Entretien avec Anne Fontaine pour Gemma Bovery

Aujourd’hui, Cinemaniak rencontre Anne Fontaine, de passage à Montréal pour la sortie de Gemma Bovery et l’ouverture du festival Cinemania. Quelques jours avant son départ pour la Pologne où elle tournera son prochain long métrage par moins 25 avec Sarah Forestier, la réalisatrice franco-luxembourgeoise a bien voulu répondre à nos questions.

Syril Tiar: Un an seulement après Perfect Mothers, vous vous intéressez à Posy Simmonds. A part Tamara Drew, vous connaissiez cet auteur ?

Anne Fontaine: Non;  elle écrit tous les jours dans The Guardians. J’avais vu le film de Stephen Frears, et c’est un hasard quand je suis tombé sur Gemma Bovery qui était sur le bureau de mon producteur. Il m’a expliqué que des producteurs anglais cherchaient un réalisateur français pour adapter ce roman graphique. Par curiosité je l’ai lu et je me suis intéressée à ce personnage de Martin Joubert qui est un écrivain raté et qui vit par procuration l’histoire de cette jeune femme.Posy_Simmons_Gemma_Bovery

ST: Vous vous associez à Pascal Bonitzer pour réadapter l’œuvre. Pourquoi lui ?

AF: C’est un scénariste brillant. Je pensais qu’il avait le type d’humour qui convenait au ton du sujet. Il fallait à la fois de la drôlerie, de la finesse et un aspect littéraire. On a aussi travaillé avec Posy Simmonds notamment sur les dialogues anglais.

ST: Saviez-vous à l’avance à l’écriture que le personnage de Martin Joubert serait joué par Fabrice Luchini et avez-vous donc écrit le personnage en connaissance de cause ?

AF: Dès que j’ai découvert le sujet, très vite j’ai réfléchi à qui pouvait incarner le personnage…Mon choix s’est fait en deux secondes car qui mieux que Fabrice Luchini incarne la culture française, l’amour de la littérature ? J’ai travaillé avec lui plusieurs fois et je le connais depuis que j’ai 22/23 ans… Il parle sans arrêt de Madame Bovary; C’était donc évident.

On savait qu’à l’écriture, avec lui,  rien ne serait vulgaire ou ordinaire dans sa bouche !

 

Syril Tiar: Ensuite vous sélectionnez Gemma Arterton qui était déjà dans Tamara Drew

Anne Fontaine: Au départ j’avais écarté cette actrice justement car elle avait incarné le même auteur…Mais aucune des actrices que j’avais vues ne m’emballaient vraiment. Un jour j’ai déjeuné avec Isabelle Huppert et quand je lui ai dit que j’avais du mal à trouver mon actrice pour Gemma Bovery, cette dernière m’a dit qu’elle venait de croiser Gemma au festival de Marrakech…et qu’elle était à tomber par terre…ce qui m’a fait changer d’avis. Dès qu’elle a ouvert la porte, j’ai su que c’était elle.  Elle avait le côté pulpeux et solaire du personnage.

ST: Dans votre filmographie, vous jonglez avec plusieurs styles différents du drame à la comédie. Cette fois-ci c’est une comédie dramatique…mais plutôt un drame avec son contrepoids comique notamment dans sa voix off… Vous aimez changer de genre régulièrement et vous créer de la difficulté?

AF: Faire un film c’est se donner beaucoup de difficulté. Je ne pense pas qu’il y ait de différence entre les genres. Pour moi la comédie peut être cruelle, piquante. Ce n’est pas uniquement pour faire rire avec des archétypes culturels. C’est un style de comédie qui ne m’intéresse pas du tout. Dans beaucoup de mes films, on retrouve surement mon style, ma personnalité. Hormis peut-être Mon pire cauchemar, j’imagine qu’il y a une cohérence dans ma filmographie.

Gemma Bovery me semblait faussement léger…Mais je me lance à l’instinct, je ne programme pas le genre de films que je réalise.Gemma Bovery Anne Fontaine

ST: Pensez-vous qu’être une femme est important pour filmer la sensualité des personnages féminins que ce soit Emmanuelle Béart, Naomi Watts ou dernièrement Gemma Arterton… ?

AF: Je ne m’identifie pas vraiment à une femme…Je ne crois pas à l’idée qu’une femme metteur en scène soit plus apte à capter  la sensualité ou filmer le féminin qu’un homme. En étant metteur en scène, on est un peu transsexuel je crois. Quand je filme Gemma Arteton, je me mets plutôt dans la peau d’un garçon. C’est un art où l’on peut se balader entre les sexes.

film_perfect_mothers

Syril Tiar: Est-ce que c’est plus difficile de convaincre une distribution franco-anglaise ou les deux actrices de Perfect Mothers ?

Anne Fontaine: L’Australie c’était extrêmement compliqué ! J’ai cru que jamais cela se ferait. Quand j’ai compris que les actrices avaient confiance en moi, je me suis dit « peut-être que finalement, cela va se faire »…Mais cela me paraissait complètement irréel.

Gemma Bovery était bien plus réel. C’était comme si je revenais sur terre après l’Australie.

Chaque projet est difficile mais ici ce qui était plus complexe c’était de faire l’équilibre entre l’anglais et le français.

ST: Justement, vous parliez des actrices … Est-ce que vous pensez que les anglo-saxons travaillent plus leurs personnages que les européens qui travaillent plus à l’instinct

AF: Que ce soit Gemma Arterton, Naomi Watts ou Robin Wright, c’est vrai que c’est une pratique du métier vraiment différente. C’est vraiment vécu comme un métier, un travail. Elles arrivent sur le projet avec une construction du personnage et bien plus préparé qu’en France. En Europe, il y a l’idée du talent mais le rapport au travail n’a rien à voir…

Gemma Arterton, par exemple, s’est mis deux mois en France pour se préparer au rôle, à apprendre le français… C’est un métier comme un danseur qui fait de la barre tous les jours.

ST: Dans vos comédies, je trouve qu’il y a souvent un acteur qui surjoue…Isabelle Huppert, ici Elsa Zylberstein dont le personnage est très exacerbé…

AF: Elle est parodique…Mais elle fait un boulot fantastique sur son personnage. C’est très difficile à faire. Car c’est très facile de dévisser, donc de basculer dans le pathétique. Mais ça m’a toujours amusé de traiter des personnages parfois au bord de la satire.

ST: C’est vrai qu’après au niveau du jeu, l’acteur est sur un fil…

AF: Il faut qu’il ait extrêmement confiance et il faut le guider…car  il pourrait très vite être ridicule.

ST: Vous faites partie d’un ensemble de réalisatrices avec une forte signature féminine comme Catherine Corsini…Vous qui travaillez plus sur l’ambiguïté, elle dans un rapport plus direct…  Mais il y a toujours un point de vue qui met la femme au centre d’une problématique. Vous rendez-vous compte que vous apportez ça ?

(rires)  

AF: Non, je ne m’en rends pas compte… Je suis attiré par un type de sujets, de questionnements sur les êtres humains, les relations ambivalentes sur ce qu’on croit connaitre ou ce qu’on peut découvrir de soit…

François Ozon travaille aussi sur ce type d’ambigüité,…mais raconté autrement…

Ceci dit j’essaie de toujours travailler en ne comprenant pas complètement pourquoi je fais les choses…Il ne faut pas trop intellectualiser sinon on perd la fraicheur…

Gemma Bovery2

Syril Tiar: Vous travaillez je crois sur un nouveau projet….

Anne Fontaine: C’est une histoire qui se passe dans un couvent polonais en 1946. Une jeune médecin française (Sarah Forestier) découvre que sept religieuses sont enceintes de huit-mois  et ont été violées par l’armée russe. C’est une adaptation d’un fait réel qui s’avère bouleversant  et étonnant…

 

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