amour de la même façon, et je pense que ça, c’est une erreur. Les sujets de tyrannie peuvent changer et varier : ça peut être l’amour, le métier, la famille, la parentalité, l’amitié… Bref, peu importe, mais lorsqu’il y a des sujets difficiles, tu peux tout à fait changer ta façon de penser et te placer ailleurs, autrement, différemment. Et donc je pense qu’en fait la question de l’amour, c’est toujours comment être au plus près de soi. Et que l’autre, dans une relation conflictuelle ou hyper harmonieuse, il te ramène toujours à toi en fait. Tu lui fais porter beaucoup de chapeaux de plein de trucs, mais en réalité, le plus court chemin entre soi et soi, c’est l’autre. C’est ça que je pense.

Une nuit est un film qui s’est tourné en moins de 14 jours. On sent une forme d’urgence autour de cette histoire voire d’exaltation dans la rapidité d’exécution. Était-ce une façon d’en préserver l’essence pour témoigner d’une authenticité ? Car c’est un film résolument dans le mouvement.
C’est surtout que le film a un petit budget. Je me suis donc retrouvée coproductrice dessus car, évidemment, il n’y avait pas d’argent vu qu’il avait l’empreinte d’un film d’auteur et qu’il était très particulier. Il ne fallait donc pas que ce soit un tournage incohérent par rapport au propos et ce qui avait été écrit. Cette cohérence du projet ne pouvait se faire que de cette façon, dans une toute petite économie.
On sent vraiment l’influence de la trilogie de Richard Linklater avec Before sunrise (1995), Before sunset (2004) et Before midnight (2013) dans cette rencontre amoureuse très bien mise en scène. Tantôt on parlait du couple et du fait qu’il peut être rassurant de connaître quelqu’un par cœur depuis des années. En même temps, ce que je trouve intéressant ici, que ce soit aussi bien dans le célibat ou dans l’adultère, c’est qu’il y a une forme de légèreté, quelque chose qui nous échappe, que l’on ne peut pas attraper. C’est dans l’air, c’est un parfum que l’on respire, que l’on inhale et puis on finit par l’exhaler. On le perd. Il y a cette idée un peu de vouloir profiter de l’instant présent.
Oui, parce que c’est aussi un film marqué par le deuil je trouve. C’est un film qui porte le deuil, qui porte la séparation, qui porte la rupture, qui porte la perte. Et en même temps, il y a des choses assez drôles. Quand j’ai vu le film terminé pour la première fois, je me suis dit : « ah oui, c’est pas si drôle que ça », alors qu’il y avait plein de scènes tournées extrêmement drôles.
C’est pas ce qui l’emporte c’est vrai mais ce n’est pas plombant non plus. C’est un entre-deux.
Exactement.
Il y a un personnage du film au début qui dit : « moi les eaux sombres et la poésie mélancolique, ce n’est pas pour moi ». On finit pourtant par y tomber comme une évidence, comme si on ne pouvait pas y échapper.
Oui parce que dans notre combinaison à tous les deux, Alex est quelqu’un de plus romantique, il est plus mélancolique. Moi je suis une espèce d’énergie pure, de force, de bulldozer. C’est donc le mélange des deux qui a donné ça en fait. Je pense qu’il m’a amenée une chose plus douloureuse, et moi, je lui ai amené une espèce d’énergie et de fantaisie. Finalement, on s’est complétés. On a infusé l’un sur l’autre.

Dans une scène, Aymeric dit à Nathalie : « j’adorerais vivre sans cellulaire ». Elle lui prend des mains et le jette à l’eau. Il y a pour moi dans cette scène, l’idée du renoncement, du choix raisonnable. Souvent, on se dit que la raison est le choix le plus sain. Et je trouve que cette notion de raison détermine beaucoup certaines actions des personnages qui luttent contre…
Contre la raison ?
Oui.
Oui mais ça dépend des gens. En fait, la raison, c’est un jugement.
Que l’on a même envers soi-même parfois.
Bien sûr. On trouve que certaines choses ne sont pas raisonnables mais on a terriblement envie de les faire malgré tout. Et puis la vie, l’amour, c’est toujours une décision. Tu as toujours dans tes décisions le choix du raisonnable ou du déraisonnable. Du coup, qu’est-ce que tu fais ? Parce que le désir déraisonnable peut impliquer d’autres gens. Je pense que si ça n’impliquait que notre personne, on serait capable de choisir le déraisonnable, mais quand ça implique des enfants, un conjoint, une famille, d’un seul coup, ton sens des responsabilités pèse lourd dans ta décision finale. Je pense que tout le monde connaît ça.
La difficulté de prendre du temps pour soi, de ne pas s’oublier quand on a effectivement des impératifs familiaux. Garder son individualité, c’est important dans toute relation pour garder de la stabilité.
Bien sûr.
Il y a beaucoup de réflexions actuelles dans le film, notamment dans la scène où vous parlez avec le personnage d’Aymeric de la place du désir. Il dit que depuis des années, les hommes ont agi de telle façon parce qu’on leur donnait ce droit à pouvoir vivre du désir là où pour les femmes, c’était beaucoup plus proscrit. C’était quelque chose de très présent dans l’écriture, l’idée que les femmes devaient reprendre en main leur désir et écouter davantage leur corps et leurs besoins ? Comme dans Nouveau départ aussi d’ailleurs.
Bien sûr. C’est un grand sujet de société pour nous de l’ancienne génération d’avoir mis les femmes à un endroit et que les femmes elles-mêmes, se soient pensées comme ça. Aujourd’hui tout se rediscute. Vous, vous êtes beaucoup plus avancés là-dessus. Nous, le non-genré, l’envie de ne pas être défini en fonction de ses choix, sexuels entre autres. Tout ça, c’est très nouveau pour nous.

Je suis déjà un peu dépassé moi aussi (Rires).
Ah, oui ? C’est vrai ?
Oui.
Mais ici c’est beaucoup plus développé.
Oui, ça l’est davantage au Québec qu’en France effectivement.
Ah oui je trouve. Nous, on est dans les balbutiements. On est à des années lumières de ça. Par exemple, il y a une série qui va être faite par un copain à moi dont je trouve le sujet extrêmement drôle. C’est un groupe de gars qui doit suivre un stage de rééducation : « maintenant on n’a plus le droit de dire ça aux filles, on n’a plus le droit de faire ça avec des femmes… ». Ils sont largués. Ce sont des sujets dont je parle régulièrement avec des copains, des sujets sur lesquels je peux être assez critique aussi. Je peux parfois dire que telle ou telle chose est exagérée. Je n’aime pas qu’on victimise les femmes. C’est un sujet qui fait beaucoup parler notre société française qui est encore assez particulière.
Nous on est de l’ancienne génération et on est vraiment complètement à la street.
Vous trouvez ?
Ah oui vraiment.
Ça rejoint aussi la scène où Aymeric parle du fait qu’il est déjà allé dans un sex-shop et qu’il n’oserait jamais en parler à son épouse. C’est comme si une fois en couple, on cherche à figer l’image et l’apparence de notre conjoint et qu’il ne faut en aucun cas le sortir de cette case-là, ce dont on parlait tantôt. Et c’est d’ailleurs en parallèle avec la scène des devinettes au restaurant quand ils jouent à Qui est qui, imaginant quelle est la vie de la personne en face d’eux. On se base sur des préjugés, en fait sur des a priori.
Bien sûr. Vous savez, moi je trouve que le jugement, c’est vraiment une chose dont il faudrait apprendre à se défaire. C’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, n’est-ce pas mais le jugement, ça grève beaucoup les relations de couple et d’amitié. Ça grève beaucoup le travail également. Je ne sais pas trop quelle est votre question ?
Ahaha ! Je rebondissais simplement sur ce que l’on disait. Il n’y avait pas vraiment de questions j’avoue.

Le film évoque le temps qui passe, l’amour qui s’étiole année après année, la difficulté de voir cet amour rester pérenne et une mutation qui opère. Comment voyez-vous l’amour au fil du temps dans les relations ?
Je trouve que les enfants sont très anthropophages pour le couple. C’est très difficile pour lui de ne pas se dissoudre dans la famille. Continuer à rester un couple alors que l’on a des enfants et que l’on forme une famille, je trouve ça extrêmement difficile. Moi, personnellement, je n’ai pas réussi. C’est à dire qu’au départ des enfants, je me suis séparée parce que il y avait des habitudes qui avaient été prises, des plis qui avaient été pris, surtout des mauvais plis qui avaient été pris. Tu as beau te parler et essayer de rediscuter des trucs, tu n’y arrives pas. C’est ankylosé, incrusté depuis trop d’années. Et puis pendant trop d’années, le couple s’est oublié, les discussions se sont concentrées autour des enfants. Ce qu’il faut faire, pas faire, ce que tu dois faire, ce que tu ne dois pas faire, ce que l’autre a fait et qu’il n’aurait pas dû faire… En fait, il est facile pour le couple de s’oublier complètement. Et quand il s’est oublié des années, je crois que tu ne peux pas revenir en arrière.
C’est difficile.
Voilà. Quand tu choisis l’autre, tu choisis plus un père, le père de tes enfants, qu’un homme avec qui rester toute ta vie. Et puis tu te rencontres jeune.
Mais ça, est-ce que ce n’est pas justement parce qu’on met les gens dans des cases ? On l’imagine comme le père mais pas comme l’amant ou quelqu’un avec qui vivre.
Exact. Tout à fait. Comme j’ai l’habitude de dire, quand tu rencontres quelqu’un et que tu es jeune, tu as l’impression que tu décides de faire des enfants, tu as l’impression d’être deux dans le lit mais en fait, tu es beaucoup plus nombreux. Il y a la famille du partenaire, la nôtre et les représentations des uns et des autres.
C’est une belle métaphore ça.
En fait, on est très nombreux dans le lit et tu fais ce que tu peux, seulement parfois, tu n’es absolument pas conscient de ce qui t’habite. Je dirais que le père de mes enfants, je l’ai choisi de façon bien inconsciente parce que finalement, il était de ma famille. C’est-à-dire qu’il était très semblable aux membres de ma famille et ce qui s’est passé, c’est que j’ai eu avec lui des relations qui n’étaient pas si éloignées de celles que j’avais avec ma propre famille. C’était des relations pas si bien traitantes finalement. Mais c’était quelque chose que je connaissais. Ça m’était familier et aujourd’hui, avec la maturité que j’ai, je me suis séparée. J’ai pris le risque d’aller vraiment vers l’inconnu. Tu te dis que c’est une autre façon de faire et tu ne cesses de t’adapter. Je trouve que c’est un merveilleux exercice que l’on fait parce que nous n’aurons pas d’enfant. Et parce qu’on a lui et moi, choisi l’amour en fait, mais l’amour débarrassé de la famille. Et ça c’est bien. C’est un très bon combo je trouve.

Et si vous étiez célibataire, vous arriveriez à utiliser les nouveaux codes des relations amoureuses ? Utilisez vous les applications comme Tinder ?
Pour ma part, je suis quelqu’un de connu donc je ne peux pas me permettre de faire ça.
Ce n’est pas faux.
Mais j’ai des copines qui ont rencontré des hommes sur des applications et avec qui elles sont depuis des années maintenant. Je parle de relations très équilibrées et très satisfaisantes. Je n’ai pas trop de jugement là-dessus. Au fond, tu as beau être une espèce de serial fucker sur toutes ces applis, je pense quand même que tout le monde cherche l’amour le vrai, le grand, le véritable amour. Tu as quand même envie de partager, à quelques rares exceptions près. Tu as envie de partager ta vie, d’être avec quelqu’un en qui tu as confiance. Tu as envie de pouvoir tout simplement poser ta tête sur l’épaule de la personne que t’aimes. Tu as envie …
Je ne crois pas ces gens qui sont dans une course effrénée de séduction sans arrêt, une fille chassant l’autre ou un homme chassant l’autre. Je crois que c’est l’expression la plus simple de quelqu’un qui a peur de ne jamais rencontrer une personne qui lui convienne.
Après, chez les jeunes, c’est assez terrible. J’ai l’impression qu’ils ne prennent plus le risque. Ils ne font plus le pari du couple. Ils sont jeunes, ils ont vingt ans et se disent : « Qu’est ce que tu me casses les couilles, j’en ai 20 milles sur instagram. Vas-y, dégage ».
La démocratisation d’Internet a malheureusement permis ça également.
Alors que le couple, ce n’est pas que du kif, le couple, c’est aussi des moments où tu t’interroges, où tu en veux à l’autre, où tu es en colère, où tu as l’impression que l’autre est injuste.
Il faut passer par là pour prendre aussi la décision du couple et de l’amour. Si tu n’es que dans la facilité, je ne crois pas que tu sois dans l’amour. Tu es dans une forme de narcissisme, mais tu n’es pas dans le partage.
On a beaucoup plus de relations saines, même amicales, si on est dans le partage et dans la construction que dans la consommation.
Ben oui.

Dans le film, Aymeric met de l’avant la différence d’âge que les deux personnages ont. Comment vous le ressentez dans le milieu du cinéma ? Cet âgisme a une influence vraiment forte encore sur les femmes ?
Oui. Ce qui est assez marrant, c’est que maintenant, j’ai toujours des partenaires plus jeunes que moi.
C’est plutôt cool ?
Avant, j’avais tout le temps des partenaires beaucoup plus âgés, j’ai même eu des partenaires franchement plus âgés que moi, et là, ça change un peu, Ce dont je me réjouis. Mais oui, c’est plus cruel pour une actrice de vieillir au cinéma que pour n’importe qui d’autre en fait. D’abord parce que c’est un métier où tu dépends du désir. On peut donc tout à fait s’imaginer que plus tu vieillis, moins tu suscites de désir.
Si tant est que le désir n’appartienne qu’aux hommes.
Il est peut être là le problème, c’est que l’on ne l’a pas assez donné aux femmes.
Exact. En tout cas, touchons du bois, j’échappe à ça. Jusqu’à quand ? Ça je ne le sais pas.
Il y avait un très beau film de Safi Nebbou avec Juliette Binoche Celle que vous croyez (lire notre critique ici) qui parlait de ce sujet justement dans le rapport au corps. Je l’avais trouvé très juste.
On restait en lice elle et moi pour ce film là. Et le réalisateur l’a choisi elle.
En tout cas, je vous souhaite encore beaucoup de rôles à venir pour votre carrière.
Merci beaucoup.
Durée : 1h40
Nouveau départ est actuellement en salle au Québec.
Cette entrevue a été réalisée dans le cadre de la 29ème édition du Festival Cinemania.