Le 9 novembre dernier, à l’occasion de la 22ème édition du Festival Cinemania, nous avons rencontré Philippe Lioret venu présenter son nouveau film, Le fils de Jeanh, accompagné de l’équipe franco-québécoise composée de Pierre Deladonchamps, Gabriel Arcand, Marie-Thérèse Fortin, Patrick Hivon, Pierre-Yves Cardinal et Catherine de Léan.
Deuxième adaptation littéraire après Toutes nos envies (tiré du roman d’Emmanuel Carrère D’autres vies que la mienne), Le fils de Jean raconte l’histoire de Mathieu qui, à la suite d’un appel téléphonique du Canada, apprend la mort de son père dont il ignorait jusqu’alors l’identité. À 33 ans, intrigué de connaître une partie de son passé, il décide d’aller assister aux funérailles de ce dernier et compte bien saisir l’occasion pour rencontrer ses deux frères qui ne se doutent pas de son existence.
De prime à bord réservé, Philippe Lioret s’est avéré loquace en évoquant le tournage de son dernier film tourné en grande partie dans la région de Montréal. C’est avec un plaisir non dissimulé qu’il nous a parlé de son amour pour le Québec, découvert durant l’enfance lors de visites quasi-annuelles chez une de ses tantes. Il a ainsi eu l’occasion de connaître toutes les saisons qui désormais n’ont plus de secrets pour lui, faisant de l’endroit, une place de choix pour situer l’action de son nouveau métrage. C’est peut être d’ailleurs un des rares points communs avec l’ouvrage de Jean-Paul Dubois, Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, dont le film s’est inspiré au départ pour mieux s’en détacher par la suite et rester fidèle au style du réalisateur dans la représentation des sentiments entre pudeur et retenue.
Pour lui, il y a un bénéfice à ne pas parler de tout. Sans pour autant être dans le mensonge, il aime scruter l’indicible lorsque le chaos s’installe. Le temps d’une scène, d’un regard, il se sert alors d’une loupe pour mettre en exergue des émotions qui donnent à sentir l’intériorité de personnages ancrés dans une réalité aliénante du quotidien. S’il se plaît à souvent traiter de la famille, incarnée par une figure paternelle très forte, c’est parce qu’elle nous construit, voire nous déconstruit. « On parle de là où l’on vient, de ce qui nous façonne » nous dit-il.
Beaucoup plus lumineux que ses précédents opus, la patte du metteur en scène est néanmoins toujours reconnaissable, notamment dans l’évocation de la mort à laquelle il préfère le terme « cycle de la vie ». Lili (Mélanie Laurent) cherchait un équilibre suite à la disparition de son frère (Je vais bien, ne t’en fais pas) tandis que Claire (Marie Gillain), luttant contre une tumeur au cerveau, préparait ses proches à son repos éternel (Toutes nos envies). L’homme y voit une renaissance pour ses protagonistes, un moyen de recommencer là où ils avaient échoué par le passé.
Dans cette optique de renouveau, le réalisateur semble vouloir se surprendre lui-même dans le choix d’une distribution pour le moins rafraîchissante, bien avant de penser aux envies du spectateur. Il nous explique que l’idée, c’est avant tout de créer l’étonnement avec des personnages et non des acteurs. Il ne faut pas rester figé dans quelque chose de facile et de connu. De fait, il aura fallu de nombreuses auditions avant de trouver l’homme capable d’incarner Mathieu. Il était indispensable qu’il possède de l’enfance en lui, ce que Pierre Deladonchamps a su démontrer. Pour le rôle de Pierre, le meilleur ami du défunt, Gabriel Arcand s’est imposé dès le début de processus de recherche. C’est en visionnant Le démantèlement de Sébastien Pilote que le cinéaste est tombé sur ce personnage bourru, à la verbosité rare, doté d’une immense sensibilité. Dès lors, il est devenu impensable que le projet se fasse sans lui.
Désireux de respecter le langage d’ici, il a fallu « québécoisé » un texte déjà très écrit, ne laissant que peu d’espace à l’improvisation. Il y a eu des lectures de table pour mettre en place une spontanéité dans les échanges et parler un québécois plus accessible car il était inconcevable pour Philippe Lioret de sous-titrer son film (comme c’est souvent le cas pour les œuvres québécoises en France). C’était important pour lui de « sonner juste et pas comme le français qui vient installer sa cabane au fond du jardin » plaisante le cinéaste. De plus, cela ne faisait pas de sens que le personnage de Mathieu arrive et comprenne les gens du coin mais que le spectateur n’en soit pas capable. Il y avait une sorte de volonté d’être clair dès le départ et respectueux de l’environnement de travail.
Philippe Lioret de finir dubitatif et intrigué: « C’est bizarre votre pays, c’est lointain et puis non à la fois ».
Au sortir de l’entrevue, l’homme nous est apparu à l’image de ses films, emprunt d’une générosité et d’un humanisme sans failles. Malgré de nombreuses nominations, l’auteur/réalisateur de L’équipier, Welcome et Mademoiselle est toujours boudé par les césars. Espérons que son prochain métrage, sorte de Roméo et Juliette des temps modernes, saura renverser la vapeur et que l’Académie rendra hommage au travail d’un homme animé par l’envie d’être au plus près des gens, dans l’exercice de sa passion caractérisant un cinéma juste et touchant.